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"Peut-on parler de disparition de la classe ouvrière en France aujourd'hui ?"

Publié le 21/02/2011

Extrait du document

Au XIXe, la classe ouvrière était désignée comme la « classe dangereuse », d’après un ouvrage de Louis Chevalier. Il fallait encadrer cette classe car elle pouvait regrouper l’ensemble de ces membres et entraîner des mouvements importants de contestation et être ainsi à l’origine de la paralysie du système économique qui se mettait en place progressivement. Ce fut le cas lors de la révolte des Canuts en 1831 à Lyon.

La classe ouvrière désigne l’ensemble des individus qui exercent un métier étant classé dans la catégorie des ouvriers. Cette catégorie regroupe des personnes qui exercent un travail manuel et qui sont salariés, c’est-à-dire d’après la conception marxiste qu’ils ne disposent pas des moyens de production. La classe ouvrière renvoie également au concept de classe sociale qui désigne un groupe social dans une société où les membres se caractérisent par une position commune dans le processus de production, mais aussi par un mode de vie identique et un sentiment d’appartenance à ce groupe.

Depuis la période des « Trente Glorieuses », la situation économique et sociale de la France a profondément évolué. Certains groupes socioprofessionnels ont vu leurs effectifs croître tels que les cadres et professions intellectuelles supérieures, tandis que d’autres ont vu leurs effectifs diminuer : c’est le cas des ouvriers. Cette diminution du groupe des ouvriers a-t-elle entraîné la disparition de cette classe sociale ?

Nous verrons dans une première partie les éléments qui témoignent de la disparition de cette classe puis dans une seconde partie, nous montrerons que cette disparition peut être nuancée.

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La classe ouvrière semble avoir vécu. Les transformations structurelles dans le monde économique nous amènent à penser que le concept de classe sociale n’est plus approprié pour évoquer le groupe socioprofessionnel des ouvriers. De plus, les ouvriers, autrefois acteurs sur la scène publique, se raréfient voire même tendent à disparaître.

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L’économie française a connu de profondes mutations au cours de la période des « Trente Glorieuses ». Ces mutations ont eu des répercussions sur l’ensemble des actifs et de la population inactive.

Tout d’abord, la période d’après guerre a mis en place un régime « fordiste ». Les salariés ont accepté le désintérêt au travail et donc le travail à la chaîne, car en échange ils obtenaient des augmentations de salaire régulièrement. Ces augmentations de salaires notamment pour les catégories d’actifs les plus modestes sont à l’origine de l’augmentation spectaculaire du niveau de vie des ouvriers en particulier. Cette évolution a eu pour conséquence : la mutation des modes de vie des ouvriers. Certains ont parlé d’une homogénéisation des modes de vie. C’est le cas de H Mendras qui a montré que le concept de classe sociale n’avait plus lieu d’être car on constatait un rapprochement dans les modes de vie. Par exemple, les ouvriers avaient un mode de vie très proche des employés. De plus, la plupart des individus ont pu s’équiper en biens électroménagers. Plus de 90 % des ménages en France possèdent aujourd’hui un téléviseur (Document 2). Les individus qui ne disposent pas de télévision aujourd’hui chez eux le font par choix et non par nécessité. On constate à ce propos que les cadres sont moins nombreux que les ouvriers à posséder un téléviseur : 90 % contre 95 % d’après une enquête réalisée par l’Insee en 2004.

Les ouvriers ont également pu accéder à la société de consommation grâce à la mensualisation de leur salaire au début des années 70. Auparavant, il leur était difficile d’accéder à certains biens car ils ne pouvaient avoir recours au crédit, comme ils étaient payés hebdomadairement.

De plus, la fermeture des mines dans le Nord de la France dans un premier temps, puis dans l’Est, a entraîné une disparition des grandes usines. On parle à ce propos de désindustrialisation (Document 3 et Document 4) ; cela signifie que l’économie s’est de moins en moins appuyée sur l’industrie pour produire des biens et des services. Ces ouvriers des grandes industries constituaient une réelle «communauté de classe » d’après l’ouvrage d’Olivier Schwartz. Ils avaient conscience de constituer cette classe et ils se regroupaient entre eux notamment dans le cadre des activités organisées par l’entreprise en dehors du temps du travail. Pour Olivier Schwartz, la fin des années 70 s’est caractérisée par une « déprolétarisation », les ouvriers ne faisaient plus partie des prolétaires qui selon la théorie marxiste devaient renverser le pouvoir détenu par la Bourgeoisie. Les ouvriers qui sont apparus à partir des années 70 sont des individus qui n’ont plus l’impression d’appartenir à cette classe sociale. Il y a une réelle frontière entre le monde du travail et le monde privé. Ce n’était pas le cas avant. (Document 4). Ces mutations économiques ont eu des répercussions directes sur la scène politique ainsi que sur le rôle de la classe ouvrière en tant qu’acteur social.

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Comme nous venons de le montrer, la classe ouvrière n’est plus. Or si elle n’a plus conscience de constituer une classe, elle ne peut plus se réunir pour se manifester.

De nombreuses usines ont été délocalisées, et pourtant aucun mouvement social de grande ampleur portant sur la condition ouvrière ne s’est déroulé. En 1936, les ouvriers étaient à l’origine de ce mouvement social. Les dernières manifestations en France tel que le contrat première embauche ont été davantage suivies et menées par les étudiants. Les ouvriers ne sont plus des acteurs sociaux. Mai 68 est un autre exemple. Les étudiants sont à l’origine de ce mouvement. Les ouvriers de certaines usines notamment Renault à Billancourt les ont rejoints par la suite. Mais pour la première fois, ce n’étaient plus les ouvriers qui étaient à l’origine de ce mouvement. Alain Touraine a évoqué à ce propos que Mai 68 ouvrait l’ère de nouveaux mouvements sociaux qui n’étaient plus basés sur le travail.

