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Marivaux, la Vie de Marianne (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Marivaux, la Vie de Marianne (extrait). Si avec la Vie de Marianne, Marivaux emprunte au genre autobiographique du roman mémorialiste et oriente son oeuvre vers la confidence intimiste, en proposant le récit des méditations d'une femme âgée, il ne rompt pas avec sa réputation d'écrivain d'analyse. Faisant alterner l'exposé des aventures personnelles de l'héroïne avec leurs commentaires et leurs jugements distanciés, la structure en contrepoint, propre au roman d'apprentissage, participe de l'examen souriant, mais sans complaisance, des tours et des détours de l'existence sociale d'une femme du XVIIIe siècle. La Vie de Marianne de Marivaux (troisième partie) Enfin, nous restâmes seuls dans la maison. « Que cette femme est babillarde ! me dit-il en levant les épaules : j'ai cru que nous ne pourrions nous en défaire. -- Oui, lui répondis-je, elle aime assez à parler ; d'ailleurs, elle ne s'imagine pas que vous ayez rien de si secret à me dire. -- Que pensez-vous de notre rencontre chez mon neveu ? reprit-il en souriant. -- Rien, lui dis-je, sinon que c'est un coup de hasard. -- Vous avez très sagement fait de ne me pas connaître, me dit-il. -- C'est qu'il m'a paru que vous le souhaitiez ainsi, répondis-je ; et à propos de cela, Monsieur, d'où vient que vous êtes bien aise que je ne vous aie point nommé, et que vous avez fait semblant de ne m'avoir jamais vue ? -- C'est, me répondit-il d'un air insinuant et doux, qu'il vaut mieux, et pour vous et pour moi, qu'on ignore les liaisons que nous avons ensemble, qui dureront plus d'un jour, et sur lesquelles il n'est pas nécessaire qu'on glose, ma chère fille ; vous êtes si aimable, qu'on ne manquerait pas de croire que je vous aime. -- Oh ! il n'y a rien à appréhender, repris-je d'un ton ingénu ; on sait que vous êtes un si honnête homme ! -- Oui, oui, dit-il comme en badinant, on le sait, et on a raison de le croire : mais, Marianne, on n'en est pas moins honnête homme pour aimer une jolie fille. -- Quand je dis un honnête homme, répondis-je, j'entends un homme de bien, pieux et plein de religion ; ce qui, je crois, empêche qu'on n'ait de l'amour, à moins que ce ne soit pour sa femme. -- Mais, ma chère enfant, me dit-il, vous me prenez donc pour un saint ? Ne me regardez point sur ce pied-là : vraiment, vous me faites trop d'honneur, je ne le suis point ; et un saint même aurait bien de la peine à l'être auprès de vous ; oui, bien de la peine : jugez des autres ; et puis, je ne suis pas marié, je n'ai plus de femme à qui je doive mon coeur, moi ; il ne m'est point défendu d'aimer, je suis libre ; mais nous parlerons de cela : revenons à votre accident. « Vous êtes tombée ; il a fallu vous porter chez mon neveu, qui est un étourdi, et qui aura débuté par vous dire des galanteries, n'est-il pas vrai ? Il vous en contait du moins, quand nous sommes entrés, cette dame et moi ; et il n'y a rien d'étonnant : il vous a trouvée ce que vous êtes, c'est-à-dire belle, aimable, charmante ; en un mot, ce que tout le monde vous trouvera : mais, comme je suis assurément le meilleur ami que vous ayez dans le monde (et c'est de quoi j'espère bien vous donner des preuves), dites-moi, ma belle enfant, n'auriez-vous pas quelque penchant à l'écouter ? Il m'a semblé vous voir un air assez satisfait auprès de lui ; me suis-je trompé ? -- Moi, Monsieur ? répondis-je ; je l'écoutais, parce que j'étais chez lui ; je ne pouvais faire autrement ; mais il ne me disait rien que de fort poli et de fort honnête. -- De fort honnête, dit-il en répétant ce mot : prenez garde, Marianne ; ceci pourrait déjà bien venir d'un peu de prévention. Hélas ! que je vous plaindrais, dans la situation où vous êtes, si vous étiez tentée de prêter l'oreille à de pareilles cajoleries ! Ah ! mon Dieu, que ce serait dommage ! et que deviendriez-vous ? Mais, dites-moi, vous a-t-il demandé où vous demeuriez ? -- Je crois que oui, Monsieur, répondis-je en rougissant. -- Et vous, qui n'en saviez pas les conséquences, vous le lui avez sans doute appris ? ajouta-t-il. -- Je n'en ai point fait difficulté, repris-je ; aussi bien l'aurait-il su quand je serais montée dans le fiacre, puisque, avant de partir, il faut bien dire où l'on va. -- Vous me faites trembler pour vous, s'écria-t-il d'un air sérieux et compatissant : oui, trembler : voilà un événement bien fâcheux, et qui aura les plus malheureuses suites du monde, si vous ne les prévenez pas ; il vous perdra, ma fille : je n'exagère rien, et je ne saurais me lasser de le dire. Hélas ! quel dommage qu'avec les grâces et la beauté que vous avez, vous devinssiez la proie d'un jeune homme qui ne vous aimera point : car ces jeunes fous-là savent-ils aimer ? ont-ils un coeur, ont-ils des sentiments, de l'honneur, un caractère ? Ils n'ont que des vices, surtout avec une fille de votre état, que mon neveu croira fort au-dessous de lui, qu'il regardera comme une jolie grisette, dont il va tâcher de faire une bonne fortune, et à qui il se promet bien de tourner la tête ; ne vous attendez pas à autre chose. De petites galanteries, de petits présents, qui vous amuseront ; les protestations les plus tendres, que vous croirez ; un étalage de sa fausse passion, qui vous séduira ; un éloge éternel de vos charmes ; enfin, de petits rendez-vous que vous refuserez d'abord, que vous accorderez après, et qui cesseront tout d'un coup par l'inconstance et par le dégoût du jeune homme : voilà tout ce qui en arrivera. Voyez, cela vous convient-il ? je vous le demande, est-ce là ce qu'il vous faut ? Vous avez de l'esprit et de la raison, et il n'est pas possible que vous ne considériez quelquefois le cas où vous êtes, que vous n'en soyez inquiète, effrayée. On a