Marivaux, la Vie de Marianne (extrait).
Publié le 07/05/2013
Extrait du document
«
jour il vous laisserait dans une indigence, dans une misère dont vous auriez plus de peine à sortir que jamais : je dis une misère, parce qu’il s’agit de vous éclairer, et non pas d’adoucir les termes ; et c’est à tout cela que j’ai songé depuis
que je vous ai quittée : voilà ce qui m’a fait sortir de si bonne heure de la maison où j’ai dîné ; car j’ai bien des choses à vous dire, Marianne ; je suis dans de bons sentiments pour vous ; vous vous en êtes sans doute aperçue ?
— Oui, Monsieur, lui répondis-je, les larmes aux yeux, confuse et même aigrie de la triste peinture qu’il venait de faire de mon état, et scandalisée du vilain intérêt qu’il avait à m’effrayer tant : oui, parlez, je me fais un devoir de suivre en
tout les conseils d’un homme aussi pieux que vous.
— Laissons là ma piété, vous dis-je, reprit-il en s’approchant d’un air badin pour me prendre la main.
Je vous ai déjà dit dans quel esprit je vous parle.
Encore une fois, je mets ici la religion à part ; je ne vous prêche point, ma fille, je
vous parle raison ; je ne fais ici auprès de vous que le personnage d’un homme de bon sens, qui voit que vous n’avez rien, et qu’il faut pourvoir aux besoins de la vie, à moins que vous ne vous déterminiez à servir ; ce dont vous m’avez
paru fort éloignée, et ce qui effectivement ne vous convient pas.
— Non, Monsieur, lui dis-je en rougissant de colère ; j’espère que je ne serai pas obligée d’en venir là.
— Ce serait une triste ressource, me dit-il ; je ne saurais moi-même y penser sans douleur ; car je vous aime, ma chère enfant, et je vous aime beaucoup.
— J’en suis persuadée, lui dis-je ; je compte sur votre amitié, Monsieur, et sur la vertu dont vous faites profession », ajoutai-je pour lui ôter la hardiesse de s’expliquer plus clairement.
Mais je n’y gagnai rien.
« Eh ! Marianne, me
répondit-il, je ne fais profession de rien que d’être faible, et plus faible qu’un autre ; et vous savez fort bien ce que je veux dire par le mot d’amitié ; mais vous êtes une petite malicieuse, qui vous divertissez, et qui feignez de ne pas
m’entendre : oui, je vous aime, vous le savez ; vous y avez pris garde, et je ne vous apprends rien de nouveau.
Je vous aime comme une belle et charmante fille que vous êtes.
Ce n’est pas de l’amitié que j’ai pour vous, Mademoiselle ; j’ai
cru d’abord que ce n’était que cela ; mais je me trompais, c’est de l’amour et du plus tendre ; m’entendez-vous à présent ? de l’amour, et vous ne perdez rien au change ; votre fortune n’en ira pas plus mal : il n’y a point d’ami qui vaille
un amant comme moi.
— Vous, mon amant ! m’écriai-je en baissant les yeux ; vous, Monsieur ! je ne m’y attendais pas.
[…]
Source : Marivaux (Pierre Carlet de Chamblain de), la Vie de Marianne, 1731-1741.
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