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Médée, Corneille I,4 « Jason me répudie … char brûlant »

Publié le 04/08/2010

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corneille

Médée, personnage éponyme de l’œuvre de Corneille, est mise en scène par la troupe du Marais en 1635. Cette pièce est une reprise du mythe, et Corneille reconnait qu’il a été très sensible à la version de Sénèque dans sa réécriture. Notre passage présente la première apparition de Médée, acte I scène 4. Nous avons appris dans l’exposition que Jason la quittait pour Créuse, afin d’épouser la fille du roi et d’ « accommoder [sa] flamme au bien de [ses]affaires «. Nous attendons ainsi de voir la réaction de la femme bafouée, reniée, qui va exposer son état d’esprit dans ce monologue. Nous nous demanderons comment ici Corneille met en scène une femme ivre de vengeance qui semble prête au pire des meurtres pour punir Jason. Pour cela, nous verrons que le monologue se déroule en trois temps : d’abord, Médée réalise l’impensable : la trahison de Jason à qui elle a tout donné. Puis, Médée explose et menace Jason, avant d’immoler l’aide son grand-père, Soleil, afin de trouver les moyens de laver cet affront.         Dans un premier temps, on sent que Médée prend conscience de tout ce qui se passe : elle revoit tout l’historique de son parcours avec Jason : elle part du présent « Jason me répudie ! « : par cette phrase exclamative, elle montre toute l’émotion, qui peut-être de l’incrédulité mêlée de désespoir, voire de colère, face à cette menace d’exil qui la frappe. Son incompréhension est soulignée par l’emploi du conditionnel passé « qui l’aurait pu croire « qui renvoie plus à un irréel qu’à une hypothèse. On en déduit que Médée a été prise de cours, qu’elle n’a pas vu venir cette trahison de son mari. On sent alors son besoin de comprendre et l’accumulation de questions rhétoriques sert cette analyse du parcours de l’homme qu’elle aime : elle concède que la flamme de Jason pour elle a pu s’éteindre, mais se révolte de ses conséquences : la gradation « manque-t-il « / « peut-il « / « m’ose-t-il « souligne la révolte de Médée : en effet, elle relève que Jason ne peut oublier tout ce qu’elle a fait pour elle, puis elle dénonce son pouvoir de la quitter avant de reprendre la même expression en remplaçant le verbe « pouvoir « par le verbe « oser « : la répétition et la recherche du mot juste marque bien ici cette volonté de comprendre : Médée réalise à quel point Jason a trahi sa confiance, et lui manque de considération, de gratitude. Souvenons-nous qu’il n’est devenu un héros que grâce à elle : c’est grâce à ses pouvoirs magiques qu’il a conquis la Toison d’Or. C’est ainsi que l’énumération «  père trahi, les éléments forcés, d’un frère dans la mer les éléments dispersés « nous rappelle qu’elel est consciente de l’horreur des actes qu’elle a commis pour l’homme qu’elle aime : les verbes au participe passé « trahi/ forcés/ dispersés « insistent sur la cruauté de ses actes, elle a renié sa famille, sa loyauté pour Jason, elle est devenue un monstre pour lui. L’anaphore de « lui font-il présumer « fonctionne alors comme une dénonciation de la légèreté de son mari : ce n’est pas parce qu’elle a déjà tué pour lui qu’elle va poursuivre de la sorte. Elle dénonce ainsi la trop grande assurance de cet homme sur la soumission de sa femme, et rappelle l’intensité de ses pouvoirs. Médée, par ce tour d’horizon de sa relation à Jason, réalise qu’elle ne peut pas se laisser faire et que l’arrogance de Jason doit être punie.         