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Montesquieu, Les Lettres Persanes, Étude Sur La Condition Des Femmes

Publié le 18/10/2010

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montesquieu

 

Les Lettres Persanes sont souvent étudiés dans leur optique de critique et d’analyse politique que Montesquieu fait de son époque. Néanmoins, si on observe la structure du livre, on remarque que la fiction du sérail, qui commence et termine l’intrigue principale, tient une place importante dans l’œuvre. On peut alors penser, comme Paul Hoffmann, que la fiction du sérail a une fonction symbolique et qu’elle est le reflet d’une autre critique de Montesquieu. En effet, Hoffmann affirme que « la fiction du sérail […] est une figure de la condition de la femme dans la société. « Il explique, que paradoxalement, le sérail, créé dans le but avoué « de les forcer à la chasteté « entraîne les femmes à « voir dans le plaisir la forme unique de leur liberté «. Et il finit par établir une comparaison entre les femmes orientales et occidentales, les qualifiant toutes deux d’assujetties, et conclut que les Lettres Persanes enseignent aux femmes « le devoir de l’insubordination «.  Aussi, on peut s’interroger sur la pertinence des ces remarques en se demandant si la fiction du sérail offre réellement une image de la condition de la femme et dans quelle mesure elle pousse la femme occidentale à l’insubordination. Il faut pour cela étudier d’abord la figure du sérail oriental et les pouvoirs qui s’y affrontent. Puis, après cette vision de la femme orientale, on peut tenter d’établir un lien avec la femme occidentale et étudier l’image donnée de la condition féminine, pour finalement voir de quelle manière l’insubordination est conseillée à la femme.

 

Le sérail apparaît très vite dans les Lettres persanes et il y revient souvent. C’est le lieu où sont gardées les nombreuses femmes d’Usbek. Il apparaît bien en premier lieu, comment un lieu de servitude. Les femmes y sont considérées comme des esclaves, dédiés au plaisir de leur maître. Elles lui doivent obéissance, comme il leur rappelle à de nombreuses reprises et ne sont là que pour son plaisir. Dés le plus jeune age, les femmes persanes sont mises à l’écart, comme nous l’apprend Zélis, l’une des femmes d’Usbek, dans la lettre LXII, où elle explique à son époux qu’elle a décidé d’isoler leur fille qui n’a que sept ans. Elle nous dit que les femmes doivent être consacrées au sérail. La femme n’a donc aucune liberté, à aucun moment de sa vie, son enfance est très courte. Quand elle n’entre pas dans le monde du sérail dés son plus jeune age, elle est achetée. On peut voir dans les lettres LXXIX et XCVI, le grand eunuque noir faire l’achat de deux femmes destinées à des sérails. Ce n’est donc même pas le maître du sérail qui choisit ses femmes. Elle apparaissent bien comme de simples objets, toutes semblables, aux personnalités cadenassées (voir lettre LXIII).

Ces femmes si enchaînées ressentent alors tout naturellement un besoin de liberté, qu’elles ne peuvent assouvir que dans le désir, et la tentation d’aller trouver leur plaisir ailleurs. Elles n’ont pas le droit d’avoir du plaisir avec d’autres personnes que leur époux, que ce soit entre elles, avec leur servante (voir lettre IV), ou avec les eunuques. Il n’est même pas utile de préciser qu’il est hors de question d’en avoir avec un autre homme. Le plaisir apparaît en tout cas comme une préoccupation majeure des femmes du sérail. Mais ce plaisir reste dépendant de leur époux, qu’elles doivent se partager. Toutes ces frustrations et interdictions amènent logiquement la femme à trouver sa seule liberté dans le désir, qui ne peut être limité par le maître et la recherche du plaisir ailleurs est une conséquence directe de leur enfermement. Comme l’avouera Roxane dans la dernière lettre : « J’ai toujours été libre : j’ai réformé tes lois sur celles de la nature, et mon esprit s’est toujours tenu dans l’indépendance. « Ainsi si leur corps est enchaîné, leur esprit garde sa liberté.