De plus, on constate une baisse du nombre de personnes syndiquées. Les syndicats permettaient autrefois de réunir les ouvriers et de renforcer les relations entre eux. Aujourd’hui à peine 10 % des actifs en France sont syndiqués.

Les ouvriers étaient également représentés par le Parti communiste français. En 1969, les deux partis les plus importants pour lesquels les français avaient voté étaient le parti de de Gaulle et le parti communiste. Aux dernières élections présidentielles en 2002 et en 2007, le parti communiste a enregistré un score très faible : moins de 5 % . Cette évolution témoigne d’un retrait des ouvriers de la vie politique. Parmi cette catégorie, de plus en plus d’ouvriers ont recours à l’abstention ou bien au vote contestataire. De nombreux analystes ont d’ailleurs montré que le front national avait « récupéré » de nombreux électeurs qui votaient autrefois pour le parti communiste.

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Les mutations économiques ont entraîné des changements dans les modes de vie, les niveaux de vie des ouvriers. Cette homogénéisation et la fermeture de grands bastions industriels ont eu pour conséquence une diminution du sentiment d’appartenance à la classe ouvrière. Cependant, au vu des dernières évolutions, peut-on réellement affirmer avec certitude que la classe ouvrière a définitivement disparu ?

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La classe ouvrière a disparu si l’on s’en tient à la conception marxiste « classe pour soi », si on décide au contraire de retenir la conception marxiste de la « classe en soi », n’est-il pas faux dans ce cas d’affirmer que la classe ouvrière a disparu ? Le monde ouvrier semble avoir connu de profondes restructurations mais il reste pourtant aujourd’hui le deuxième groupe socioprofessionnel en effectifs derrière celui des employés. Plus de 28 % des actifs sont des ouvriers. D’autre part, la montée de la précarité et du chômage touchent davantage les ouvriers que les autres catégories.

 

Le monde ouvrier, durant les « Trente glorieuses » était composé pour moitié d’ouvriers de la grande industrie. Ce groupe a connu une diminution importante, et de nouveaux types d’ouvriers sont apparus. Les ouvriers techniciens sont devenus de plus en plus nombreux, de même que les ouvriers travaillant dans la logistique. En clair, nous n’avons plus à faire aux mêmes ouvriers. Et c’est pour cette raison que certains ont avancé une disparition de cette catégorie en tant que classe. Pourtant, les ouvriers sont toujours là. Ils sont quasiment deux fois plus nombreux que les cadres parmi les ménages français d’après une enquête réalisée par l’Insee en 2001.

On remarque également que ce sentiment d’appartenance ou non à une catégorie socioprofessionnelle reste plus élevé malgré tout chez les ouvriers. (Document 5). Le sentiment d’appartenance à une classe sociale diminue au fur et à mesure que les qualifications diminuent. Le sentiment d’appartenir à une classe sociale est de 7 points plus élevé pour les ouvriers qualifiés que pour les ouvriers non qualifiés. Mais ensuite, lorsqu’on regarde avec plus de détail cette enquête, on constate que la catégorie des ouvriers est nettement plus souvent citée que les autres catégories telles que cadres, professions intermédiaires et employés. Cette étude nous montre donc que le sentiment d’appartenance à la classe ouvrière n’a pas disparu même s’il a diminué.

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De plus ce sentiment d’appartenance à une classe sociale risque de s’accentuer dans les prochaines années au vu de la montée de certaines inégalités.

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Les évolutions économiques récentes ainsi que les enquêtes réalisées ces derniers temps témoignent de la permanence de différenciation entre les ouvriers et les autres catégories notamment les cadres.

La moitié des ouvriers reste à l’intérieur de cette catégorie à l’âge adulte. La mobilité sociale au sein de cette catégorie est très faible. Les chances pour un fils de cadre d’accéder à une grande école sont cinq fois plus importantes que pour un enfant d’ouvrier. Cette diminution de la mobilité sociale peut s’expliquer de différentes manières. Tout d’abord, la réussite scolaire résulterait du milieu social d’origine. Ainsi selon son milieu, on serait lus ou moins prédisposé à mieux réussir à l’école. Les savoirs enseignés à l’école correspondraient aux savoirs des classes supérieures. Les enfants d’ouvriers n’auraient pas connaissances de ces savoirs et devraient donc étudier d’autant plus pour s’affranchir des normes. De plus la fluidité sociale apparaît de plus en plus limitée. Dans les années 70, beaucoup de fils d’ouvriers ont pu accéder à la catégorie des professions intermédiaires ou cadres du fait de l’augmentation structurelle de cette catégorie et de la diminution du nombre d’ouvriers. Malgré tout, les ouvriers restent le deuxième groupe socioprofessionnel et n’est donc pas prêt de disparaitre, c’est sans doute ce qui explique la faible fluidité au sein de cette catégorie.

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La classe ouvrière, si on se situe dans une perspective nominaliste, existe encore. Dans une perspective plus réaliste, la classe ouvrière à la fin de la période des « Trente Glorieuses » semblait avoir vécu. Pourtant, les dernières mutations de la société ont démontré que la classe ouvrière entant que classe pour soi existait bel et bien. La montée des plans sociaux dans de nombreuses villes ces derniers temps témoigne de la dynamique de ce groupe. Jusqu’où sera-t-il capable d’aller pour se faire entendre ?

Par Demeureses - Publié dans : premières cours Ecrire un commentaire 0 - Voir le commentaire - Voir les 0 commentaires - Partager    

 

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