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Peut-on parler de disparition de la classe ouvrière en France aujourd'hui ?

Publié le 05/12/2010

Extrait du document

Longtemps, notre société industrielle a été analysée en termes de classes sociales. Nous nous intéresserons, dans cette étude, à la classe ouvrière.

 

      La classe ouvrière est apparue en France, au XIXème  siècle, avec la Révolution Industrielle se caractérisant par le passage d’une économie rurale et artisanale à une économie industrielle et capitaliste. Cette classe ouvrière connaîtra, durant les Trente Glorieuse (1945-1975), une croissance considérable de ses effectifs dans la population active.

       La classe ouvrière, qui occupera donc une place prépondérante durant les Trente Glorieuses, est un terme qui désigne l’ensemble des individus qui exercent un métier classé dans la catégorie des ouvriers. Cette catégorie regroupe des personnes exerçantes  un travail manuel et qui sont salariés, c’est-à-dire, d’après le concept marxiste, qui ne disposent pas des moyens de production. La classe ouvrière renvoie également au concept de classe sociale, qui désigne un groupe social dans une société où les membres se caractérisent par une position commune dans le processus de production, mais aussi par un mode de vie  identique et un sentiment d’appartenance à ce groupe (« classe en soi « et « classe pour soi «).

      Depuis la période des Trente Glorieuses, la situation économique et sociale de la France a profondément évolué. En effet, certains groupes socioprofessionnels ont vu leurs effectifs croître, tels que les cadres et professions intermédiaires, tandis que d’autres ont vu leurs effectifs diminuer : c’est le cas des ouvriers. Cependant, cette diminution du groupe ouvrier a-t-elle entraîné la disparition de cette classe sociale aujourd’hui en France ?

      Pour tenter de résoudre cette problématique, nous verrons dans une première partie les éléments qui témoignent de la disparition de cette classe, puis, dans une seconde partie, nous verrons que la classe ouvrière est une réalité sociale, et que sa disparition peut donc être nuancée.

 

      Depuis la Révolution Industrielle, la classe ouvrière a connu de nombreuses modifications. En effet, que ce soit au niveau de son évolution numérique ou au niveau des mutations sociales, culturelles et économiques qu’elle a traversé, toutes ces modifications nous laisse croire à la disparition de cette classe.

      Tout d’abord, pendant le Trente Glorieuses, les entreprises vont chercher l’amélioration de leurs gains de productivités par le biais d’une nouvelle organisation du travail. Celle-ci sera permise par la mise en place du taylorisme et du fordisme. La première méthode se base sur une décision du travail en tâches simples et répétitives. La seconde se base quant à elle sur la ligne de montage et la standardisation des produits. Cette nouvelle organisation du travail nécessite donc un nombre important de main d’œuvres. Ainsi, à cette période, les ouvriers représentent une grande part de la population active.

Cependant, à partir des années 1962, on assiste au déclin de la classe ouvrière. En effet, en observant le document 2, graphique réalisé par l’INSEE représentant la structure de l’emploi par grandes catégories socioprofessionnelles, nous remarquons que les ouvriers, qui représentaient 40% de la population active en 1962, ne représentent plus que 24% de la population active en 2005, soit une baisse de 40% du nombre d’ouvriers en l’espace de quarante trois ans.

Toutefois, cette chute du nombre d’ouvriers n’est pas sans explication :

En effet, c’est aux alentours des années 1975 que l’on observe, sur le graphique, le début de cette chute. Ce qui n’est étonnant, puisqu’en octobre 1973, a lieu le premier choc pétrolier. Ce terme de « choc « traduit une augmentation brutale et importante du prix du pétrole : son prix sera multiplié par quatre en 1973. Ainsi, les entreprises devant réduire les coûts de production, réduisent les coûts salariaux, une réorganisation des entreprises est alors mise en place.

