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Milieu rural

Publié le 11/03/2014

Extrait du document

I)       Milieu rural : sa composition et ses problématiques   A)                Présentation générale et composition du milieu rural   Qu’entend-on par « milieu rural « ?   Depuis 1996, l’INRA et l’INSEE ont redéfini les espaces urbains et ruraux, pour tenir compte de l’évolution des territoires. La définition ancienne de milieu rural pour les espaces comportant des communes de 2.000 habitants ou moins était dépassée au vu de la complexification des espaces (notamment le déploiement des espaces péri-urbains). La nouvelle classification se base sur la polarisation des territoires en fonction du nombre d’emplois et des déplacements domicile-travail : zonage en aires urbaines et aires d’emploi de l’espace rural.    Neuf catégories ont ainsi été définies, regroupées autour de 2 espaces : « à dominante urbaine « et « à dominante rurale «. Sans les citer et détailler toutes, donnons pour exemple que les pôles urbains sont des « unités urbaines offrant 5000 emplois ou plus «.   Dans « l’espace à dominante rurale «, on trouve « l’espace sous faible influence urbaine « dont « entre 20% et 40% des actifs résidents vont travailler dans des aires urbaines «, les «pôles ruraux«, offrant « de 2000 à moins de 5000 emplois «, la «périphérie des pôles ruraux« dont « 20% ou plus des actifs résidents travaillent dans les pôles ruraux «, et le rural isolé comportant toutes les autres communes1. Selon cette classification, les espaces ruraux constituent 59% du territoire pour 18% de la population totale.   Qui habite ou vient habiter en milieu rural ?   « Après plus d’un siècle d’exode, le solde migratoire des communes rurales est devenu positif dans les années 1970 «. Depuis 1975, « près de 65% des communes rurales ont gagné des habitants «. Si les régions les plus attractives sont dans le Sud de la France et dans les Alpes, « certains territoires demeurent à l’écart des dynamiques d’accueil « et gardent un solde négatif : le Nord, l’Est, le centre de la France, la Basse-Normandie et d’autres zones rurales isolées.   50% des nouveaux installés sont des actifs : entreprises décentralisées, services de proximité, agroalimentaire, ou entrepreneurs individuels. 12% sont des personnes en difficulté ou en situation d’exclusion. Près de 10% de la population dans certains cantons sont des étrangers (Anglais en Dordogne, par exemple). Viennent aussi des retraités « issus des grandes villes, surtout Paris, et de l’Europe du Nord (500.000 en 10 ans) «. Ces derniers s’installent surtout dans les régions touristiques (zones littorales).   59% des familles installées sont des couples avec enfants, 22% des retraités, 12% des jeunes couples sans enfants, 4% des familles monoparentales.   75% des résidents ont choisi une commune rurale par « préférence pour la campagne «, 60% pour l’achat de leur maison (du fait du coût moindre qu’en milieu urbain), 32% environ car ils ont un « emploi proche «, un peu moins de 30% car ils sont natifs de la région, et un peu moins de 20% car ils y ont une famille proche.   Une donnée importante est que « les ruraux sont avant tout des ouvriers « : près de 35% (contre 25% en milieu urbain), alors que les actifs agricoles diminuent fortement (70% en moins environ en plus de 30 ans). Par contre, le nombre de personnes âgées est relativement conséquent : près de 30% de 60 ans et plus. Les activités tertiaires occupent aujourd’hui une position prépondérante dans la structure de l’emploi rural, grâce au développement des services, qui représentent 42% des emplois.   L’arrivée et l’accueil de nouvelles populations « devient un enjeu de premier plan pour le développement rural «, car celles-ci « renforcent la démographie de zones faiblement peuplées, diversifient la société rurale, créent des activités nouvelles et de l’emploi, apportent des initiatives et de l’innovation «.     B) Mutations et problématiques du milieu rural   Des difficultés anciennes et des mutations récentes Depuis plusieurs dizaines d’années, la ruralité se caractérise à la fois par sa « dépopulation «, liée à l’exode rural, et par son vieillissement. Néanmoins, ces deux phénomènes ont tendance à se modifier. D’une part, la migration vers les zones rurales apparaît comme une tendance forte de la dernière décennie et, d’autre part, la régression démographique ne se poursuit que sur certains territoires, tandis que d’autres zones rurales sont en augmentation très rapide. Dans la décennie 1990 déjà, malgré un solde naturel négatif, mais grâce à un solde migratoire non négligeable, le nombre d’habitants de l’espace à dominante rurale est resté à peu près stable. Globalement, depuis le début des années 2000, l’espace rural se repeuple : la progression démographique y est plus rapide que dans les pôles urbains. Si le solde démographique naturel y reste légèrement négatif, le solde migratoire y a progressé très rapidement, dépassant celui de toutes les catégories d’espace à dominante urbaine, et y entraînant, avec un taux d’accroissement moyen global de 0,7% par an, un dynamisme d’ensemble. Pour autant, la dynamique de l’emploi n’a pas gagné ces zones rurales. Cette difficulté n’est pas récente. Dans les années 1990, le taux d’emploi était déjà sensiblement plus faible dans l’espace rural que dans l’espace urbain. L’écart entre les deux catégories d’espaces, qui avait un peu diminué entre 1990 et 1999 (de 6,5 à 5,6 points), a nettement augmenté en 2007 (passant de 5,6 à 8 points)[1].À partir de 1990, et surtout dans la seconde moitié de la période qui va jusqu’à 2007, le taux de progression annuel moyen de l’emploi en zone rurale a été supérieur à celui de la population, mais nettement inférieur à celui des zones urbaines : l’écart entre les deux univers du point de vue des facilités à trouver un emploi n’a fait que se creuser. La situation de l’emploi dans l’espace rural apparaît donc bien comme un élément central du point de vue de la pauvreté de ces territoires.   S’agissant de la structure de sa population par tranches d’âge, le monde rural se caractérise, depuis des dizaines d’années, par une forte proportion de personnes âgées. En 2006, il comptait 27,5 % de plus de 60 ans et 11,4 % de plus de 75 ans, contre respectivement 20,0 % et 7,7 % dans l’espace urbain.   Ces dernières années, l’ensemble de la population française a connu un profil de vieillissement inégal selon les classes d’âge : en effet, la part des 60-75 ans, qui appartiennent à des classes creuses, a diminué, mais la part des plus de 75 ans est passée de 7,1 % à 8,4 %, entre 1999 et 2006. La population de l’espace rural a moins vieilli que celle de l’espace urbain. La part des 60 à 79 ans régresse dans l’espace rural (de – 1,6 point), tandis qu’elle demeure inchangée dans l’espace urbain. Celle des adultes d’âge actif progresse dans l’espace rural (+ 0,6 point) et demeure quasiment inchangée dans l’espace urbain (– 0,1 point). Celle des enfants et des très jeunes adultes est en baisse dans les deux catégories d’espaces, mais cette diminution est moins forte dans l’espace rural. Enfin, seule celle de la population des plus de 80 ans continue de progresser plus vite dans l’espace rural.   Une partie essentielle des dynamiques démographiques nouvelles du milieu rural provient des phénomènes migratoires récents. Entre les recensements de 1999 et de 2006, les pôles urbains et les communes multipolarisées[2] ont vu 13 habitants sur 10 000 les quitter annuellement pour s’installer dans l’espace rural, et les couronnes périurbaines 18 habitants sur 10 000. Ces mouvements ont correspondu respectivement à 44, à 4 et à 16 nouveaux habitants sur 10 000 résidents en zone rurale – soit, au total, 64 néoruraux par an sur 10 000 habitants. Ce phénomène, qui ne concernait annuellement que 27 habitants sur 10 000 dans la décennie 1990, s’est donc fortement amplifié.   Avec quel bagage et dans quelle perspective ces nouvelles populations arrivent-elles ? Certains sont partis de la ville parce qu’ils ne parvenaient plus à y vivre, et notamment à s’y loger. Une partie de ces migrations sont de relative proximité, mais beaucoup n’ont pas hésité à venir de loin pour changer de vie.   Concrètement, l’arrivée de ces nouveaux habitants ne s’articule pas toujours de façon très favorable avec la structure socioprofessionnelle du monde rural, déficitaire en main-d’œuvre qualifiée. En outre, les couples ne sont pas systématiquement dotés d’un emploi pour chacun et se retrouvent ainsi à la campagne dans une situation de fragilité économique et sociale qu’ils n’avaient pas prévue.   DES CARACTÉRISTIQUES SOCIO-ÉCONOMIQUES RELATIVEMENT TRANCHÉES   En termes d’emploi, l’espace rural est massivement un espace ouvrier (plus de 30 % des actifs) et employé (un peu moins de 30 % des actifs). Si, globalement, 17 % des emplois se situent dans l’espace rural, la part de l’espace rural dans l’emploi ouvrier est de 23 %. Il ne s’agit pas pour autant principalement d’ouvriers agricoles ou de salariés des industries agricoles et alimentaires : 17 % des ouvriers seulement y sont employés dans ces secteurs.   L’activité est avant tout orientée vers les services à la population. L’économie résidentielle (les services aux particuliers, le commerce de détail, les activités financières et immobilières, ainsi que les services administrés – éducation, santé, action sociale principalement) y est largement dominante. Elle est suivie d’une économie industrielle, qui emploie environ le tiers de la population active. Le secteur éducation-santé-action sociale offre de loin les emplois les plus nombreux (19 % des emplois, majoritairement de catégories « professions intermédiaires « et « employés «). Dans les différents secteurs de l’industrie, viennent d’abord le commerce (12 % des emplois, majoritairement « employés « et « ouvriers «) et, seulement après, l’agriculture (11 % des emplois, dont deux tiers d’« agriculteurs exploitants « et un quart d’« ouvriers «), l’administration et la construction.     En zone rurale, l’agriculture et l’industrie occupent une place plus importante que le secteur tertiaire. Or, ces trente dernières années, ces deux grands secteurs ont connu des taux de croissance moyens négatifs, entraînant des difficultés économiques. Dans le Nord et dans l’Ariège, par exemple, les territoires où la pauvreté est fortement présente sont – ou étaient – des territoires industriels. Dans le même temps, l’agriculture a réduit de façon drastique ses emplois. Mais, contrairement aux réductions d’emploi dans l’industrie qui ont mis au chômage les salariés, les réductions d’emploi dans l’agriculture se sont opérées en partie à l’occasion de départs en retraite d’agriculteurs. Les exploitants agricoles restent naturellement proportionnellement beaucoup plus nombreux dans l’espace rural, en particulier hors bourgs et petites villes.   