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NÉGATIONNISME

Publié le 22/02/2012

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Ils s'appellent eux-mêmes « révisionnistes », terme noble dont ils sont parfaitement indignes. On les appelle désormais « négationnistes » et ce mot dit l'essentiel : ils ne cherchent pas, ne « révisent » rien - à la différence des historiens -, ils nient et mentent. L'extermination des Juifs et des Tsiganes par l'Allemagne hitlérienne a bénéficié, au moins jusqu'en 1943, du silence des uns, de l'incrédulité des autres. Les informations qui ont circulé et qu'il était difficile de contrôler se sont heurtées à une formidable résistance : les faits eux-mêmes étaient difficilement crédibles et sur eux pesait le souvenir de la propagande répandue, singulièrement contre l'Allemagne, pendant la Grande Guerre et dont il avait bien fallu reconnaître, après la guerre, qu'elle reposait sur du « bourrage de crâne ». Ces résistances se sont effondrées après la Libération et il a bien fallu constater que plusieurs millions de Juifs avaient disparu, victimes soit de techniques artisanales de massacre : les bataillons de police tel celui de Hambourg et les Einsatzgruppen (groupes mobiles de tuerie) en Pologne, en Roumanie et en territoire soviétique occupé, soit de l'épuisement par le travail dans les ghettos et les camps de concentration, soit des techniques industrielles d'extermination : chambres à gaz d'Auschwitz, Belzec, Chelmno, Sobibor, Majdanek, Treblinka. À Auschwitz, les Tsiganes avaient connu un destin analogue. Le fait lui-même était admis mais résistait pourtant à l'analyse. Le marxisme, par exemple, pouvait rendre compte de la surexploitation du travail, non de l'anéantissement pur et simple d'un groupe humain lui-même difficile à définir et à identifier. Négations relatives, puis absolues. Aussi les premières tentatives pour nier le grand massacre, négations relatives d'abord, absolues ensuite, sont-elles venues à la fois d'anciens ou de nouveaux nazis, et de petits groupes rattachés à l'ultra-gauche. Le cas le plus remarquable est celui de Paul Rassinier (Le Mensonge d'Ulysse, 1950), socialiste, pacifiste, ancien déporté, qui, plaquant sur la Seconde Guerre mondiale les schémas de la première, voit dans l'accusation pesant sur l'Allemagne hitlérienne une simple répétition de la culpabilité proclamée de l'empire de Guillaume II. C'est ce qui a été démontré par des chercheurs aussi différents que Florent Brayard, Alain Finkielkraut et Nadine Fresco. Si le négationnisme est apparu très tôt, il n'a pris une ampleur relative qu'à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Comment, où et pourquoi cela s'est-il passé ? Les thèses négationnistes peuvent se résumer ainsi : il n'y aurait pas eu de génocide et l'instrument qui le symbolise, la chambre à gaz, n'aurait pas existé. Elle serait née d'une « rumeur », devenue « mythe », puis « escroquerie » au bénéfice du « sionisme international ». La « solution finale » n'aurait jamais été que l'expulsion des Juifs en direction de l'Est européen, aux fins de réinstallation et d'utilisation de leur force de travail. Le nombre des victimes, explicable par les difficultés de l'Allemagne, serait en tout état de cause très limité. L'Allemagne hitlérienne ne porterait pas la responsabilité de la guerre, et la coalition antifasciste n'aurait jamais eu de raison d'être. Plusieurs ingrédients idéologiques. Le négationnisme ne relève pas de la discipline historique, même s'il peut arriver que telle ou telle démonstration d'auteur se disant « révisionniste » soit cohérente. Pour l'essentiel, la conclusion précède et explique la preuve et elle est négativité absolue. Plusieurs composantes idéologiques se retrouvent mêlées : antisémitisme, antisionisme (d'où l'existence d'un révisionnisme arabe), pacifisme, nationalisme allemand, anticommunisme. Ces ingrédients sont présents dans des proportions variées. Il est clair, par exemple, que le nationalisme allemand n'intéresse pas directement un pacifiste américain ou français, mais un pacifiste français peut reprendre à son compte les arguments d'un nationaliste allemand : innocentant le pays voisin, il condamne par lui-même le chauvinisme dans sa propre communauté. Géographiquement, le « révisionnisme » se retrouve un peu partout, de la Suède à la Russie, de l'Australie aux États-Unis. Les pays communistes ne lui donnèrent pas droit à l'expression. Ce qui était nié chez eux, au nom des diverses nations ou des principes du marxisme-léninisme, était la spécificité du génocide des Juifs. Si le négationnisme couvre une aire considérable, il ne s'ensuit pas qu'il ait partout le même impact ou le même rôle. Les publications statistiquement les plus nombreuses se trouvent en Allemagne. Le négationnisme proprement dit n'est là-bas qu'une dimension d'un nationalisme extrémiste visant à faire de l'Allemagne le modèle de l'innocent persécuté. Mais ces arguments touchent un milieu très défini et très délimité et ne semblent pas en sortir beaucoup. Un impact très relatif. Le groupe négationniste le plus riche, alimentant la campagne mondiale, est le centre californien qui publie le Journal of Historical Review. Ce groupe dépend du Liberty Lobby, organisation d'extrême droite antisémite et anti-noirs. Son influence sur les universitaires est nulle. Contrairement à ce qu'on lit souvent, ni la grande presse américaine, ni la grande presse britannique, ni la grande presse allemande, ni les autres médias de ces pays n'ont débattu des thèses pseudo-révisionnistes comme si elles étaient sérieuses. De tels débats ont eu lieu dans les pays où de petits groupes libéraux ou libertaires ont pris en charge, soit au nom de la liberté, soit au nom de la vérité, les thèses négationnistes. Ce fut le cas notamment en Australie (affaire John Bennett, du nom de l'ancien secrétaire des « Victorian Council for Civil Liberties ») et surtout en France (affaire Faurisson, du nom d'un professeur à l'Université de Lyon-II qui annonça dans le quotidien Le Monde la « bonne nouvelle » de l'inexistence des chambres à gaz et fut de ce fait poursuivi et condamné en justice). Une loi visant à réprimer ces activités (loi Gayssot) a été adoptée en France en 1990. Elle était inutile et absurde, puisque donnant à ces escrocs une allure de martyre. C'est cette loi qui a fait à elle seule le succès d'un livre de Roger Garaudy, philosophe qui fit les beaux jours du stalinisme avant de se convertir, après diverses étapes, à un islam dur. Ils sévissent sur Internet où se manifeste principalement un chercheur radié fin 2000 du CNRS (Centre national de la recherche scientifique), nommé Serge Thion. L'écho - très relatif - des thèses « révisionnistes » semble également lié à la diffusion massive en 1977-1978 du téléfilm Holocauste, qui achève de transformer Auschwitz en marchandise et en spectacle. Par contraste, certains se sont demandé si cette vérité dont on inondait les marchés était bien la vérité. Impossible enfin de ne pas tenir compte d'un autre phénomène. Nié par les uns, le génocide hitlérien est instrumentalisé par d'autres. Les autorités israéliennes faisaient, jusqu'à une époque très récente, du passé un usage très présent et très quotidien en présentant toute critique de leur politique, a fortiori tout affrontement militaire avec elles, comme le prolongement ou la justification du grand massacre. Réfléchir sur le génocide hitlérien, en faire l'histoire, c'est aussi l'arracher aux idéologues qui l'exploitent. Pierre VIDAL-NAQUET

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