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Marivaux, le Jeu de l'amour et du hasard (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Marivaux, le Jeu de l'amour et du hasard (extrait). Silvia n'est pas prête à accepter le mariage de convenance que son père, Orgon, lui a préparé avec un gentilhomme inconnu. Elle décide de prendre le rôle et l'habit de sa femme de chambre, Lisette, afin de juger librement du futur époux, Dorante. De son côté, ce dernier a eu la même idée et a revêtu l'habit de son valet Bourguignon. Dans cet extrait, Silvia et Dorante sont travestis à l'insu l'un de l'autre : c'est le premier tête-à-tête entre la fausse soubrette et le faux valet. Le Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux SILVIA, à part. -- Ils se donnent la comédie ; n'importe, mettons tout à profit ; ce garçon-là n'est pas sot, et je ne plains pas la soubrette qui l'aura ; il va m'en conter, laissons-le dire, pourvu qu'il m'instruise. à part. -- Cette fille m'étonne ! Il n'y a point de femme au monde à qui sa physionomie ne fit honneur : lions connaissance avec elle. (Haut.) Puisque nous sommes dans le style amical et que nous avons abjuré les façons, dismoi, Lisette, ta maîtresse te vaut-elle ? Elle est bien hardie d'oser avoir une femme de chambre comme toi ! DORANTE, SILVIA. -- Bourguignon, cette question-là m'annonce que, suivant la coutume, tu arrives avec l'intention de me dire des douceurs : n'est-ce pas vrai ? DORANTE. -- Ma foi, je n'étais pas venu dans ce dessein-là, je te l'avoue ; tout valet que je suis, je n'ai jamais eu de grandes liaisons avec les soubrettes, je n'aime pas l'esprit domestique ; mais, à ton égard, c'est une autre affaire : comment donc ! tu me soumets, je suis presque timide, ma familiarité n'oserait s'apprivoiser avec toi, j'ai toujours envie d'ôter mon chapeau de dessus ma tête, et quand je te tutoie, il me semble que je jure ; enfin, j'ai un penchant à te traiter avec des respects qui te feraient rire. Quelle espèce de suivante es-tu donc, avec ton air de princesse ? SILVIA. -- Tiens, tout ce que tu dis avoir senti en me voyant, est précisément l'histoire de tous les valets qui m'ont vue. DORANTE. SILVIA. -- Le trait est joli assurément ; mais je te le répète encore, je ne suis pas faite aux cajoleries de ceux dont la garde-robe ressemble à la tienne. DORANTE. SILVIA. -- Parbleu ! si j'étais tel, la prédiction me menacerait ; j'aurais peur de la vérifier ; je n'ai point de foi à l'astrologie, mais j'en ai beaucoup à ton visage. à part. -- Il ne tarit point... (Haut.) Finiras-tu ? que t'importe la prédiction, puisqu'elle t'exclut ? DORANTE. SILVIA. -- Eh bien, venge-t'en sur la mienne, si tu me trouves assez bonne mine pour cela. à part. -- Il le mériterait. (Haut.) Mais ce n'est pas là de quoi il est question ; trêve de badinage ; c'est un homme de condition qui m'est prédit pour époux, et je n'en rabattrai rien. DORANTE. SILVIA, -- Je ne m'en écarte peut-être pas tant que nous le croyons : tu as l'air bien distingué, et l'on est quelquefois de condition sans le savoir. -- Ah ! ah ! ah ! je te remercierais de ton éloge, si ma mère n'en faisait pas les frais. DORANTE. SILVIA, -- Parbleu ! cela est plaisant ; ce que tu as juré pour homme, je l'ai juré, pour femme, moi ; j'ai fait serment de n'aimer sérieusement qu'une fille de condition. -- Ne t'écarte donc pas de ton projet. DORANTE. SILVIA. -- Rien que cela ? Ton petit traité n'est composé que de deux clauses impossibles. à part. -- Quel homme pour un valet ! (Haut.) Il faut pourtant qu'il s'exécute ; on m'a prédit que je n'épouserai jamais qu'un homme de condition, et j'ai juré depuis de n'en écouter jamais