Toutefois, 40 % d’entre eux habitent dans l’espace urbain, majoritairement dans les couronnes périurbaines. Les agriculteurs exploitants en activité ne constituent au total qu’un peu plus de 7 % de la population en activité dans l’espace rural. Les cadres ainsi que les professions intellectuelles supérieures sont, en zone rurale, non seulement la catégorie la moins nombreuse, mais celle qui est proportionnellement la plus déficitaire. Contrairement à ce que tend parfois à suggérer la vision d’un nouveau travail à la campagne appuyé par les nouvelles technologies pour tous, les cadres et les intellectuels, concentrés à 75 % dans les pôles urbains, n’ont pas encore fait leur entrée massive dans le monde rural. Il apparaît aussi clairement que les personnes les plus qualifiées s’échappent toujours des territoires de pauvreté. Les cadres des entreprises fermées sont partis avec ces dernières, et les enfants qui vont étudier en ville ne reviennent plus par la suite, à la différence de ce qui se passait il y a quelques années encore.   Les migrations de ménages venant de l’espace urbain tendent à accentuer la part de la population faiblement qualifiée. En effet, l’exode urbain est, pour une grande part, une migration de pauvreté, et les nouveaux arrivants tendent surtout à renforcer les professions faiblement qualifiées déjà dominantes, et notamment les employés. Les personnes sans activité professionnelle représentent plus de 30 % des nouvelles arrivées d’adultes de 15 à 65 ans.   Parentalité en milieu rural : des problèmes spécifiques   À maints égards, parents des champs et parents des villes partagent les mêmes préoccupations. Les premiers, cependant, rencontrent un certain nombre de difficultés particulières, qui sont liées à la configuration et aux ressources des territoires ruraux. Un groupe de travail, issu du comité de pilotage national des Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (Réaap), a réalisé une enquête à l’échelon départemental pour recenser la spécificité de ces problématiques parentales[3]. Toutes sont, peu ou prou, caractérisées par l’isolement dû à l’insuffisance de services de proximité et de l’offre de transports collectifs.   Les premières difficultés commencent autour de la naissance avec l’éloignement des hôpitaux, qui complique le suivi des grossesses, et le manque d’accompagnement des familles après l’arrivée de l’enfant, qui renforce leur sentiment de solitude. Les parents habitant les zones rurales les plus enclavées et/ou les plus petites communes sont également confrontés à la rareté des équipements d’accueil de la petite enfance, concentrés dans les villes et les bourgs-centres, et à la non-adaptation des structures existantes aux situations d’emploi atypiques (en termes d’horaires ou de saisonnalité, par exemple).         Les familles ne trouvent pas forcément non plus le moyen de faire garder leurs enfants par une assistante maternelle – le mode d’accueil le plus courant en dehors de la parenté –, non seulement à cause de la pénurie de places dans de nombreux départements, mais aussi parce que les assistantes maternelles peuvent donner la priorité aux parents ayant des horaires réguliers et à temps plein. En outre, le recours à une assistante maternelle se révèle trop onéreux pour les ménages modestes, particulièrement ceux du monde agricole précarisés par les crises successives que ce secteur a connu ces dernières années.    S’agissant du suivi de la scolarité, les relations des familles avec les enseignants sont aussi complexifiées par la distance géographique, ce dont témoigne un dialogue plus fréquent lorsque les enfants sont dans le primaire qu’au collège ou au lycée. Conséquence de cette insuffisance d’échanges, le défaut d’information sur les possibilités d’orientation des jeunes qui réduit l’éventail de leurs choix. Ces derniers sont également affectés par le manque de transports collectifs qui conduit souvent à privilégier des établissements de proximité. Les temps et les coûts de déplacement ou d’hébergement brident, aussi, les aspirations des adolescents dans le domaine de la formation et de l’insertion professionnelles et des loisirs, et limitent la prévention sanitaire.   Vieillir en milieu rural   Si la ruralité a longtemps été associée exclusivement aux populations agricoles, il convient aujourd’hui de rendre compte de la recomposition sociale des espaces ruraux à l’œuvre, depuis plusieurs années. Différents groupes de population se côtoient désormais sur des territoires plus ou moins ouverts vs enclavés : des populations urbaines, cherchant essentiellement dans des espaces ruraux à proximité des zones urbaines, où se trouvent leurs emplois, un espace foncier accessible à la construction ou plus généralement un lieu de vie abordable économiquement, des retraités qui se tournent vers des territoires ruraux – soit pour retourner s’installer dans leur territoire d’origine, les revenus au pays –, soit pour rechercher un lieu de vie imaginé plus amène et plus propice au vieillissement, pour des raisons économiques et de sociabilité (Lépicier & Sencébé, 2007), mais aussi des populations en situation de fragilité sociale et de précarité, imaginant trouver loin de la ville, un lieu de vie économiquement plus accueillant (Gatien, Popelard & Varnier, 2010).   Ce sont ainsi des groupes d’âges, des groupes professionnels, des groupes marqués par des trajectoires sociales et géographiques diverses, qui sont amenés à partager les ressources territoriales et à faire valoir leurs manières diverses de faire et de penser. Les populations agricoles, longtemps emblématiques et majoritaires dans les espaces ruraux, se trouvent aujourd’hui le plus souvent en situation minoritaire et les modèles socio-culturels qu’elles portaient se confrontent à d’autres modèles issus de l’urbanité (Hervieu & Viard, 2001). L’homogénéité sociale et culturelle se trouve donc peu à peu remise en question. L’espace rural apparaît donc aujourd’hui comme lieu où se développent des usages diversifiés (Perier-Cornet, 2003). La localité n’est plus autant marquée par l’interconnaissance, mais de plus en plus par la coexistence d’habitants aux échelles d’appartenance diverses : des habitants permanents, des résidents secondaires natifs, d’autres non natifs ; des touristes plus ou moins fidèles.   Les retraités sont également concernés par cette diversité des parcours et des origines. Un premier groupe est composé des « natifs «, majoritairement anciens agriculteurs ou artisans et parfois employés d’administration locale. Ils se caractérisent par leur « immobilité géographique «, sont nés et ont toujours vécu dans les mêmes localités rurales. Un deuxième groupe rassemble les « revenus au pays « : ils sont nés et ont grandi dans ces espaces ruraux mais s’en sont provisoirement éloignés pour des raisons des trajectoires professionnelles et sont revenus au moment de la retraite. Enfin, les « installés sur le tard « ne sont pas originaires des lieux mais se sont implantés généralement au moment de la retraite ou quelques années auparavant. Leurs pratiques sociales, leurs manières d’être solidaires, d’entrer en relation avec ses proches ou encore de penser son vieillissement, ne sont pas identiques et révèlent la diversité des parcours de vie. Les modes de vieillir dans les espaces ruraux sont également tributaires du genre : hommes et femmes n’organisent pas de la même façon leur quotidien et n’appréhendent pas également les épreuves de la vieillesse. La question de la précarité des retraités des espaces ruraux doit également être appréhendée, de même que les fortes inégalités de situation qui perdurent entre les différents groupes. Qu’il s’agisse de la pauvreté liée à la faiblesse des revenus du milieu agricole ou des anciens ouvriers, ou encore de la fragilité de l’insertion sociale de certaines personnes installées tardivement, le risque de relégation à la retraite ne peut être totalement ignoré, notamment dans des territoires qui offrent peu de compensation et de soutien face aux difficultés de l’avancée en âge.   Cette disparité des ressources des populations se croise avec l’inégalité territoriale de l’offre de services et les problématiques de mobilité. Les territoires ruraux ne sont pas tous également préparés à faire face au vieillissement voire à la gérontocroissance qui les concerne et les politiques locales prennent diversement en compte ces phénomènes.   Ainsi, l’enclavement, les faibles opportunités de mobilités et de transports peuvent constituer des éléments de relégation des populations âgées des territoires ruraux (Berthod-Wusmer et al., 2009). L’éloignement, les durées de trajets, l’existence ou non de transports publics, constituent en effet autant d’éléments favorables au repli sur la sphère domestique et à la renonciation aux droits et services pour les plus âgés. L’organisation de l’activité professionnelle – d’aide ou de soins – est également tributaire de ces contraintes territoriales. Les intervenants se trouvent ainsi dans l’obligation d’adapter leurs modèles professionnels d’une part aux spécificités des formes du vieillir de certaines populations rurales et aux caractéristiques géographiques et climatiques des territoires et d’autre part, aux carences de l’offre de services. Car dans les domaines de la santé et des services d’accompagnement et de soutien à la dépendance, de fortes inégalités territoriales peuvent être constatées.    Les capacités d’initiative des acteurs locaux, les ressources économiques mobilisables et les orientations des politiques locales, sont en effet diverses. Les dynamiques d’aménagement du territoire sont pourtant directement concernées par l’allongement de la durée de vie. Mais le vieillissement peut être considéré tantôt comme un handicap pour les territoires, tantôt comme support de développement d’une économie renouvelée de services.   Cependant, la diminution de l’offre de services publics dans les espaces ruraux engagée depuis les années 1990 en France se poursuit. La restriction du nombre des hôpitaux publics et des cliniques privées, l’affaiblissement de la densité de population médicale libérale, et plus généralement des professions de santé dans les zones rurales se poursuivent. L’écart entre l’offre et les possibilités de soin entre les zones rurales et urbaines devient majeur. Ces inégalités dans l’offre territoriale d’accès aux soins concernent les espaces ruraux isolés, mais également les zones péri-urbaines (Poncet-Belot, 2008). Pour lutter contre ces carences en voie d’aggravation, certains territoires développent des initiatives novatrices comme les maisons pluridisciplinaires de santé ou les consultations à distance par les canaux des technologies nouvelles (télémédecine). Cependant, ces projets reposent sur la volonté des élus locaux, sur la mobilisation de différents partenaires et de ressources économiques, ainsi que sur les ressources en ingénierie de projet permettant, par exemple, de répondre à des appels à projets européens de type Feader (Fonds européen agricole pour le développement rural) (Roux, Vollet & Pecqueur, 2007).               Au-delà de la carence de l’offre de services, c’est également la possibilité de choix pour les personnes qui peut faire problème. L’accompagnement médico-social, indispensable dans certaines situations de vieillissement pathologique ne fait pas l’objet des mêmes propositions en tous lieux de l’Hexagone. Il est à cet égard intéressant de découvrir la diversité des propositions de soutien des malades d’Alzheimer et de leurs proches dans les territoires ruraux à l’échelon européen. La problématique du vieillissement dans les espaces ruraux soulève ainsi la question de l’égalité de traitement sur l’ensemble du territoire national et interroge les orientations des politiques publiques et leur capacité à prendre en compte et à soutenir des parcours de vieillissement, à distance des modèles urbains dominants.     