Toutefois, le désir n’est pas leur seule liberté. Les femmes ont un certain pouvoir dans le sérail. D’abord sur les eunuques, qu’elles commandent pour la satisfaction de leurs caprices, comme s’en plaint le grand eunuque noir dans la lettre IX. Il y explique que les femmes, qui doivent lui obéir sur les grandes choses, ont pourtant le pouvoir sur de petites choses, et de plus elles décident de son sort auprès d’Usbek. En effet, les femmes ont sur leur époux même une force. Elles réussissent à l’influencer par justement ce plaisir qu’elles lui donnent. Elles ont un pouvoir charnel sur leur maître, dépendant finalement de leurs corps. Ce pouvoir ne s’arrête pas là. Il s’accroît encore dans la jalousie d’Usbek. Dans la lettre LXII, Zélis met en avant la dépendance d’Usbek : « Dans la prison où tu me retiens, je suis plus libre que toi : tu ne saurais redoubler tes attentions pour me faire garder, que je ne jouisse de tes inquiétudes ; et tes soupçons, ta jalousie, tes chagrins sont autant de marques de ta dépendance. « Les rôles sont inversés et le maître devient esclave. La femme orientale a donc tout de même, dans sa servitude, un certain pouvoir et une certaine liberté.

 

Et qu’en est-il de la femme occidentale, qui elle paraît bien plus libre. Une comparaison est-elle possible ? Oui, d’abord dans leur nature de femmes. La femme orientale et la femme occidentale restent toutes deux des femmes, et un discours général est mis en place, notamment sur la question de la vertu féminine. L’homme, aussi bien en orient qu’en occident, semble faire bien peu de cas de la vertu de la femme. La femme orientale est enfermée dans un sérail pour que sa faiblesse naturelle ne la pousse pas à la débauche avec le premier venu. La femme occidentale elle n’est pas enfermée, et l’on voit ce que ça donne. La lettre LV de Rica nous présente l’infidélité féminine comme un caractère récurrent, et seules les femmes trop laides pour plaire sont capable d’être fidèle, puisqu’elles n’ont pas le choix. Il faut pourtant se rappeller que Montesquieu considérera, dans De l’Esprit des lois, la vertu comme naturelle à la femme, pervertie par l’éducation. Il faut donc prendre ses remarques avec un peu de recul, comme une satire exagérée. Les femmes en tout cas semblent se ressembler sur ce point, que la faute soit culturelle ou naturelle.

Mais, le femme occidentale paraît pourtant bien différente de la femme orientale, et il semble difficile de les mettre sur un même plan comme le suggère Hoffmann quand il affirme que le sérail est une représentation de la condition de la femme dans la société. La femme occidentale paraît d’abord bien plus libre. Elle n’est pas enfermée, pas même voilée, il semble accepté qu’elle ait des amants, se mettant ici à égalité avec l’homme qui a des maîtresses. De plus la question du climat, chère à Montesquieu, sépare également les femmes orientales et occidentales. Si toutes deux aiment le plaisir charnel, les femmes orientales y sont bien plus attachées, par le climat chaud où elles vivent, qui est plus propice aux passions. Enfin la femme occidentale jouit d’un pouvoir plus grand encore que celui de la femme orientale sur l’homme. En effet, Rica explique dans la lettre CVII : « On se plaint, en Perse, de ce que le royaume est gouverné par deux ou trois femmes. C’est bien pis en France, où les femmes en général gouvernent «.  Ainsi la femme occidentale est bien plus libre et puissante que la femme orientale.

Et pourtant, Hoffmann nous dit que l’Orient des Lettres Persanes révèle à la femme « la réalité de son assujettissement «. En effet, la femme occidentale est-elle réellement libre ? Peut-être tire-t-elle les ficelles, et que derrière chaque ministre se trouve une femme, mais justement, elle s’y trouve derrière. Elle n’est pas considérée. On tolère son pouvoir, mais la femme n’est pas au gouvernement. De plus ce pouvoir elle doit le partager avec l’homme d’église. Elles se créent un « Etat dans l’Etat « (lettre CVII), ne sont donc pas sur le même plan que les hommes. C’est loin d’être l’égalité. La femme est enfermée dans ses clichés : le désir de plaire, jusqu’à en être ridicule, le jeu, la mode. Des futilités, puisqu’on ne lui laisse pas la place pour s’occuper d’affaires importantes. Il ne faut pas non plus oublier que les femmes sont dépendantes financièrement de leur mari, bien souvent. Et que les mariages d’argent sont alors très courant. La femme passe de la dépendance de son père, à celle de son mari, et elle n’est pas considérée comme égale de l’homme, même en occident.