C’est alors que Médée peut exploser dans sa rage. Le système énonciatif de son monologue change : alors qu’elle est seule, elle est hantée par Jason et se met à lui parler directement : on remarque le tutoiement « tu t’abuses « et l’apostrophe « Jason «. Elle reprend ensuite leur union en le pronom nous deux fois  dans l’antithèse «  nous sépare «/ « nous a joints « et l’adjectif possessif « notre deux fois dans la redondance « notre mariage « / « notre union « : c’est donc bien cette rupture brutale de comportement qui la dévore. Elle emploie des verbes au futur « je le ferai par haine « / «  sui suivre ma colère « pour envisager un avenir cruel. L’énumération «  en meurtres, en carnage « annonce l’horreur de son plan : par la gradation, elle insiste sur le sang qu’elle va verser. Que penser de la périphrase «  déchirer par morceaux l’enfant au yeux du père « ? Médée parle ici de tuer le fils, ce qu’elle a déjà fait pour son frère devant son propre père, mais l’action est ici envisagée au futur  … et fortement revendiquée par la litote « n’est que le moindre effet « : elle suggère ici que sa vengeance sera au minimum de déchiqueter un de ses fils devant Jason. On remarquera qu’ici, il n’est pas nommé : elle généralise son propos « l’enfant/ du père « : le recours à l’article défini est au présent de vérité général e «est le moindre effet « semble donner une ampleur de revendication absolue, incontestable, à sa menace. Puisqu’elle a tué pour lui, lors de leur coup de foudre, elle terminera son histoire de la même façon, dans le sang . Médée parait alors comme irrationnelle, éprise de folie : elle semble ajouter un peu plus de jouissance dans sa cruauté à chaque phrase. Ainsi, on comprend vite qu’elle revendique sa toute puissance. Elle diminue ses crimes passés par l’intensif « si légers « , l’euphémisme « faible apprentissage « et l’expression « coups d’essai « pour employer ensuite l’expression « chef d’œuvre « qui annonce le paroxysme de son art : ce n’est donc plus la femme qui parle mais l’artiste, la magicienne qui va entrer en action. Le meurtre de ses enfants sera donc la réalisation de sa vie, l’aboutissement de son art.         A ce moment là, Médée est au sommet de sa haine, et on pourrait espérer quelques remords. Au contraire, la conjonction de coordination « mais « ne vient pas atténuer, mais renforcer cette puissance destructrice de Médée. La femme a bel et bien disparu, et la magicienne s’adresse à ses protecteurs. Elle reprend son objectif dans le complément circonstanciel de but « pour exécuter tout ce que j’entreprends « sous une forme générale ; le pronom « tout « est une vraie menace acr il couvre les méfaits qu’elle a énoncés, et plus encore… et crée ici une vraie tension dramatique : de quoi Médée est-elle capable ? Cette impression est renforcée par le verbe « exécuter « qui connote non seulement la mise en œuvre, mais aussi la mort …  Elle répudie alors ses aides habituelles par l’apostrophe « enfers « et le vocabulaire évaluatif péjoratif vos feux sont impuissants « : ceux qui lui ont permis de massacrer les dragons qui protégeaient la toison d’or. Un seul dieu peut alors la secourir, son grand –père Soleil. Elle l’invoque donc par la périphrase «  auteur de ma naissance aussi bien que du jour « et lie ainsi sa lignée à celle de la création : le Soleil est un dieu tout puissant, qui va permettre une vengeance à la hauteur de sa haine. Elle emploie alors les impératifs « donne-moi « « accorde cette grâce « pour implorer sa pitié et obtenir son aide. Médée est alors liée au feu grâce à la  métaphore « désir bouillant « qui insiste sur le fait qu’elle est comme un volcan qui va faire irruption et tout ravager. C’est donc bien une Médée vengeresse et capable d’user des pires ruses magiques que Jason va devoir affronter dans cette pièce.              Ce monologue est donc un moment important au début de la pièce de Corneille. Alors qu’Euripide montrait d’abord une femme abattue qui ne savait comment elle allait faire face, Corneille se range du côté du choix de Sénèque qui revendiquait la cruauté de la vengeance. On attend alors la mise en œuvre de cette rage sanglante qui va toucher et Créuse, et Créon, et ses enfants … pour mieux atteindre Jason qui, dans la didascalie finale, sera réduit à se se suicider devant son incapacité à se venger de Médée.

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