II)   Relations intergénérationnelles et personnes âgées en milieu rural   A)Formes et fondements des relations intergénérationnelles   LES RURAUX IMMOBILES : INDISTINCTION ENTRE SOLIDARITÉS ET SOCIABILITÉS Les sociabilités quotidiennes mettent en évidence aux yeux des personnes âgées la distinction, voire l’opposition, très vivace sur les deux territoires, entre gens « du pays « et « étrangers «. Les relations avec la famille, les amis, les voisins, et même les contacts brefs avec les commerçants ou les représentants des services publics, ne prennent ni les mêmes formes, ni le même sens pour les personnes natives « du coin « et pour celles qui se sont installées sur le tard. Pour les personnes ayant toujours vécu au pays, une culture paysanne encore vivace s’exprime par la rémanence d’une société d’interconnaissance. C’est d’abord la parenté qui organise les relations de sociabilité : les visites des enfants, des petits-enfants, des germains ou des parents par alliance sont quotidiennes ou presque, la proximité géographique des domiciles des uns et des autres permettant des visites brèves, mais régulières, qui sont autant l’occasion de parler que de rendre de menus services. En outre, les « usages généalogiques de la parenté «, qui mettent en ordre le monde social (Bourdieu, 1980) renforcent l’intégration des réseaux de sociabilité amicaux, familiaux et de voisinage. Les individus sont repérés par leur appartenance à des lignées et à des parentèles. Les voisins, les amis, mais aussi souvent les commerçants, sont également des parents ou des proches dont la proximité avec sa propre parenté peut être retracée. Si les relations peuvent se structurer de manière formelle, dans des associations, des syndicats, des actions politiques locales, comme l’appartenance au conseil municipal, elles s’appuient d’abord sur des logiques de proximité géographique et de familiarité, des gens autant que des lieux, sur le partage par quelques familles d’une vie commune dans un territoire restreint sur plusieurs générations. La connaissance partagée du pays personnalise les relations les plus fonctionnelles, telles celles entretenues avec le facteur ou les commerçants, dans une familiarité qui renforce le sentiment d’appartenir au pays comme il appartient à ceux qui y vivent depuis des générations. « La plupart des paysans vivent là où ils sont nés, là où ils ont été jeunes. Ils parcourent un territoire que leur père, leur mère et leurs ancêtres ont souvent parcouru avant eux. Ils vivent ainsi dans une prégnance considérable de la mémoire des lieux « (Hervieu & Viard, 2001). Le contenu des relations de sociabilité, des loisirs, des activités dans ces associations formelles découle de cette familiarité, organisée autour de pratiques traditionnelles : la belote et le scrabble au club des aînés, les cérémonies des associations d’anciens combattants. Le renouvellement des populations sur le territoire, l’arrivée de jeunes et de moins jeunes venus d’ailleurs, donne alors aux plus âgés le sentiment d’être dépossédé de leur pays, de se retrouver en exil chez eux. Le modèle familial dominant ici est celui de la « famille-entourage locale « (Bonvalet, 2003). La co-présence sur le territoire constitue un atout essentiel pour l’expression de ces liens familiaux reposant sur une certaine réciprocité. Les visites des enfants sont tout ensemble des occasions de rencontre, des manifestations de soutien affectif, en même temps que des moments d’échanges matériels, de partage d’activités, de services rendus qui peuvent se développer y compris sur le registre de l’aide physique et corporelle. « Ils viennent pour nous voir, ils nous aident un petit peu, il y a des choses à faire « (Paulette Collange, 62 ans, mari maçon). L’entraide inter-générationnelle au sein de la famille est importante, mettant en œuvre des mécanismes de réciprocité, directe ou différée, représentant l’acquittement d’une dette résultant d’un don reçu antérieurement (Attias-Donfut, 1994). La dispersion géographique de la parentèle (petits-enfants ou petits-neveux) opère alors une distinction au sein même du réseau familial, les proches géographiques assurant la continuité quotidienne d’une présence et parfois de soins, quand les autres viennent en renfort, de manière plus ponctuelle, quand leurs emplois du temps le leur permettent. Les sociabilités à distance activent des mobilités familiales centripètes chez les natifs. Ces derniers accueillent volontiers leurs enfants mais ils ne s’installent pas chez eux ou ils ne partent pas en vacances en leur compagnie. Leur enracinement dans le pays, l’activité agricole qui les a longtemps rivés à leurs terres sans possibilité de vacances ou de voyage ont construit des habitudes de mobilité restreintes au pays proche, que l’avancée en âge consolide, seulement rompues au début de la retraite, de manière expérimentale, par des voyages en car principalement en France, ou en des occasions exceptionnelles, comme la soutenance de thèse d’un petit-fils, par exemple. Comme le rappelle D. Argoud (2004), « autant la sociabilité de voisinage existe naturellement (sauf dans le cas de personnes très isolées), autant la solidarité de voisinage s’inscrit dans une histoire de vie et sur un territoire qui en rendent l’exercice plus limité et partiellement aléatoire «. Chez les « natifs «, l’indistinction entre sociabilités et solidarités de voisinage, longtemps inscrite comme fondement de la « culture paysanne «, est encore assez présente. Elle obéit à une logique de don et de contre-don, créant des obligations réciproques. En effet « refuser de donner, négliger d’inviter, comme refuser de prendre, équivaut à déclarer la guerre, c’est refuser l’alliance de la communion « (Mauss, 1924). Il s’agit donc de maintenir la paix locale et veiller à la sauvegarde des intérêts partagés. Cette indistinction entre solidarité et sociabilité n’autorise pas toujours pour autant le franchissement du seuil du domicile privé et l’exercice de la solidarité demeure limité le plus souvent à l’espace public ou aux lieux intermédiaires. Les propos recueillis font fréquemment ressortir le regret d’un temps ancien où sociabilité et solidarité se nourrissaient mutuellement. Cette transformation des modes de « voisiner « est sans doute liée à une modification des structures de l’économie locale, à l’ouverture à de nouvelles populations non natives, mais aussi à un accroissement des besoins d’aide avec l’avance en âge. Les solidarités familiales et les aides professionnelles viennent alors se substituer à la solidarité de voisinage. L’expression de la solidarité devient souvent le seul fait du « voisin privilégié « qui cumule deux activités du « voisiner « : « il rend service et il a le privilège de pouvoir rentrer chez autrui « (Drulhe et alii, 2007). La pénétration de logiques assurantielles et la généralisation du discours social sur le risque constituent également un obstacle au maintien de ces solidarités actives de voisinage. Interrogé sur l’aide qui s’échange entre voisins, Paul Labiole répond : « On n’en demande pas… (de l’aide) Là aussi, c’est pareil, vous avez besoin d’un coup de main, la moindre bricole qui se passe, si vous êtes obligé de faire marcher les assurances, eh ben vous êtes dedans, c’est rudement compliqué tout ça maintenant «. La sociabilité de voisinage est donc devenue d’une certaine manière plus distante et moins engageante. Le brouillage des frontières entre le registre des sociabilités et des solidarités formelles et informelles constitue l’une des spécificités des populations natives. Dans l’intervention des professionnels de l’aide aux personnes âgées et plus largement de certains intervenants locaux – facteurs, taxis, secrétaires de mairie… – pratiques professionnelles et relations de proximité liées à une appartenance commune au territoire se mêlent étroitement. Chacun joue sa partie professionnelle mais intervient aussi du fait de sa participation à cette société d’interconnaissance où chacun se sent co-responsable de la personne vieillissante en difficulté. De même que les professionnels de l’aide à domicile assurent des fonctions relevant des solidarités de voisinage, les élus locaux sont amenés à intervenir bien au-delà des frontières officielles de leur mandat. C’est toute une économie de services réciproques qui se développe et à laquelle chacun participe, quelle que soit sa position professionnelle. Maurice Aymard (75 ans, ancien agriculteur, célibataire), qui habite un écart ne regroupant que cinq maisons, est très aidé par sa voisine. Elle est son aide ménagère depuis qu’il est à la retraite et lui rend de nombreux services bien au delà des deux heures pour lesquelles elle est rémunérée : « Faut pas que je me plaigne, elle me fait mes courses. Quand je m’ennuie, je vais chez elle. Elle va partir trois semaines cet été, elle va me manquer. C’est une femme d’exception «. Dans ce cadre, la solidarité formelle est rendue acceptable par l’existence de relations de sociabilités. Dans cette sociabilité développée avec les intervenants professionnels, chacun est d’abord identifié en tant que personne, porteuse d’une histoire. C’est le cas de la médecin ardéchoise, qui n’est pas du coin mais qui a su développer une sociabilité aimable qui facilite l’acceptation de ses interventions professionnelles. « la doctoresse on lui donne des légumes, de tout, dans toutes les familles, elle partirait pas d’ici maintenant, les docteurs de campagne vous savez, s’il arrive un coup dur, elle fait le plus vite et elle arrive. Elle est bien, oh oui elle est dégourdie, elle dit, je vais gôuter avec vous, on fait le thé « (Charles Brunier, 75 ans, ancien agriculteur, Ardèche). La confiance qui lui est témoignée repose moins sur des compétences médicales, que sur des qualités sociales et relationnelles. Le docteur est un bon docteur parce qu’il est « notre docteur «. L’indistinction entre les sphères formelles de services et les sphères informelles de solidarité et de sociabilité est caractéristique des natifs. Le soutien et la solidarité sont immergés dans la sociabilité ordinaire. En revanche, les personnes installées sur le tard présentent des sociabilités distinctes des solidarités et segmentées. LES RURAUX MOBILES : DES SOCIABILITÉS ET DES SOLIDARITÉS DISTINCTES ET SEGMENTÉES Les relations quotidiennes de sociabilité des retraités installés sur le tard à la campagne se différencient selon le statut de leurs interlocuteurs. Les contacts avec les différents professionnels, commerçants, aides à domicile, sans être formels, restent distants. La proximité de voisinage n’implique pas nécessairement des relations suivies. Quant à l’intégration à des associations, elle s’opère en raison de logiques personnelles hédonistes, qui mettent en relation ces « récents « habitants âgés avec d’autres générations, autour d’activités sportives, du théâtre ou du chant. Les relations plus approfondies sont plus volontiers recréées de manière homophile, avec des individus ou des couples ayant connu des trajectoires résidentielles et sociales similaires. La distance entre natifs