 

Dans ces conditions, la révolte de la femme semble inévitable, et souhaitable. Le sérail s’en fait symbole. Le départ d’Usbek semble être la cause de son disfonctionnement, au premier abord. Toutefois, l’est-il réellement ? Une partie de la réponse tient à ce que le sérail représente. Il est, symboliquement, un système despotique. Si l’on regarde ce que dit Usbek, dans la lettre LXXX, on se rend bien compte que le sérail et son système despotique comporte des failles. Il affirme en effet, en parlant de gouvernements, que « celui qui conduit les hommes de la manière qui convient le plus à leur penchant et à leur inclination est le plus parfait «. On remarque qu’il n’applique pas du tout ce concept dans son sérail. Si en effet la femme pour penchant, comme il le croit lui-même, le plaisir et la débauche, ce n’est pas en l’enfermant et en cadenassant son corps, qu’il va réussir à la gouverner. Le sérail, en tant que système despotique, ne pouvait que tomber. On peut regretter toutefois que la seule façon de s’en sortir, paraisse être le suicide, puisque c’est le seul moyen qu’à trouvé Roxane de vraiment sortir du sérail. Ainsi les Lettres persanes montrent-elles vraiment les voies de l’insubordination aux femmes ?

Ce n’est pas la seule raison. Si l’on observe l’une des femmes qui est le plus à l’origine de cette chute, Roxane, la favorite d’Usbek, on remarquera que certes, l’absence de liberté l’a pousser à la révolte, et qu’elle ne supportait pas cet injuste enfermement, mais on trouve également une seconde raison à sa révolte : le manque d’amour. Le sérail n’est en rien basé sur l’amour. Ni pour l’homme, qui comme Usbek durcit son cœur et devient insensible (voir lettre VI), ni pour la femme, qui est achetée par un eunuque ou offerte par un père, et qui donc n’est, au départ du moins, pas amoureuse de son mari. Si certaines aiment, ou croient aimer, on peut se demander si c’est réellement de l’amour, et non plutôt simplement du désir. On trouve en Occident ce même manque d’amour dans le mariage, comme on le voit dans la lettre CXVI. Les femmes se retrouvent enfermés dans des mariages de raison, et l’absence de possibilité d’en sortir détruit tout embryon d’amour. L’amour ne peut naître de l’enfermement, il est libre. Encore un sujet de révolte, cette fois contre l’Eglise.

Enfin, les Lettres Persanes offrent aux femmes un plaidoyer sur l’égalité. C’est l’objet de la lettre XXXVIII, où Rica s’interroge sur la supériorité réelle de l’homme. Il y rapporte les paroles d’un philosophe qui est clairement en faveur de l’égalité entre l’homme et la femme. Et Rica lui-même finit par l’accepter. Ainsi on peut en conclure que c’est aussi l’avis de Montesquieu. La religion se fait encore ici ennemi de la femme, en déclarant cette supériorité, mais la religieux n’est pas la raison. Et quand on raisonne, il semble bien que la supériorité masculine n’est due qu’à des facteurs culturels : l’homme seul reçoit une véritable éducation, est-il surprenant qu’il soit le plus intelligent, le plus fort ? Si donc cette supériorité n’a pas lieu d’être, la femme ne peut qu’encouragée, et c’est-ce que  fait l’exemple du sérail, à refuser cette injuste subordination dans laquelle elle vit. Et même si Montesquieu peut sembler se moquer de la femme dans certaines lettres, c’est surtout de la culture occidentale qu’il se moque, et non de la femme en elle-même.

 

Les Lettres persanes offrent donc bien une certaine vision de la condition de la femme. Par la peinture du sérail oriental, qui nie la femme et l’enferme, ne lui laissant que peu de pouvoirs et qu’une liberté spirituelle, l’œuvre pousse le lecteur à observer la situation de la femme en occident, différente au premier abord, mais finalement semblable par la subordination de la femme à l’homme. Ce rapprochement de l’Orient et de l’Occident montre bien à la femme qu’elle doit se révolter, et non plus subir un joug injuste. Il est vrai que Montesquieu étant un homme, il ne peut savoir réellement quels sont les besoins de femmes, et leur nature vraie. Toutefois il les pousse à se rebeller, pour mieux révéler cette nature, enfermée par les mœurs, la culture et la religion. Cet encouragement à l’insubordination va donc de paire avec son regard critique sur sa propre culture, et les lois officieuses ou officielles qui régissent son pays. La réflexion sur la femme se mêle à l’analyse et à la dénonciation des abus de la monarchie et de la religion, et à la supériorité de la raison, cause première de la vertu, qui devrait régir le monde.

 

Bibliographie :

Montesquieu, Les Lettres persanes.

Paul Hoffmann, Corps et coeur dans la pensée des Lumières.

 

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