Aussi, dans les années 80, deux phénomènes liés vont participer à la baisse du nombre d’ouvriers : il s’agit de la délocalisation et de la désindustrialisation. Les délocalisations, qui apparaissent à cette période et qui désignent les transferts à l’étranger d’une activité existante en France suivi de l’importation de cette production, nourrissent la désindustrialisation, ce qui conduit alors à des licenciements dans les secteurs économiques traditionnels, et qui va engendrer par la suite, la fermeture des usines et des restructurations. De plus, le fait d’avoir considéré les ouvriers comme obstacle au développement des entreprises, un phénomène de mécanisation et de robotisation ont amélioré le fonctionnement des usines, et surtout la rentabilité de celles-ci.

D’où une baisse considérable du nombre d’ouvriers durant ces années-là, parallèlement à la montée des autres catégories professionnelles (notamment des employés) liés à la tertiarisation de la société. Sans compter l’éparpillement du groupe ouvrier, avec la fin des « bastions «, les grands groupe d’ouvriers dans les mines, la sidérurgie ou l’industrie automobile.

      Mais l’emploi du terme de « disparition « pour la classe ouvrière, peut aussi être justifier par les nombreux changements sociaux, culturels et économiques que cette classe a connu depuis son apparition lors de la Révolution Industrielle :

      Durant la période des Trente Glorieuses, on observe en France une situation de plein-emploi, qui contribue alors à cette période, à une croissance économique exceptionnelle. Par cette croissance, l’augmentation du pouvoir d’achat des ouvriers se traduit par leur entrée dans l’ère de consommation de masse. Nous assistons alors lentement à une crise identitaire des ouvriers.

En effet, comme il nous l’est expliqué dans le document 3, texte écrit par G. Renouard intitulé Analyse économique et histoire des sociétés contemporaines, les communautés ouvrières, voyant leurs conditions et niveaux de vie s’améliorer, vont pratiquer l’exode. C’est le phénomène d’urbanisation. Ce phénomène d’urbanisation entraîne la perte du mode de vie ouvrier qu’il existait auparavant. On observe alors une perte de la culture ouvrière, puisque par exemple, le texte du document 3 précise que « l’accès à la télévision (…) ont ouvert les familles ouvrières sur d’autres réalité que la leur «. En effet, si l’on regarde le tableau présenté document 1, tableau qui a été publié par l’INSEE et qui permet d’observer les critères des groupes socialement différenciés, on observe que 85% des ouvriers ont regardé la télévision tous les jours ou presque au cours des douze derniers mois de l’année 2005. Autrement dit, c’est le groupe qui a le plus regardé la télévision durant cette année-là. Autre donnée du tableau, 48% d’ouvriers, soit près de la moitié, ont pu partir en vacances en 2004. Ces données témoignent bien de l’amélioration du niveau de vie des ouvriers, et, par conséquent, de la moyennisation de leur mode de vie par rapport aux autres groupes sociaux : «(…) la distance sociale qui séparait les ouvriers des autres groupes sociaux s’est amenuisée «. Ainsi, tous ces facteurs amènent à une perte de conscience de classe ouvrière, c’est à dire à la disparition de conscience  de leur propre spécificité face aux autres classes sociales. Ce phénomène étant accentué par la désyndicalisation, c’est-à-dire par la disparition des associations chargées de défendre les intérêts professionnels : c’est la perte de la solidarité ouvrière.

      Nous avons précédemment évoqué la crise identitaire des ouvriers. Cette crise identitaire peut également être justifiée par l’effet de « génération ouvrière « :