et installés sur le tard paraît liée à une fermeture du milieu local aux nouveaux arrivants, et à la difficulté de partager les codes locaux, qu’il s’agisse du patois pour les générations les plus anciennes, de l’accent pour les plus jeunes, ou encore des règles implicites d’échange entre voisins. Elle est également la conséquence de la faible intégration locale des réseaux de sociabilité amicaux, de voisinage des personnes installées sur le tard, et de l’existence d’autres réseaux de sociabilité, notamment familiaux, hors du pays. Les domiciles des enfants pour les personnes issues de milieux modestes, les pied-à-terre conservés dans les lieux de vie antérieurs ou dans des villes bien dotées en services pour les plus aisées, constituent ainsi des espaces secondaires (Sansot et alii, 1977), qui permettent aux personnes installées sur le tard d’envisager leur vieillissement hors du pays. Toujours susceptibles de repartir, d’abandonner le pays et ses gens, les personnes installées sur le tard sont peu fiables aux yeux des natifs toujours demeurés sur place, et sont rarement intégrées à leurs réseaux de relations. En effet, les personnes venues s’installer à la retraite sur le tard ont une parentèle, et en particulier des enfants, éparpillée bien souvent au-delà du département, dans des régions françaises lointaines, voire en dehors du territoire français. Si les rencontres familiales sont plus ponctuelles et plus planifiées que celles des natifs dont une partie de la famille au moins réside à proximité, voire sous le même toit, elles sont souvent plus intenses également, offrant des moments de partage de la vie quotidienne, dans la maison de la retraite qui fait office, au moment des congés des enfants, de maison de vacances, voire de maison de famille. Les vacances d’été sont un moment privilégié de l’activation de la sociabilité et de l’entraide familiale, par la garde des petits-enfants, au cœur du rôle de grand-parent (Attias-Donfut & Segalen, 1998). Des événements familiaux heureux ou dramatiques, naissance de petits-enfants, d’arrière petits-enfants, mariage, décès, sont également l’occasion de retrouvailles et d’entraides familiales. Ces rencontres plus épisodiques ne s’accompagnent pas d’une désaffection des relations quotidiennes. Les enquêtés nous rapportent des contacts réguliers, souvent par téléphone, qui attestent d’une intimité à distance et de la présence des uns dans la vie des autres. Ces formes de sociabilité rapprochent les fonctionnements familiaux de ces personnes installées sur le tard de l’économie relationnelle de la « famille entourage dispersée «, analysée par C. Bonvalet (2003). Le déménagement autour de l’âge de la retraite implique pour ceux qui s’installent à la campagne sans attaches préalables une reconfiguration spatiale et matérielle des sociabilités, familiales et amicales, qui fait alterner les relations entre un régime ordinaire, orienté vers une « sociabilité pure « (Simmel, 1991) fondée principalement sur la conversation, à distance via des moyens variés de télécommunication – lettres, coups de téléphone – et des moments plus extraordinaires de vie commune, où se mêlent sociabilité, entraide et partage d’une intimité domestique, chez soi ou ailleurs, aux domiciles des enfants, des germains, voire des anciens amis, ou dans des hébergements de vacances. En effet, les relations laissées dans les lieux quittés à la retraite continuent à être entretenues, même si elles s’étiolent au fil du temps, en raison des décès, des maladies, des mobilités moindres des uns et des autres au fil de l’avancée en âge. Les relations amicales semblent perdurer plus dans les milieux aisés, où l’habitude des relations à distance est forte, sédimentée dans les trajectoires professionnelles qui ont bien souvent amené des déplacements géographiques, plus ou moins lointains, que dans les milieux populaires, où les relations constituées aux alentours du nouveau domicile remplacent progressivement les amitiés de l’ancienne vie. De ce point de vue, la sociabilité familiale, d’où l’obligation morale est rarement absente, résiste mieux que les relations amicales, et ce d’autant plus qu’existe une « cause commune « (Gollac, 2003) comme le soutien à un parent. « Je remontais souvent sur Paris parce que j’avais encore ma mère mais maintenant moins puisqu’elle est décédée « (Michèle Chapuis). Sociabilité et solidarité familiales se recouvrent alors dans ces moments de vie commune, qui permettent autant l’entraide matérielle que l’entretien de l’affection. Pour les installés tardifs, le recouvrement de relations de sociabilités et de solidarités est alors très partiel. Au-delà des éléments objectifs pouvant expliquer cette différenciation, au premier rang desquels la distance géographique, la préoccupation de l’indépendance des générations les unes par rapport aux autres et le souci de la préservation de l’autonomie de chacun de ses membres amène ces familles à se recomposer en des sphères générationnelles indépendantes les unes des autres. Si les solidarités familiales existent lors des coups durs, ou de manière planifiée en fonction des agendas professionnels des enfants, par exemple, un certain nombre de services sont externalisés auprès de professionnels. En particulier, les aides à la vie quotidienne rendues nécessaires par l’avancée en âge sont pensées par les personnes venues s’installer tardivement sur le registre professionnel. Plus les personnes appartiennent à des milieux aisés, plus elles cherchent à organiser elles-mêmes le suivi et la prise en charge de leur santé, et développent des revendications de choix et d’autonomie fondées sur des critères objectifs de compétences, distinguant ainsi les intervenants professionnels de la communauté locale solidaire. L’insuffisance de services et la compétence aléatoire des professionnels font alors l’objet de fortes critiques chez ces personnes issues de milieu social supérieur. Lorsque Madame Héritier évoque les derniers jours de son mari, elle insiste de manière significative sur la « providence «, lorsqu’elle a trouvé une infirmière compétente pour l’assister dans cette épreuve. « j’avais eu une infirmière qui venait, qui était, mais nulle, nulle, nulle ! mais alors, mais nulle ! [rires] Et puis, deux mois avant, y en a une qui est arrivée, qui était infirmière à Marseille, qui en a eu marre pendant un certain temps, qui est venue ici, parce qu’elle avait un, un frère. Et qui a fait un remplacement. Mais… une perle ! Et qui l’a… et qui m’a aidée vraiment, elle aussi, m’a aidée moi aussi, jusqu’au bout… «. Mais même les personnes issues de milieu plus modeste, et notamment les hommes, envisagent ou ont recours à des aides professionnelles pour les aider à faire face au quotidien : il y a là un effet propre du déménagement et de la mise à distance des réseaux familiaux. L’examen des sociabilités des personnes âgées vivant en milieu rural isolé fait apparaître les transformations des communautés locales. Si la culture paysanne reste vivace et commande les relations entre personnes enracinées dans le territoire, fondant solidarités et sociabilités, formelles et informelles, dans une même logique intégrative, elle subit néanmoins des inflexions aux marges. Ainsi, une part non négligeable de ces âgés enracinés développe des relations de sociabilité familiale à distance, plus discontinues, plus intenses, plus partielles aussi que les relations entretenues au sein de la communauté locale. En outre, l’arrivée récente de populations nouvelles dans ces lieux transforme les lieux et les occasions de sociabilité : plus stratégiques, les sociabilités locales des personnes installées sur le tard obéissent à des logiques personnelles de type hédoniste, centrées sur la réalisation de soi, et se distinguent des solidarités, familiales comme professionnelles, ces dernières étant fondées sur une logique fonctionnelle de service et de compétence. À distance de ces deux modèles, les personnes revenues au pays à la retraite paraissent dans une position intermédiaire : pour autant, s’ils sont « bien avec tout le monde «, ils ne constituent pas des intermédiaires eux-mêmes entre les réseaux de sociabilité des autochtones et des nouveaux venus. Ils n’orchestrent guère de circulation entre les réseaux autochtones et étrangers au pays. La diversification des sociabilités résulte alors plus d’un effet de composition des populations que d’une transformation en profondeur des modes de vie de ces différents groupes sociaux : l’hybridation entre logiques urbaines et logiques rurales de ces sociabilités s’effectue aux marges des réseaux de sociabilité des personnes âgées. En revanche, en raison même de ces effets de composition des populations, le milieu rural isolé semble traversé lui aussi, à l’instar des autres espaces ruraux, par une certaine urbanisation des relations sociales, « où les principes de transparence, de réciprocité, de plénitude dans les interactions cèdent la place à leurs contraires : l’opacité, la contiguïté, la multiplicité « (Grafmeyer, & Joseph, 1990, p. 42).     Exemple d'une enquête au sein de deux communes rurales isolées : des relations entre générations hors de la sphère familiale   Si de nombreux travaux ont, depuis des années, mis en exergue les différentes formes de relations entre générations qui s’expriment, de façon ascendante ou descendante, au sein des cercles de familles (par exemple, Attias-Donfut, Segalen, Lapierre, 2002), plus rares sont les recherches consacrées aux pratiques de sociabilité et de solidarité entre générations en dehors de la sphère familiale. Cependant l’allongement de l’espérance de vie favorise la coexistence de quatre à cinq générations, appelées désormais à partager des espaces symboliques et géographiques : la répartition des places sociales entre générations, de même que le status qui leur est accordé, deviennent des enjeux potentiellement conflictuels du vieillissement de la population (Chauvel, 2002). Nonobstant, certains « milieux « paraissent non seulement à l’écart de ces probables oppositions, mais plus encore, favorables à des relations sociales positives entre générations. Le travail empirique a porté sur deux cantons – Montpezat-sous-Bauzon en Ardèche et La Rochette en Savoie – définis aux termes de l’Insee comme territoires ruraux isolés, et plus précisément à l’intérieur de chacun de ces deux cantons, sur trois communes (annexe II). Ils se présentent comme des « campagnes fragiles «, faites de territoires vieillis et peu densément peuplés, caractérisés par un espace rural à dominante agricole ou ouvrière, à distance de pôles urbains. Même si l’un de ces territoires – le canton de La Rochette – paraît amorcer une dynamique de périurbanisation (Datar, 2003), les mouvements de population n’ont encore pas affecté de manière essentielle, les modes relationnels au sein des communes concernées. Nous appuyant sur les journaux d’observation et un corpus de 22 entretiens recueillis (caractéristiques de l’échantillon en annexe II) au cours de ces deux programmes de recherche nous soutiendrons ici, d’une part, que le milieu rural isolé présente des caractéristiques propices au développement de relations durables et amiables entre les générations et d’autre part, que les relations entre générations dans ces milieux demeurent