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Nelson GOODMAN (1906-) Art et réalisme

Publié le 19/10/2016

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Nelson GOODMAN (1906-)

Art et réalisme

« Pour faire une image fidèle, copiez l'objet tel qu'il est autant que vous le pourrez. » [...] Le piège ici [...] est qu'il n'existe pas d'œil innocent. C'est toujours vieilli que l'œil aborde son activité, obsédé par son propre passé et par les insinuations anciennes et récentes de l'oreille, du nez, de la langue, des doigts, du cœur et du cerveau. II ne fonctionne pas comme un instrument solitaire et doté de sa propre énergie, mais comme un membre soumis d'un organisme complexe et capricieux. Besoins et préjugés ne gouvernent pas seulement sa manière de voir mais aussi le contenu de ce qu'il voit. Il choisit, rejette, organise, distingue, associe, classe, analyse, construit. Il saisit et fabrique plutôt qu'il ne reflète ; et les choses qu'il saisit et fabrique, il ne les voit pas nues comme autant d'éléments privés d'attributs, mais comme des objets, comme de la nourriture, comme des gens, comme des ennemis, comme des étoiles, comme des armes. Rien n'est vu tout simplement, à nu.

Les mythes de l'œil innocent et du donné absolu sont de fieffés complices. Tous deux renforcent l'idée, d'où ils dérivent, que savoir consiste à élaborer un matériau brut reçu par les sens, et qu'il est possible de découvrir ce matériau brut soit au moyen de rites de purification, soit par une réduction méthodique de l'interprétation. Mais recevoir et interpréter ne sont pas des opérations séparables ; elles sont entièrement solidaires. La maxime kantienne fait ici écho : l'œil innocent est aveugle et l'esprit vierge vide. De plus, on ne peut distinguer dans le produit fini ce qui a été reçu et ce qu'on a ajouté. On ne peut extraire le contenu en pelant les couches de commentaires. […]

Le réalisme est relatif, déterminé par le système de représentation qui sert de norme à une culture ou à une personne donnée à un moment donné. On tient pour artificiels ou sommaires des systèmes plus récents, plus anciens ou étrangers. Pour un Égyptien de la Ve dynastie, la manière qui va de soi pour représenter quelque chose n'est pas la même que pour un Japonais du XVIIIe siècle ; et aucune des deux n'est la même que pour un Anglais du début du XXe siècle. Chacun aurait dans une certaine mesure à apprendre comment lire une image dans l'un des deux autres styles. Cette relativité est masquée par notre tendance à omettre de préciser le cadre de référence lorsqu'il s'agit du nôtre. On en vient ainsi souvent à utiliser « réalisme » comme le nom d'un style ou d'un système de représentation particulier. Tout comme, sur cette planète, nous considérons habituellement comme fixes les objets qui sont dans une position constante par rapport à la Terre, de même, à cette époque et en ce lieu, nous considérons d'ordinaire comme littérales ou réalistes des peintures qui appartiennent à un style de représentation européen traditionnel. Mais une telle ellipse égocentrique ne doit pas nous induire à conclure que ces objets (ou n'importe quel autre) sont fixes en un sens absolu, ou que de telles peintures (ou n'importe quelle autre) sont réalistes en un sens absolu.

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