beau être jeune, distraite, imprudente, tout ce qu'il vous plaira ; on ne saurait pourtant oublier son état, quand il est aussi triste, aussi déplorable que le vôtre ; et je ne dis rien de trop, vous le savez, Marianne : vous êtes une orpheline, et une orpheline inconnue à tout le monde, qui ne tient à qui que ce soit sur la terre, dont qui que ce soit ne s'inquiète et ne se soucie, ignorée pour jamais de votre famille, que vous ignorez de même, sans parents, sans bien, sans ami, moi seul excepté, que vous n'avez connu que par hasard, qui suis le seul qui s'intéresse à vous, et qui, à la vérité, vous suis tendrement attaché, comme vous le voyez bien par la manière dont je vous parle, et comme il ne tiendra qu'à vous de le voir infiniment plus dans la suite : car je suis riche, soit dit en passant ; et je puis vous être d'un grand secours, pourvu que vous entendiez vos véritables intérêts, et que j'aie lieu de me louer de votre conduite : quand je dis de votre conduite, c'est de la prudence que j'entends, et non pas une certaine austérité de moeurs. Il n'est pas question ici d'une vie rigide et sévère qu'il vous serait difficile et peut-être impossible de mener ; vous n'êtes pas même en situation de regarder de trop près à vous là-dessus. Dans le fond je vous parle ici en homme du monde, entendez-vous ? en homme qui, après tout, songe qu'il faut vivre, et que la nécessité est une chose terrible : ainsi quelque ennemi que je vous paraisse de ce qu'on appelle amour, ce n'est pas contre toutes sortes d'engagements que je me déclare ; je ne vous dis pas de les fuir tous : il y en a d'utiles et de raisonnables, de même qu'il y en a de ruineux et d'insensés, comme le serait celui que vous prendriez avec mon neveu, dont l'amour n'aboutirait à rien qu'à vous ravir tout le fruit du seul avantage que je vous connaisse, qui est d'être aimable. Vous ne voudriez pas perdre votre temps à être la maîtresse d'un jeune étourdi que vous aimeriez tendrement et de bonne foi ; à la vérité, ce qui serait un plaisir, mais un plaisir bien malheureux, puisque le petit libertin ne vous aimerait pas de même, et qu'au premier jour il vous laisserait dans une indigence, dans une misère dont vous auriez plus de peine à sortir que jamais : je dis une misère, parce qu'il s'agit de vous éclairer, et non pas d'adoucir les termes ; et c'est à tout cela que j'ai songé depuis que je vous ai quittée : voilà ce qui m'a fait sortir de si bonne heure de la maison où j'ai dîné ; car j'ai bien des choses à vous dire, Marianne ; je suis dans de bons sentiments pour vous ; vous vous en êtes sans doute aperçue ? -- Oui, Monsieur, lui répondis-je, les larmes aux yeux, confuse et même aigrie de la triste peinture qu'il venait de faire de mon état, et scandalisée du vilain intérêt qu'il avait à m'effrayer tant : oui, parlez, je me fais un devoir de suivre en tout les conseils d'un homme aussi pieux que vous. -- Laissons là ma piété, vous dis-je, reprit-il en s'approchant d'un air badin pour me prendre la main. Je vous ai déjà dit dans quel esprit je vous parle. Encore une fois, je mets ici la religion à part ; je ne vous prêche point, ma fille, je vous parle raison ; je ne fais ici auprès de vous que le personnage d'un homme de bon sens, qui voit que vous n'avez rien, et qu'il faut pourvoir aux besoins de la vie, à moins que vous ne vous déterminiez à servir ; ce dont vous m'avez paru fort éloignée, et ce qui effectivement ne vous convient pas. -- Non, Monsieur, lui dis-je en rougissant de colère ; j'espère que je ne serai pas obligée d'en venir là. -- Ce serait une triste ressource, me dit-il ; je ne saurais moi-même y penser sans douleur ; car je vous aime, ma chère enfant, et je vous aime beaucoup. -- J'en suis persuadée, lui dis-je ; je compte sur votre amitié, Monsieur, et sur la vertu dont vous faites profession «, ajoutai-je pour lui ôter la hardiesse de s'expliquer plus clairement. Mais je n'y gagnai rien. « Eh ! Marianne, me répondit-il, je ne fais profession de rien que d'être faible, et plus faible qu'un autre ; et vous savez fort bien ce que je veux dire par le mot d'amitié ; mais vous êtes une petite malicieuse, qui vous divertissez, et qui feignez de ne pas m'entendre : oui, je vous aime, vous le savez ; vous y avez pris garde, et je ne vous apprends rien de nouveau. Je vous aime comme une belle et charmante fille que vous êtes. Ce n'est pas de l'amitié que j'ai pour vous, Mademoiselle ; j'ai cru d'abord que ce n'était que cela ; mais je me trompais, c'est de l'amour et du plus tendre ; m'entendez-vous à présent ? de l'amour, et vous ne perdez rien au change ; votre fortune n'en ira pas plus mal : il n'y a point d'ami qui vaille un amant comme moi. -- Vous, mon amant ! m'écriai-je en baissant les yeux ; vous, Monsieur ! je ne m'y attendais pas. [...] Source : Marivaux (Pierre Carlet de Chamblain de), la Vie de Marianne, 1731-1741. 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« jour il vous laisserait dans une indigence, dans une misère dont vous auriez plus de peine à sortir que jamais : je dis une misère, parce qu’il s’agit de vous éclairer, et non pas d’adoucir les termes ; et c’est à tout cela que j’ai songé depuis que je vous ai quittée : voilà ce qui m’a fait sortir de si bonne heure de la maison où j’ai dîné ; car j’ai bien des choses à vous dire, Marianne ; je suis dans de bons sentiments pour vous ; vous vous en êtes sans doute aperçue ? — Oui, Monsieur, lui répondis-je, les larmes aux yeux, confuse et même aigrie de la triste peinture qu’il venait de faire de mon état, et scandalisée du vilain intérêt qu’il avait à m’effrayer tant : oui, parlez, je me fais un devoir de suivre en tout les conseils d’un homme aussi pieux que vous. — Laissons là ma piété, vous dis-je, reprit-il en s’approchant d’un air badin pour me prendre la main.