toujours articulées à d’autres rapports de parenté. Dans la première partie de cet article, nous tenterons de rendre compte des formes de sociabilité et de solidarité repérables sur les territoires enquêtés, en cherchant à donner à voir et à entendre fidèlement les manières et les raisons d’agir de leurs habitants, telles que nous les avons observées et comprises, dans une approche à dominante ethnographique. Dans la seconde partie, nous proposerons un cadre d’analyse exogène, référé aux théories du vieillissement en tant que « transactions biographiques « d’une part et à la notion de « territoire identitaire « d’autre part. Quotidienneté et coprésence Si les deux territoires se caractérisent par une proportion différente de personnes de plus de 65 ans : 30 % de plus de 65 ans pour le canton de Montpezat contre 21 % pour celui de La Rochette ; les deux ont en commun un faible renouvellement de la population (+0,4 % pour le premier et +1,7 % pour le second, en moyenne annuelle entre 1999 et 2007). Le maintien « au pays « de familles souches comportant plusieurs générations et se renouvelant de façon endogène par le fait des naissances, constitue le cadre prometteur des sociabilités intergénérationnelles. Les retraités de ces zones rurales partagent une très faible mobilité et la grande majorité d’entre eux vit dans ces territoires depuis de très nombreuses années. Plus encore, leur implantation est assez fréquemment antécédente à leur naissance puisque leurs parents et grands-parents demeuraient également en ces lieux. Sur les deux territoires investigués, rares sont les retraités installés sur le tard. Ces retraités ne s’éloignent que peu de leur lieu d’habitation et leurs relations, inscrites dans le cadre de pratiques sociales sédentaires, sont déterminées par le caractère restreint du périmètre dans lequel ils se déplacent. Les « relations passantes « Le jardinage, tout comme la marche, structure le quotidien des retraités des milieux ruraux, et fonctionne comme support de rencontres. Les sociabilités s’expriment ici un mode aléatoire accepté. La rencontre n’est pas programmée et n’obéit qu’accessoirement, en ce qui concerne l’évitement, à des stratégies relationnelles. "– Vous venez faire un tour ? – Je suis pas en forme aujourd’hui, j’ai pas dormi, avec ce vent. – Oh, ben moi, non plus. Mais juste un moment, faut profiter du soleil – Oui, mais on passe de l’autre côté alors, j’ai pas envie de voir la mairesse avec ses gosses." (Mmes Vivier et Giraudon, Savoie, 05/2008) En revanche, des stratégies de positionnement se développent. Elles deviennent habitudes ritualisées au fil du temps et permettent aux anciens de conserver un lien régulier avec les plus jeunes, lorsqu’ils le souhaitent. Être devant chez soi à 13 h 20 permet de saisir le retour des enfants vers l’école, accompagnés ou non, et d’engager une conversation à « distance «. "Les deux maisons sont réunies par un corps de grange. Elles sont tout au bord de la route qui traverse et relie les deux hameaux qui constituent le village. À l’heure de reprendre l’école l’après-midi, c’est sur cette route que passent les enfants et les mères qui les accompagnent. C’est généralement l’heure où Mme Vivier, 78 ans, veuve, arrose ses fleurs le long du mur de la grange et où Mme Giraudon, veuve également, 89 ans, va chercher le balai dans le garage devant la maison pour son ménage d’après le repas. Elles sont toutes deux dehors, et échangent quelques propos sur le temps, le jardin jusqu’à ce que la conversation s’ouvre au convoi des élèves accompagnés. "(Observation V.S., Savoie, septembre 2007) L’informel recouvre la plus grande part des relations entre générations qui s’imposent dans un quotidien partagé, car homogène. La structuration des activités en milieu rural obéit à trois principes fondamentaux : la saisonnalité, la distribution des rôles sociaux selon le genre et le partage fonctionnel des espaces privés et publics. Les échanges sont faits de parole et de silences et leur durée varie selon le contact et le moment de la journée. Une grande part de la vie quotidienne se déroule à l’extérieur, dans l’espace ouvert du jardin, des alentours de l’habitation, des champs et se trouve ainsi offerte au passage, au regard et à l’interpellation. "Eh ben, on voit beaucoup de gens du village, qui viennent au cimetière. Oui. [Q : – Et c’est qui ? C’est des amis, c’est des relations, c’est…?] – Oh oui, c’est… c’est des relations, on n’a pas des relations bien… [L : – et beaucoup d’autres gens, même qui viennent au cimetière, qui sont pas d’ici, et que… on discute. C’est incroyable, les rencontres que je fais dans cette église.]" (M. Labiole, Mme Hugon, Ardèche, 07/2006) Les contraintes géographiques et climatiques, de même que les limites du peuplement, amènent les personnes à se satisfaire et à se réjouir de ces relations que nous nommerons « passantes «. Il suffit parfois de voir la cheminée fumer ou d’avoir la porte de son voisin qui ouvre de son côté ou encore de profiter du passage lié à certaines activités saisonnières, telles que la chasse et la pêche, pour que le sentiment d’être en relation s’exprime. Ces relations qui mettent en présence « en passant « des générations différentes sont des relations paradoxalement engagées et « à distance «, où la solidarité se manifeste de façon implicite. Elles trouvent à s’épanouir au mieux dans l’espace intermédiaire du dehors. Le jardin, qui n’est plus la maison au sens strict du terme, mais cependant encore la maison puisqu’il la prolonge et témoigne des activités de la famille, en constitue fréquemment le lieu privilégié (Chiva, 1987). Le « faire ensemble « : sociabilités et solidarités indistinctes entre voisins Du fait de leur parcours de formation, les générations actives professionnellement occupent, pour une bonne part, un emploi à proximité de leur lieu de résidence. Plus de la moitié des actifs du canton de Montpezat travaillent dans leur commune de résidence contre 26,6 % de ceux du canton de La Rochette. L’activité professionnelle est calquée sur une organisation temporelle assez proche de l’activité agricole. Les horaires adoptés favorisent une structuration identique du temps entre les générations. Le travail rémunéré n’occupe idéalement qu’un temps réduit de la journée et laisse place ensuite à d’autres activités extraprofessionnelles, le plus souvent manuelles, qui autorisent, voire nécessitent le partage. Ainsi, la construction de la maison, le labourage, le jardin, la coupe du bois sont des activités où le coup de main est toujours bienvenu et où la logique de mobilisation de la force, du savoir-faire ou de l’outillage disponibles, prime sur d’éventuelles frontières d’âge. Une économie informelle d’échanges de services sert ainsi de support aux relations entre les générations. Elles s’engagent au-delà des relations interindividuelles, dans des liens transgénérationnels qui unissent des familles entre elles et concernent un voisinage étendu. Ce milieu rural est concerné par le rapport inversement proportionnel entre la densité relationnelle entre voisins et la densité de l’habitat (Héran, 1987). Les personnes en situation de dépendance sont aidées par des voisins plus jeunes qui les accompagnent pour les courses ou pour des consultations médicales, ou qui contribuent au déneigement. Les petits services du quotidien sont vecteurs de communication. "Hier, je voulais aller chercher mon journal, le voisin m’a dit de ne pas monter, il le prendrait… Les voisins quand ils sont là, ils viennent chercher le journal, et puis on cause." (Mme Germain, Savoie, 03/2008) Le voisinage apparaît donc, pour les anciens, comme un potentiel, une ressource importante. L’exemple de Mme Cartier qui a eu recours à ses voisins à la mort de son mari, souligne l’implicite de la solidarité réciproque dans les relations de voisinage, devenues au fil du temps, relations de compagnonnage du fait de la proximité.   Le collectif partagé Le territoire rural structure le quotidien de l’entre-soi, à partir des rythmes saisonniers et journaliers liés aux aléas climatiques, aux activités professionnelles et scolaires ainsi qu’à la séparation entre temps individuels, familiaux, collectifs ou communautaires. Au-delà de ce qui se vit et se partage en famille, entre voisins ou avec les « passants «, des activités communes se développent, destinées à marquer les temps forts, à distinguer la quotidienneté et les loisirs ; les jours ordinaires et de fête. Si une division sexuée des activités s’opère, aucune ségrégation générationnelle n’est observable.     Loisirs collectifs : générations unies et genres séparés La messe, le tour du village en famille, le repas, la venue des enfants de la ville, les visites au cimetière, constituent autant d’activités partagées par l’ensemble des habitants. Le dimanche est le temps du loisir partagé qui sépare les genres, mais non les générations. En effet, pendant que plusieurs générations de femmes arpentent le village, les hommes, d’âge et de générations différentes, se retrouvent au jeu de boules ou à la chasse. "Dimanche après-midi, 21 juin, 16 heures. Lorsqu’on quitte la nationale, une route à angle droit mène au hameau. Deux cents mètres après la bifurcation, sur la droite, une vieille maison, au crépi défraîchi, gris-jaune. Pas d’enseigne en devanture. Devant, sur le trottoir, deux tables rondes et quelques chaises. De l’autre côté de la route, un jeu de boules. Une douzaine d’hommes jouent. Certains portent la casquette et sous la chemise à carreaux ouverte, un maillot de corps blanc passé : ce sont les plus âgés. Le doyen « a 85 au compteur « comme dit un plus jeune. Rose et Marcel, à qui appartient la maison sont respectivement âgés de 81 et 84 ans. Ils « ouvrent « seulement les samedis et dimanches et rares sont les « étrangers « ici. Tous se connaissent, s’interpellent par leur nom. Deux équipes de jeunes, en jeans et canettes de bière à la main, affrontent les « vedettes «, Michel et Maurice, âgés de 65 ans environ. Les voix portent haut. Les équipes se défont et se recomposent, sans difficulté. Pendant que les jeunes consomment de la bière, les plus vieux commandent un blanc sec ou limé. Il y a du défi parfois dans les propos. « Je vais te montrer moi, ce que les croulants peuvent encore faire «, mais la réponse ne vient pas du côté des plus jeunes, qui paraissent s’incliner devant les manières de faire, l’expérience des plus âgés." (Observation, Savoie, juin, 2007) L’endroit est plus qu’un bistrot, c’est le lieu du jeu, des joutes verbales, des confrontations entre générations et des rassemblements. C’est là que l’histoire du village se résume, s’élabore et se transmet (Dibie, 2005). C’est là que se constitue une matrice « intergénérationnelle «, fondée sur les apports essentiels des aînés, mais épicée des aventures et de l’audace de la jeunesse. C’est ici qu’un ethos partagé se forme, dans la distinction recherchée entre « eux et nous «, les urbains opposés dans le discours aux ruraux (Hoggart, 1970). Les loisirs masculins regroupent ainsi toutes les générations et les logiques de socialisation et d’identification s’y développent. Les manières de se tenir, les mots utilisés par les plus jeunes diffèrent peu de ceux des générations antérieures. Les équipes de chasse mixent ainsi trois générations : les plus jeunes commencent à chasser dès l’âge de 16 ans et les plus vieux poursuivent cette activité tant que les rhumatismes le leur permettent, au-delà de 75 ans parfois. Ces activités exclusivement masculines trouvent un prolongement dans des temps plus festifs. Les repas, organisés les soirs de concours de boules ou en début ou fin de saison de chasse, réunissent les hommes directement concernés, mais également leurs conjointes ou compagnes. Quatre à six fois l’an, ce sont donc trois générations mixtes qui se retrouvent pour un repas partagé. Ces moments se prêtent aux récits mêlés des temps anciens et modernes, et ainsi à la pérennité et au renouvellement de l’histoire commune. Des festivités traditionnelles comme supports à la succession et à la transmission entre générations Les fêtes locales sont, en Savoie, un prétexte ritualisé de rencontres entre les générations. Chaque village organise en été sa fête patronale, qui est l’occasion de réunir autour de traditions culinaires, de bals populaires et d’activités destinées aux enfants, toute la population locale et des villages avoisinants. M. et Mme Duport, arrivés en Savoie, depuis 15 ans environ, évoquent l’existence de fêtes importantes dans l’organisation desquelles ils s’investissent. 