d'autres. DORANTE. SILVIA. -- C'est-à-dire que ma parure ne te plaît pas ? -- Non, Bourguignon ; laissons là l'amour, et soyons bons amis. DORANTE. SILVIA, -- Ma foi, je ne serais pas surpris quand ce serait aussi l'histoire de tous les maîtres. -- Elle n'a pas prédit que je ne t'aimerais point. -- Non, mais elle a dit que tu n'y gagnerais rien, et moi, je te le confirme. DORANTE. -- Tu fais fort bien, Lisette, cette fierté-là te va à merveille, et, quoiqu'elle me fasse mon procès, je suis pourtant bien aise de te la voir ; je te l'ai souhaitée d'abord que je t'ai vue ; il te fallait encore cette grâce-là, et je me console d'y perdre, parce que tu y gagnes. SILVIA, à part. -- Mais, en vérité, voilà un garçon qui me surprend, malgré que j'en aie (Haut.) Dis-moi, qui es-tu, toi qui me parles ainsi ? DORANTE. SILVIA. -- Va, je te souhaite de bon coeur une meilleure situation que la tienne, et je voudrais pouvoir y contribuer ; la fortune a tort avec toi. DORANTE. SILVIA, -- Tu as raison, notre aventure est unique. à part. -- Malgré tout ce qu'il m'a dit, je ne suis point partie, je ne pars point, me voilà encore, et je réponds ! En vérité, cela passe la raillerie. (Haut.) Adieu. DORANTE. SILVIA. -- Voilà encore de ces réponses qui m'emportent. Fais comme tu voudras, je n'y résiste point, et je suis bien malheureux de me trouver arrêté par tout ce qu'il y a de plus aimable au monde. -- Et moi, je voudrais bien savoir comment il se fait que j'ai la bonté de t'écouter ; car, assurément, cela est singulier. DORANTE. SILVIA, -- Tu me permettras peut-être de te remercier de ce que tu me dis là, par exemple ? -- Veux-tu bien ne prendre pas garde à l'imprudence que j'ai eue de le dire ? DORANTE. SILVIA. -- Eh ! non, te dis-je, Lisette ; il ne s'agit ici que de mon maître. -- Eh bien, soit ! je voulais te parler de lui aussi et j'espère que tu voudras bien me dire confidemment ce qu'il est ; ton attachement pour lui m'en donne bonne opinion ; il faut qu'il ait du mérite, puisque tu le sers. DORANTE. SILVIA. -- Je me rappelle de t'avoir demandé si ta maîtresse te valait. -- Tu reviens à ton chemin par un détour ; adieu. DORANTE. SILVIA. -- Attends, Lisette, je voulais moi-même te parler d'autre chose ; mais je ne sais plus ce que c'est. -- J'avais de mon côté quelque chose à te dire ; mais tu m'as fait perdre mes idées aussi, à moi. DORANTE. SILVIA. -- Quitte donc ta figure. à part. -- À la fin, je crois qu'il m'amuse... (Haut.) Eh bien, Bourguignon, tu ne veux donc pas finir ? faudra-t-il que je te quitte ? (À part.) Je devrais l'avoir fait. DORANTE. SILVIA. -- Tu pourrais bien te passer de m'en faire sentir, toi. -- Aïe ! je me fâcherai ; tu m'impatientes. Encore une fois, laisse-là ton amour. DORANTE. SILVIA, -- Ma foi, l'amour a plus tort qu'elle ; j'aimerais mieux qu'il me fût permis de te demander ton coeur, que d'avoir tous les biens du monde. à part. -- Nous voilà, grâce au ciel, en conversation réglée. (Haut.) Bourguignon, je ne saurais me fâcher des discours que tu me tiens ; venons à ton maître ; tu peux te passer de me parler d'amour, je pense ? DORANTE. SILVIA. -- Le fils d'honnêtes gens qui n'étaient pas riches. -- Achevons donc ce que nous voulions dire. -- Adieu, te dis-je ; plus de quartier ; quand ton maître sera venu, je tâcherai, en faveur de ma maîtresse, de le connaître par moi-même s'il en vaut la peine. [...] Source : Marivaux, le Jeu de l'amour et du hasard, 1730. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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« SILVIA , à part. — Mais, en vérité, voilà un garçon qui me surprend, malgré que j'en aie (Haut.) Dis-moi, qui es-tu, toi qui me parles ainsi ? DORANTE .

