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Orwell, la Catalogne libre (1936-1937) (extrait).

Publié le 14/04/2013

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Orwell, la Catalogne libre (1936-1937) (extrait). En 1936, George Orwell s'engage dans les rangs du Parti ouvrier d'unification marxiste (POUM), aux côtés des républicains, dans l'Espagne en guerre. Il consigne le récit de son expérience dans Hommage à la Catalogne (1938) détaillant le dénuement extrême des troupes républicaines et le déroulement des combats. En appendice, il explique les dissensions entre les différents partis politiques et le déroulement des troubles de Barcelone au mois de mai 1937. Dès les premières lignes de son récit, Orwell nous fait partager l'atmosphère qui l'a poussé à s'engager dans les milices alors qu'il était venu en Espagne en tant que journaliste. La catalogne libre d'Orwell Dans la caserne Lénine, à Barcelone, la veille de mon engagement dans les milices, je vis, debout devant la table des officiers, un milicien italien. C'était un jeune homme de vingt-cinq ou vingt-six ans, de forte carrure, les cheveux d'un jaune roussâtre, l'air inflexible. Il portait sa casquette à visière de cuir farouchement inclinée sur l'oeil. Je le voyais de profil : le menton touchant la poitrine, les sourcils froncés comme devant un casse-tête, il contemplait la carte que l'un des officiers avait dépliée sur la table. Quelque chose en ce visage m'émut profondément. C'était le visage de qui est capable de commettre un meurtre et de donner sa vie pour un ami, le genre de visage qu'on s'attend à voir à un anarchiste -- encore que cet homme fût peut-être bien un communiste. Il reflétait, ce visage, la bonne foi en même temps que la férocité, et ce pathétique respect aussi, que les illettrés vouent à ceux qui sont censés leur être supérieurs. On voyait aussitôt que ce milicien ne comprenait rien à la carte et qu'il en considérait la lecture comme un prodigieux tour de force intellectuel. Je ne sais trop pourquoi, mais j'ai rarement vu quelqu'un -- j'entends, un homme -- pour qui je me sois ainsi pris d'une sympathie instantanée. [...] [...] Lorsque nous fûmes sur le point de sortir, il vint à moi et me serra la main très fort. C'est étrange, l'affection qu'on peut ressentir pour un inconnu ! Ce fut comme si la fougue de nos deux coeurs nous avait momentanément permis de combler l'abîme d'une langue, d'une tradition différentes, et de nous rejoindre dans une parfaite intimité. [...] [...] C'était courant en Espagne, des contacts de ce genre. Si je parle de ce milicien italien, c'est que j'ai gardé de lui un souvenir vivace. Avec son uniforme minable et son visage farouche et pathétique, il est demeuré pour moi le vivant symbole de l'atmosphère toute particulière de ce temps-là. Il est lié à tous mes souvenirs de cette période de la guerre : drapeaux rouges flottant sur Barcelone, trains lugubres bondés de soldats loqueteux roulant lentement vers le front, villes grises ravagées de l'arrière, tranchées boueuses et glaciales dans les montagnes. On était en décembre 1936. [...] [...] J'étais venu en Espagne dans l'intention d'écrire quelques articles pour les journaux, mais à peine arrivé je m'engageai dans les milices, car à cette date et dans cette atmosphère il paraissait inconcevable de pouvoir agir autrement. [...] [...] C'était bien la première fois dans ma vie que je me trouvais dans une ville où la classe ouvrière était en selle. À peu près tous les immeubles de quelque importance avaient été saisis par les ouvriers et sur tous flottaient des drapeaux rouges ou les drapeaux rouge et noir des anarchistes ; pas un mur qui ne portât, griffonnés, le marteau et la faucille et les sigles des partis révolutionnaires ; il ne restait de presque toutes les églises que les murs et les images saintes avaient été brûlées. Çà et là on voyait des équipes d'ouvriers en train de démolir systématiquement les églises. [...] [...] Les garçons de café, les vendeurs vous regardaient bien en face et se comportaient avec vous en égaux. Les tournures de phrases serviles ou même simplement cérémonieuses avaient pour le moment disparu. Personne ne disait plus Señor ou Don, ni même Usted ; tout le monde se tutoyait, on s'appelait « camarade « et l'on disait Salud au lieu de Buenos dias. [...] [...] Presque tout le monde portait des vêtements de prolétaires, ou une salopette bleue, ou quelque variante de l'uniforme de la milice. Tout cela était étrange et émouvant. Une bonne part m'en demeurait incompréhensible et même, en un sens, ne me plaisait pas ; mais il y avait là un état de choses qui m'apparut sur-le-champ comme valant la peine qu'on se battit pour lui. C'est que je crus que la réalité répondait à l'apparence, qu'il s'agissait réellement d'un État prolétarien. Source : Orwell (George), la Catalogne libre (1936-1937), Paris, Gallimard, 1955. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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