36 Des fêtes plus restreintes, propres à certains hameaux ou groupes d’habitation, sont également propices à la mixité des âges. Ces fêtes qui scandent l’année, fonctionnent comme des institutions support de la pérennité des structures villageoises, contribuant également à la socialisation des plus jeunes, à travers le partage entre générations de savoir-faire et l’apprentissage dès le jeune âge des modes de participation à la vie collective. La participation au « bien commun « Diverses formes d’engagement au service de la vie commune soutiennent ces échanges extra-familiaux entre les générations. Les personnes rencontrées lors des entretiens témoignent de ces engagements présentés comme « naturels « au service du bien commun, qui les mettent au cœur de réseaux de relations hybrides, où le proche et le distant se mêlent, tout comme les âges. "Et puis alors, également, on avait créé un… à partir de 81, on a créé les services d’aide ménagère. Ça rend énormément de services (...) Bon alors, finalement, je me suis occupé de l’aide-ménagère, avec Mme B. Alors elle, elle avait les relations personnes âgées-aides ménagères, et moi j’avais les dossiers."(M. Exertier, Ardèche, 07/2006) L’organisation du service d’aide à domicile est ici un creuset de la rencontre des générations : les demandeurs d’aide âgés et d’emplois, appartenant aux générations plus jeunes, restées au pays. De même, la composition des équipes municipales, le fonctionnement de ces structures du pouvoir municipal, doivent beaucoup aux caractéristiques sociales des localités, c’est-à-dire l’interconnaissance et l’homogénéité (Bages, Drulhe, Nevers, 1976). Ajoutés aux contraintes des faibles effectifs de population et donc de candidats potentiels, ces éléments favorisent la mise en forme d’une mixité des âges et des populations. Le conseil municipal de P., composé de 11 membres, réunit trois femmes et huit hommes, dont les âges s’échelonnent de 30 à 70 ans. La succession des générations paraît s’organiser sans heurts au sein de ces instances municipales. La rareté des associations au sein de l’espace villageois, les formes réduites et univoques d’animation de la vie locale génèrent la mobilisation conjointe des différentes générations. Qu’il soit formel ou qu’il privilégie l’échelon municipal ou la dynamique associative, l’engagement des plus anciens repose sur la conscience aiguë d’un rôle à jouer et du service à rendre. Mais, à travers ces diverses formes d’engagement, ce sont aussi les enjeux de l’appartenance à un collectif intégrateur qui se profilent ainsi que l’exigence de la continuité des lignées familiales et de la succession des générations. "Non, on aide au comité (des fêtes NDLR) Notre fils est au conseil, il est aussi au sou des écoles et moi je suis président des boules." (M. Carron, Savoie, 10/ 2007) En conséquence, les relations entre les générations participent étroitement du sentiment d’intégration des plus âgés à la vie locale (Gucher, Laforgue, 2010). CONCLUSION Les relations entre générations s’expriment au sein de ces territoires avec l’apparence de l’évidence et du naturel. Cependant, il importe de souligner ce qu’elles doivent aux caractéristiques des milieux où elles se développent et à la stabilité des structures sociales et familiales qui les caractérisent. Ces relations intergénérationnelles paraissent ici dépendre fortement d’une certaine reproduction de la distribution classique des rôles dans le cycle de vie. Le faible niveau de scolarisation des plus jeunes, leur orientation professionnelle vers des métiers peu qualifiés trouvant des débouchés dans l’offre d’emploi locale favorisent leur maintien au village. « Le village par définition, si l’on peut dire, vise à la reproduction sur place de la lignée longue des familles et des places sociales. Durant des siècles son territoire n’a pas eu vocation à s’agrandir, car il est bâti pour l’homme à pied « (Hervieu, Viard, 2001). Cet élément est facilitateur du dialogue entre les générations. Enfin, les territoires enquêtés paraissent ne pas être menacés dans leur cohérence sociale par une arrivée importante de populations nouvelles ou « étrangères « au « pays «. Les nouveaux venus, très minoritaires, jouent encore une stratégie d’intégration locale qui s’appuie sur la recherche de conformité avec les natifs. Cependant, leur ouverture à de nouvelles dynamiques de peuplement ou leur récession démographique constitueraient autant de facteurs néfastes au maintien des échanges entre générations. Les ancrages spatiaux et sociaux mêlés, constituent des supports fondateurs du maintien des sociabilités dans la vieillesse. Ils contribuent à la permanence du sentiment d’appartenance des personnes âgées dans des espaces à forte dimension mémorielle et patrimoniale et soutiennent plus généralement des formes inclusives du lien social. Le territoire apparaît comme support de la cohérence entre l’« identité pour autrui « des personnes âgées et leur « identité pour soi « (Dubar, 2002), garantissant ainsi un passage sans heurts des « épreuves « (Caradec, 2007) du vieillissement. Les relations entre générations en dehors de la sphère familiale apparaissent alors comme conséquence des logiques de continuité présidant aux processus de transformation des individus et des lieux.     B) Actions intergénérationnelles en milieu rural   Les actions intergénérationnelles ont connu un certain essor depuis plus d’une vingtaine d’années, en France et dans de nombreux pays, en Europe et dans le continent américain. Elles s’étendent progressivement à l’ensemble des territoires, gagnant désormais les zones rurales. Leurs programmes visent explicitement à favoriser le rapprochement des générations dans le cadre de projets variés, d’ordre culturel, éducatif, ludique ou professionnel, à un niveau local. Les promoteurs en sont très variés et relèvent souvent, mais pas uniquement, du milieu de l’animation socio-culturelle. Selon une enquête réalisée en Belgique, la majorité de ces actions relève du secteur privé, principalement d’associations non lucratives, les autres institutions impliquées étant soit des collectivités locales, soit différents groupements, familiaux, de jeunesse, politiques... Les données recueillies sur ce thème depuis une vingtaine d’années montrent que l’intergénération dans la société moderne contemporaine tend à devenir une modalité spécifique d’action associative, qu’elle soit bénévole ou professionnelle, caractérisée par une forte charge symbolique. SIGNIFICATION SOCIALE DU MOUVEMENT INTERGÉNÉRATIONNEL 5Les actions intergénérationnelles reposent sur une idée généreuse, ainsi que le soulignent Bernadette Puijalon et Jacqueline Trincaz (2000) : les jeunes devraient bénéficier de l’expérience des vieux, qui de leur côté seraient dynamisés par la fréquentation des jeunes, dans un enrichissement mutuel, combattant les tendances actuelles à la ségrégation des âges et aux stéréotypes anti-jeunes et anti-vieux. Leur enquête menée sur un large échantillon d’actions intergénérationnelles réalisées dans différentes régions de France aboutit à des conclusions plutôt optimistes : des actions utiles ont été accomplies, notamment en matière d’emploi des jeunes, d’échanges de savoirs, de liens affectifs, etc. Les réticences initiales à s’engager dans de tels projets de part et d’autre ont été surmontées et il en est même résulté un changement du regard des générations les unes à l’égard des autres. Certes, ainsi que les auteures le reconnaissent, « ces actions ne peuvent à elles seules pallier les phénomènes de ségrégation, de discrimination et d’inégalité « (p. 259). 6C’est une autre perspective que proposent Cornélia Hummel et Valérie Hugentobler (2007) qui constatent à leur tour un « engouement pour la question intergénérationnelle « dans l’espace public, notamment en Suisse. Selon leur hypothèse, c’est l’action intergénérationnelle elle-même qui serait à l’origine du « problème intergénérationnel « (ou plutôt de sa construction sociale), auquel elle est censée apporter des solutions. Et si « le remède fabrique le problème «, c’est qu’il participe de la constitution d’un nouveau champ d’intervention sociale et de professionnalisation de la question intergénérationnelle. 7Le rôle joué par les professionnels dans cette dynamique, que soulignent ainsi les auteures, est certes incontestable, mais les arguments de l’intergénérationnel, dont elles rappellent les éléments, n’en demeurent pas moins influents. Les inquiétudes que génèrent les mutations actuelles sont illustrées par les extraits suivants de la citation qu’elles font d’un rapport du ministère Suisse de la famille sur le dialogue des générations : « Les démographes prévoient la diminution du nombre de jeunes (…). Le développement démographique est une “révolution à pas de loup” (Reimer Gronemeyer)… D’un côté individualisation, mobilité, progrès technique et un monde professionnel changeant et de l’autre, la dissolution du voisinage, du milieu social et divergence de la vie quotidienne des jeunes et des personnes âgées. (…). La prophétie d’une désolidarisation et d’une guerre des générations (Reimer Gronemeyer) s’oppose à l’espérance, à la promotion visant de nouvelles formes sociales et d’engagements civiques : une communauté de solidarité des générations comme perspective d’avenir « (p. 78). 8Malgré et sans doute en raison de ces perspectives plutôt alarmantes, la nécessité de (re) nouer les liens intergénérationnels, en dehors de la familleest unanimement reconnue : les jeunes ont un besoin crucial de plus d’adultes, qui, réciproquement ont, à tout âge et surtout à la vieillesse, un besoin essentiel de garder de solides liens avec les générations montantes, ne serait-ce que pour rester « dans le coup «. 