Je vous ai déjà dit dans quel esprit je vous parle.

Encore une fois, je mets ici la religion à part ; je ne vous prêche point, ma fille, je vous parle raison ; je ne fais ici auprès de vous que le personnage d’un homme de bon sens, qui voit que vous n’avez rien, et qu’il faut pourvoir aux besoins de la vie, à moins que vous ne vous déterminiez à servir ; ce dont vous m’avez paru fort éloignée, et ce qui effectivement ne vous convient pas. — Non, Monsieur, lui dis-je en rougissant de colère ; j’espère que je ne serai pas obligée d’en venir là. — Ce serait une triste ressource, me dit-il ; je ne saurais moi-même y penser sans douleur ; car je vous aime, ma chère enfant, et je vous aime beaucoup. — J’en suis persuadée, lui dis-je ; je compte sur votre amitié, Monsieur, et sur la vertu dont vous faites profession », ajoutai-je pour lui ôter la hardiesse de s’expliquer plus clairement.

Mais je n’y gagnai rien.

« Eh ! Marianne, me répondit-il, je ne fais profession de rien que d’être faible, et plus faible qu’un autre ; et vous savez fort bien ce que je veux dire par le mot d’amitié ; mais vous êtes une petite malicieuse, qui vous divertissez, et qui feignez de ne pas m’entendre : oui, je vous aime, vous le savez ; vous y avez pris garde, et je ne vous apprends rien de nouveau.

Je vous aime comme une belle et charmante fille que vous êtes.

Ce n’est pas de l’amitié que j’ai pour vous, Mademoiselle ; j’ai cru d’abord que ce n’était que cela ; mais je me trompais, c’est de l’amour et du plus tendre ; m’entendez-vous à présent ? de l’amour, et vous ne perdez rien au change ; votre fortune n’en ira pas plus mal : il n’y a point d’ami qui vaille un amant comme moi. — Vous, mon amant ! m’écriai-je en baissant les yeux ; vous, Monsieur ! je ne m’y attendais pas.

[…] Source : Marivaux (Pierre Carlet de Chamblain de), la Vie de Marianne, 1731-1741. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.

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