— Le fils d'honnêtes gens qui n'étaient pas riches. SILVIA .

— Va, je te souhaite de bon cœur une meilleure situation que la tienne, et je voudrais pouvoir y contribuer ; la fortune a tort avec toi. DORANTE .

— Ma foi, l'amour a plus tort qu'elle ; j'aimerais mieux qu'il me fût permis de te demander ton cœur, que d'avoir tous les biens du monde. SILVIA , à part. — Nous voilà, grâce au ciel, en conversation réglée.

(Haut.) Bourguignon, je ne saurais me fâcher des discours que tu me tiens ; venons à ton maître ; tu peux te passer de me parler d'amour, je pense ? DORANTE .

— Tu pourrais bien te passer de m'en faire sentir, toi. SILVIA .

— Aïe ! je me fâcherai ; tu m'impatientes.

Encore une fois, laisse-là ton amour. DORANTE .

— Quitte donc ta figure. SILVIA , à part. — À la fin, je crois qu'il m'amuse… (Haut.) Eh bien, Bourguignon, tu ne veux donc pas finir ? faudra-t-il que je te quitte ? (À part.) Je devrais l'avoir fait. DORANTE .

— Attends, Lisette, je voulais moi-même te parler d'autre chose ; mais je ne sais plus ce que c'est. SILVIA .

— J'avais de mon côté quelque chose à te dire ; mais tu m'as fait perdre mes idées aussi, à moi. DORANTE .

— Je me rappelle de t’avoir demandé si ta maîtresse te valait. SILVIA .

— Tu reviens à ton chemin par un détour ; adieu. DORANTE .

— Eh ! non, te dis-je, Lisette ; il ne s'agit ici que de mon maître. SILVIA .

— Eh bien, soit ! je voulais te parler de lui aussi et j'espère que tu voudras bien me dire confidemment ce qu'il est ; ton attachement pour lui m'en donne bonne opinion ; il faut qu'il ait du mérite, puisque tu le sers. DORANTE .

— Tu me permettras peut-être de te remercier de ce que tu me dis là, par exemple ? SILVIA .

— Veux-tu bien ne prendre pas garde à l'imprudence que j'ai eue de le dire ? DORANTE .

— Voilà encore de ces réponses qui m'emportent.

Fais comme tu voudras, je n'y résiste point, et je suis bien malheureux de me trouver arrêté par tout ce qu'il y a de plus aimable au monde. SILVIA .

— Et moi, je voudrais bien savoir comment il se fait que j'ai la bonté de t'écouter ; car, assurément, cela est singulier. DORANTE .

— Tu as raison, notre aventure est unique. SILVIA , à part.

— Malgré tout ce qu'il m'a dit, je ne suis point partie, je ne pars point, me voilà encore, et je réponds ! En vérité, cela passe la raillerie.

(Haut.) Adieu. DORANTE .

— Achevons donc ce que nous voulions dire. SILVIA .

— Adieu, te dis-je ; plus de quartier ; quand ton maître sera venu, je tâcherai, en faveur de ma maîtresse, de le connaître par moi-même s'il en vaut la peine. […] Source : Marivaux, le Jeu de l’amour et du hasard, 1730. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.

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