9L’évolution des modes de vie a produit une segmentation sociale et résidentielle et a diminué les occasions de rencontres et d’échanges entre générations ; seul l’univers familial offre des opportunités pour que toutes les générations, de l’enfant à l’ancêtre, se retrouvent. Mais les mutations de la famille et la norme d’autonomie des générations ont affaibli leurs obligations mutuelles qui reposent désormais principalement sur les liens affectifs et les sentiments de dette et de réciprocité et sont fragilisés tout en maintenant des liens de solidarité[3][3] Attias-Donfut C. (1995). (dir. ) Les Solidarités entre... suite. La protection sociale en garantissant les revenus ou les formes d’assistance aux uns et aux autres a favorisé cette autonomisation et les processus d’individualisation. 10Mais il n’y a pas que les liens intergénérationnels qui soient affectés par cette évolution, c’est plus généralement le lien social qui risque de se déliter. Les relations humaines (la plus grande richesse des individus) sont en danger de déclin qualitatif et quantitatif. Les profondes mutations sociales, démographiques et culturelles, les changements des modes de vie familiaux, les nouvelles mobilités, les revendications d’autonomie des générations, d’égalité des genres, l’accélération des mutations technologiques, l’ère d’internet… tout ce qui fait du XXIe siècle l’aube d’une nouvelle civilisation aux contours encore inconnus, transforment aussi le lien social et le lien intergénérationnel, augmentent les risques de fossés et d’incompréhension entre générations, les risques de solitude et d’isolement à tout âge et particulièrement à la vieillesse. 11Il se produit par réaction de nouvelles formes d’actions collectives visant au maintien ou au renouveau du lien social et de la convivialité, dans lesquelles prennent place les actions intergénérationnelles. On assiste à la création d’une société civile « associationniste «, définie par Alain Caillé (2011) comme « (…) l’ensemble des organisations supra-individuelles et supra-familiales, qui ne sont pas mues d’abord par la recherche de l’intérêt financier individuel ou privé et qui agissent en vue du bien commun « . 12Quelle que soit l’ampleur prise par le développement des actions intergénérationnelles, ce phénomène ne représente pas pour autant un mouvement social, car il ne repose pas sur des alliances spontanées des générations et n’est pas porté par une base populaire. Il ne constitue pas non plus une force politique ou idéologique, car les actions qu’il regroupe sont multiples et éclatées. Pour en comprendre le sens, il est utile de le rapprocher de la tendance plus générale à la recomposition des sociabilités, qui s’opère en réponse aux besoins de nouvelles formes d’expressions de convivialité extra-familiale et de participation à la société civile et qui s’exprime par des initiatives multiples et variées. LES ENJEUX DE L’INTERGÉNÉRATION EN MILIEU RURAL LE MONDE RURAL N’EST PLUS CE QU’IL ÉTAIT 13Pour prendre la mesure des enjeux de l’intergénérationnel en milieu rural, il faut tout d’abord les situer dans le contexte actuel de la mutation des territoires en France. En 2012, les trois quarts des Français vivent en ville, dans les pôles urbains et dans l’espace péri-urbain. Selon Jacques Lévy (2013), c’est désormais le phénomène urbain qui organise l’espace français, les campagnes étant devenues des figures particulières de l’univers urbain, se différenciant par certains aspects de la ville proprement dite, mais leur devenant comparables par les modes de vie de leurs habitants. « Si l’on regarde l’ensemble du paysage, la différence principale au sein de ce vaste continuum porte sur l’intensité du mélange densité + diversité, donc du niveau d’urbanité. Le principe même de la ville consiste en effet en une concentration d’un maximum de réalités sociales dans le minimum d’étendue. (…) La pauvreté des marges urbaines est cependant bien réelle. Elle devient visible sur les cartes (tout en demeurant largement cachée dans les paysages) quand on se déplace vers les franges extérieures des aires urbaines (hypo-urbain) ou vers les zones les plus éloignées des grandes villes (infra-urbain). C’est ce qu’on appelait naguère le “rural profond” et qui n’est plus vraiment rural ni vraiment profond car les situations sociales qu’on y rencontre n’ont plus grand-chose à voir avec les sociétés rurales d’autrefois et les distances se sont raccourcies significativement là comme ailleurs «. 14L’interpénétration du rural et de l’urbain a mis fin à la séparation entre ce qui semblait être deux mondes différents, si bien qu’on n’oppose plus le rural à l’urbain, mais qu’on parle plutôt de zones à dominance rurale. 15Les mobilités interrégionales, à l’origine de cette formidable mutation des territoires, se sont accrues depuis les années 1970, l’attraction du rural étant déjà manifeste parmi les jeunes retraités, comme l’avait analysé Françoise Cribier. Les baby-boomers ont contribué à l’extension du péri-urbain en migrant hors des villes bien avant l’âge de la retraite, entre 25 et 45 ans, suivis par les générations nées en 60 et 70. La primeur donnée au cadre de résidence, le mouvement de déconcentration des pôles urbains, les plus grandes facilités de déplacement ont participé à cette recomposition des territoires, parallèlement aux mutations de l’économie et de l’emploi. Selon les données de l’enquête Ined/Insee, Histoire de vie, de 1999, la majorité de la population a connu au cours de sa vie des passages entre le rural et l’urbain. Les urbains qui ont toujours vécu en ville sont moins de la moitié de la population (47,3 %), quant aux ruraux qui ont toujours vécu en milieu rural, ils n’en représentent que 2 %. 9,6 % sont passés du rural à l’urbain et à peu près autant de l’urbain au rural (9,4 %) et près du tiers de la population (32 %) a fait des allers-retours entre urbain et rural au cours de la vie. De telles évolutions ont produit une rupture radicale avec le passé, ce qui suscite souvent une nostalgie du village d’autrefois, comme celle qui se dégage de la monographie historique de Cadenet, un village du Lubéron, au cours de la seconde partie du XXe siècle, par J.P. Le Goff (2012). Il oppose le village d’autrefois, « collectivité rude et solidaire «, à celui qui l’a remplacé et dont les habitants sont des nouveaux venus de toutes parts, constituant « un nouveau monde bariolé où individus, catégories sociales, réseaux et univers mentaux, parfois étrangers les uns aux autres, coexistent dans un même espace dépourvu d’un avenir commun «. Le village ainsi recomposé constitue alors un « microcosme du mal-être français «, l’auteur s’interrogeant sur les nouveaux défis qu’un nouveau type d’individualisme pose à la vie en société[4][4] Le Goff J. P. (2012). La fin du village. Une histoire française. ... suite. 16Mais tous les villages n’ont pas connu cette mutation, il reste encore, dans les espaces les plus isolés à dominance agricole ou ouvrière, des « campagnes fragiles « éloignées des pôles urbains qui échappent encore à l’envahissement par les hommes et les influences de la ville. Comme l’observe Catherine Gucher (2012), ce contexte territorial favorise les liens et échanges entre générations, dans la vie quotidienne, dans les relations de voisinage, sous l’effet notamment « … de contraintes d’effectifs et de l’entre soi : le milieu rural isolé présente généralement un appauvrissement et un vieillissement démographique qui justifient l’importance des relations intergénérationnelles « (p. 97). Il est vrai que si ces relations paraissent relever « de l’évidence et du naturel « (p. 101), c’est qu’elles s’articulent à d’autres relations de parenté et qu’elles sont facilitées par l’enracinement local et les relations d’interconnaissance, les nouveaux venus étant peu nombreux. Il reste que la plus grande partie des espaces ruraux ont connu, comme Cadenet, un brassage de populations et ont vu disparaître les anciennes formes de sociabilité villageoise, sous l’influence des mouvements migratoires et de la modernité. 17Mais, à la tentation de la nostalgie à l’égard du « monde d’hier «, les acteurs sociaux opposent désormais la vision d’un avenir orienté vers un développement durable, social, économique et écologique. Aujourd’hui l’attention publique se porte sur la nécessité de réduire les inégalités territoriales, qui représentent un aspect important et encore sous-évalué des inégalités sociales. LES MULTIPLES OBJECTIFS DES ACTIONS INTERGÉNÉRATIONNELLES 22Les objectifs affichés des actions intergénérationnelles sont multiples, ils ont été souvent réaffirmés dans les programmesvariés qu’elles adoptent : lutter contre les stéréotypes anti-vieux ou anti-jeunes et améliorer les images respectives des générations pour favoriser leurs relations et la qualité de leurs liens. Le niveau des représentations est fondamental, car de tels stéréotypes sont omniprésents et font obstacle à la réalisation des programmes. 23Ces objectifs recoupent la typologie des actions proposée par M. Malki (cf. note 2) : 24 transmission, mémoire, identité ; lutte contre la solitude (convivialité, loisirs…) ; aide et solidarité avec les malades ou les plus démunis ; faire ensemble, construire des œuvres, des activités. À ces quatre types d’actions il faut ajouter celles qui portent sur les aspects socio-professionnels : agir ensemble pour l’emploi, par le tutorat, l’aide économique, le soutien psychologique, l’aide à la formation… Ces deux niveaux d’objectifs, celui des représentations et celui des pratiques, sont communs aux actions menées en tout milieu et ont pour but de contribuer à bâtir un idéal de société pour tous les âges. Il s’y s’ajoute un objectif plus spécifique au milieu rural, celui d’attirer les jeunes et les actifs en milieu rural en favorisant le développement de l’éducation et de l’emploi et de contribuer ainsi au développement social, économique et culturel. Aussi les actions intergénérationnelles devraient-elles davantage concerner de façon effective (et non seulement en théorie) toutes les générations, les jeunes, les actifs et les seniors aussi bien que les enfants et les personnes très âgées. Ces deux derniers âges sont plus fréquemment engagés dans ces actions (par exemple dans l’organisation d’activités communes avec les pensionnaires de maisons de retraite et les jeunes enfants des crèches ou des écoles) sans doute parce qu’ils sont plus disponibles, mais aussi parce qu’ils ont moins de réticence à participer à ce type de programmes que les groupes d’âge intermédiaires. Il reste à surmonter des réserves ou du scepticisme de la part de beaucoup de jeunes, d’actifs mais aussi de seniors à l’égard de cette coopération intergénérationnelle pour élargir le champ et la portée de ces actions pour une pleine contribution au développement durable. QUELLE SPÉCIFICITÉ DES ENJEUX EN MILIEU RURAL ? La spécificité des enjeux de l’intergénérationnel en milieu rural est à rechercher dans deux directions, d’une part dans son insertion dans les nouvelles formes de sociabilités extra-urbaines et d’autre part dans sa contribution souhaitable aux particularités du développement durable local. Les nouvelles formes de sociabilités en milieu à dominante rurale sont caractérisées par l’importance du maillage associatif qui compense à la fois le déclin des anciennes formes de sociabilités, réseaux de parenté, de voisinage, de travail des champs et de solidarités diverses, et l’insuffisance des services et de leur accessibilité. Certes les relations de parenté et de voisinage demeurent, sans doute davantage encore que dans les villes, mais elles se sont beaucoup affaiblies avec l’évolution des mœurs et l’accroissement des mobilités. Le mouvement associatif s’articule aux autres formes de sociabilité ; il participe à la fois de la société civile et de l’implication de l’État, en ce qu’il en reçoit des aides et des subventions ; il correspond aux besoins combinés de relations sociales et de liberté des individus. Dans le contexte rural où l’espace social commun produit une plus grande réceptivité aux initiatives collectives, la symbolique de l’intergénération prend une valeur particulière. Elle réaffirme l’unité de la microsociété et sa communauté de destin. Compte tenu de son retentissement en milieu rural, la création de réseaux intergénérationnels peut exercer une influence qui va au-delà des seuls résultats des programmes réalisés et devenir emblématique du « vivre ensemble «. Plus fondamentalement, les interactions entre générations apportent un ancrage dans le temps et dans la société, elles contribuent au développement des individus et participent par là aussi au développement des territoires, si on adopte l’approche par les capacités (voir ci-dessus) et si l’on convient de la nécessité d’un développement durable, qui se doit, selon Amartya Sen (2001), d’améliorer les capacités (ou capabilités) de la génération actuelle sans compromettre celles des générations futures. Il jette ainsi les bases d’une articulation entre un renforcement équitable des capabilités et la mise en œuvre d’un développement qui se veut durable en termes sociaux, comme l’analysent Rajaona K. et DuboisJ.L. (2008) : « pour qu’un développement soit socialement durable, il doit assurer une répartition équitable des capabilités au sein de chaque génération, actuelle comme futures, et en même temps assurer que leur transmission aux générations à venir se fasse de manière équitable. (…) l’approche par les capabilités permet d’aborder le problème de la durabilité sociale du développement sous un angle nouveau. C’est la mise en œuvre de politiques promouvant ou transmettant de manière équitable des capabilités, dans leur double aspect de fonctionnements et de libertés aussi bien pour la génération actuelle que pour celles à venir, qui assure une durabilité sociale au développement «. Assurer l’équité dans les capacités intergénérationnelles passe bien entendu par la transmission. Celle-ci est un des principaux objectifs de l’intergénération. Les enjeux sont importants. Les divers domaines et formes de transmissions et de coopérations entre générations sont un facteur de perfectionnement des capacités individuelles et territoriales. Ces transmissions transitent par toutes les formes d’actions, des plus modestes aux plus ambitieuses, qui favorisent les dialogues et échanges entre générations. Transmettre est le dénominateur commun à toutes les activités intergénérationnelles, même quand elles se présentent sous forme de simple loisir, car ce qui se transmet n’est pas que le savoir ou le faire, mais aussi tout ce qui concerne l’être. 32Pour conclure, il convient de souligner l’importance pour le développement de l’intergénération, d’une politique active visant à favoriser le militantisme associatif et le bénévolat, à améliorer la compétence des acteurs sociaux, à assurer la formation des professionnels, des bénévoles et aussi des élus, qui ont un rôle majeur dans ces domaines. Enfin, il est urgent d’opérer un changement du regard sur le vieillissement, de prendre conscience de l’atout que représentent les seniors et les retraités dans une politique de développement durable et transformer ainsi en avantage ce qui est encore trop souvent perçu uniquement comme un problème.     VERS DE NOUVELLES FORMES DE SOLIDARITÉ ? 16Contrairement aux idées reçues, le monde rural n’est pas toujours un havre de paix où les solidarités locales viendraient atténuer la dureté des conditions de vie. Depuis ces dernières années, d’importantes organisations, comme le Secours populaire, la Croix-Rouge française, la Fondation nationale des associations de réinsertion sociale (Fnars) ou la Caisse centrale de mutualité sociale agricole (CCMSA), ont organisé des journées de réflexion comprenant des axes de travail thématiques en vue de lutter contre la pauvreté rurale et de mieux l’appréhender. Il existe malheureusement des situations extrêmes nécessitant la mise en place de secours d’urgence. Les travailleurs sociaux et les professionnels de la santé reconnaissent cet état de fait ; il est des cas où les plus démunis auraient tendance à se replier sur leur univers domestique et à n’avoir que très peu de contacts avec l’extérieur. Ces personnes finalement très vulnérables sont prisonnières de leur situation et leur repérage est rendu difficile par l’isolement dans lequel elles se trouvent (Pagès, 2005a, p. 88-101). De façon à inverser cette tendance, pour agir plus efficacement en direction de ces populations qui présentent souvent un handicap (physique ou psychique) ou de graves problèmes de santé, il conviendrait de poursuivre les visites à domicile et de multiplier les médiations. La création d’antennes mobiles pour distribuer des colis alimentaires ou la mise en place de transports à la demande est testée un peu partout en France car il s’agit d’un moyen de desservir les communes les plus isolées. Dans un contexte de moindre présence médicale (certaines zones rurales sont désormais autant de « déserts médicaux «), la mutualisation des moyens dans le cadre d’équipes pluridisciplinaires est une autre piste à explorer pour répondre aux besoins de manière souple et efficace. Un deuxième levier, identifié par les associations caritatives et les professionnels du champ médico-social, concerne l’enjeu des programmes d’amélioration de l’habitat. Prenons l’exemple des résultats de l’étude récemment menée en Bourgogne pour le compte de la Fnars (Lambert et al., 2009). À la lecture des différents sujets développés dans cette étude, on voit bien que le logement est un problème réel pour les usagers des services sociaux. Dans les communes où ils se sont rendus, les enquêteurs avaient d’ailleurs noté qu’un nombre assez important d’usagers vivaient, ou avaient vécu, dans un logement insalubre. Ce phénomène, qui concerne aussi bien de jeunes couples locataires du parc privé que des propriétaires occupants, se manifeste par des problèmes d’isolation et de chauffage, parfois même de toiture. 17Malgré la réalisation de rénovations dans les centres anciens de bon nombre de villages, des locataires doivent faire face à des propriétaires peu scrupuleux qui profiteraient de l’absence (ou du manque) de logements sociaux. C’est notamment le cas pour les néoruraux qui, dans certains secteurs, déclarent se heurter à l’hostilité des habitants de longue date et rencontreraient des difficultés pour se loger convenablement. 18Le troisième levier que l’on peut repérer concerne justement ces nouveaux arrivants. Même si les attitudes à leur égard paraissent très ambivalentes (les uns considèrent qu’ils redonnent vie à des lieux abandonnés depuis longtemps, les autres soulignent un style de vie peu conformiste), ces néoruraux auraient tendance à se regrouper entre semblables et à (re)créer des liens sociaux. Il n’y a rien de vraiment semblable avec les communautés décrites par Bertrand Hervieu et Danièle Léger (1979), le contexte ayant beaucoup changé, mais il n’en reste pas moins vrai que, pour ces personnes nouvellement installées, la nature représente un idéal de vie agrémenté d’une petite dose d’utopie et de bien-être personnel. Dans le fait de s’installer dans les villages les plus isolés, en moyenne montagne notamment, il y a probablement une part de rêve avec l’idée de mener à bien un projet original et de vivre de son propre labeur en tant que travailleur indépendant. Mais il peut y avoir aussi un choix délibéré à la suite d’un événement marquant (décès d’un proche, incarcération, vie dans la rue…) ou d’une série d’échecs personnels. Passé les premiers mois, le premier hiver, les premiers soucis, certains reprennent la route, tandis que d’autres envisagent de s’installer durablement et, faute de bénéficier de ressources stables, font prévaloir leurs droits sociaux. 19Malgré l’étiquette souvent négative qu’ils doivent porter, ils parviennent à maintenir de la présence humaine et à inaugurer de nouvelles activités (économiques et culturelles), contribuant plus largement à ce que le regretté Bernard Kayser avait désigné par l’expression de « renaissance rurale « dans un ouvrage du même nom (1990). À ceci près que le modèle de développement qu’ils préconisent se situe à contre-courant de celui qui a prévalu jusqu’à présent.   [1] Source : Insee, recensements. Les chiffres suivants donnés dans cet article proviennent également de cette source. [2] D’après la définition de l’Insee, cette notion recouvre les communes situées hors des aires urbaines (pôle urbain et couronne périurbaine), dont au moins 40 % de la population résidente ayant un emploi travaille dans plusieurs aires urbaines, sans atteindre ce seuil avec une seule d’entre elles, et qui forment avec elles un ensemble d’un seul tenant [3] Publié en mars 2009, le rapport de ce groupe de travail sur la « Parentalité en milieu rural « est disponible sur le site de l’Unaf : www.unaf.fr/spip.php?article8792

«   Qui habite ou vient habiter en milieu rural ?   « Après plus d'un siècle d'exode, le solde migratoire des communes rurales est devenu positif dans les années 1970 ».

Depuis 1975, « près de 65% des communes rurales ont gagné des habitants ».

Si les régions les plus attractives sont dans le Sud de la France et dans les Alpes, « certains territoires demeurent à l'écart des dynamiques d'accueil » et gardent un solde négatif : le Nord, l'Est, le centre de la France, la Basse-Normandie et d'autres zones rurales isolées.   50% des nouveaux installés sont des actifs : entreprises décentralisées, services de proximité, agroalimentaire, ou entrepreneurs individuels.

12% sont des personnes en difficulté ou en situation d'exclusion.

Près de 10% de la population dans certains cantons sont des étrangers (Anglais en Dordogne, par exemple).

Viennent aussi des retraités « issus des grandes villes, surtout Paris, et de l'Europe du Nord (500.000 en 10 ans) ».

Ces derniers s'installent surtout dans les régions touristiques (zones littorales).   59% des familles installées sont des couples avec enfants, 22% des retraités, 12% des jeunes couples sans enfants, 4% des familles monoparentales.   75% des résidents ont choisi une commune rurale par « préférence pour la campagne », 60% pour l'achat de leur maison (du fait du coût moindre qu'en milieu urbain), 32% environ car ils ont un « emploi proche », un peu moins de 30% car ils sont natifs de la région, et un peu moins de 20% car ils y ont une famille proche.   Une donnée importante est que « les ruraux sont avant tout des ouvriers » : près de 35% (contre 25% en milieu urbain), alors que les actifs agricoles diminuent fortement (70% en moins environ en plus de 30 ans).

Par contre, le nombre de personnes âgées est relativement conséquent : près de 30% de 60 ans et plus.

Les activités tertiaires occupent aujourd'hui une position prépondérante dans la structure de l'emploi rural, grâce. »

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