     D’après le document 4, texte extrait d’ Entretien avec Olivier Schwartz : la culture ouvrière paru dans Sciences Humaines, les jeunes ne se retrouvent plus dans les valeurs identitaires des anciens ouvriers. En effet, ils n’ont pas connu la force des syndicats d’autrefois et ne se sentent donc pas concernés par ces valeurs. Leur but est désormais tout autre : ils visent à défendre les valeurs post-matérialistes avec la réalisation de leur propre épanouissement : « (…) ils aspirent à une vie privée, à l’épanouissement et à la réalisation personnels «. Ce phénomène de génération illustre la montée de l’individualisme, c’est-à-dire à la reconnaissance des droits individuels, la montée de l’autonomie de l’individu dans ses choix de vie, mais aussi par un repli sur les seuls intérêts personnels. Ainsi, l’image traditionnelle de l’ouvrier, peu qualifié et commençant jeunes sur les traces de son père n’est plus représentative des ouvriers : aujourd’hui, les jeunes sont de plus en plus qualifiés et rarement dans la même entreprise que leur père. En effet, la socialisation des jeunes à l'école leur donne d'autres ambitions que d'être ouvrier. Être ouvrier est de plus en plus vécu comme un échec, et c’est une profession de moins en moins « transmise « de père en fils. On observe donc une perte conscience de classe ouvrière car on essaye plus de cacher sa condition ouvrière que d'en faire une identité propre revendiquée dans la lutte des classes.                                                                                                                                                   Ainsi, plusieurs facteurs témoignent donc du déclin de la classe ouvrière : son affaiblissement numérique spectaculaire depuis les Trente Glorieuses, les nombreux changements sociaux, culturels et économiques que cette classe a connu depuis son apparition lors de la Révolution Industrielle, avec notamment sa moyennisation à l’origine de la perte d’identité ouvrière…

 

    Cependant, se classant comme le deuxième PCS avec sept millions d’actifs, la classe ouvrière est une réalité sociale, et nous allons donc voir en quoi son déclin peut-être nuancé.

    La classe ouvrière est loin d’avoir disparue, comme nous venons de le rappeler, sept millions d’actifs sont actuellement ouvriers. Néanmoins, pourquoi parler alors de déclin de cette classe ? Tout dépend de la définition donnée au mot classe. En effet, selon Karl Marx, deux définitions peuvent être données : il existe la « classe en soi « dans laquelle les individus présentent des caractéristiques communes, et la « classe pour soi «, dans laquelle les individus ont des intérêts communs (conscience de classe) et luttent pour défendre ces intérêts communs (lutte des classes). Ainsi, si l’on peut dire que la « classe pour soi « ouvrière est en déclin (dû à la perte de l’identité et e la solidarité ouvrière), il est impossible d’en dire autant pour la «classe en soi « ouvrière. En effet : depuis la Révolution Industrielle, et malgré quelques modifications, la classe ouvrière a toujours connu des caractéristiques économiques spécifiques, révélatrices d’inégalités :

Tout d’abord, un revenu faible. En effet, d’après le tableau du document 1, le revenu disponible mensuel des ménages ouvriers en 2003 est de 2176€. Autrement dit, les ouvriers sont le deuxième groupe à avoir le plus faible revenu réel pour consommer et épargner après celui des employés. Ou encore, les ouvriers possèdent un revenu disponible mensuel inférieur de 2012€ par rapport à celui des cadres et professions intellectuelles supérieures.

Ensuite, les ouvriers possèdent un risque de chômage et de précarité beaucoup plus élevé. Effectivement, toujours d’après le tableau du document 1, on observe que c’est le groupe ouvrier qui obtient le plus fort taux de chômage, avec 12,3% de chômeurs en 2004, contre 4,8% de chômeurs chez les cadres.

Enfin, les ouvriers sont un des groupes sociaux qui, avec les employés, connaissent les plus faibles spécificités socioculturelles : peu de lectures, très peu d’activités artistiques avec 91% des ouvriers n’ayant pratiqués aucune activitivité culturelle ou artistique au cours des douze derniers mois de l’année 2005, et, un des plus faible taux de départ en vacances en 2004, avec 48% des ouvriers qui sont partis en vacances, contre 90% des cadres.

      Ainsi, ces données témoignent de la réelle existence de la classe ouvrière au sein de la société en France (« classe en soi «), en tant que classe socio défavorisée, et en opposition avec la classe des cadres et professions intellectuelles supérieur.

 

Aussi, en tant que réalité sociale, la classe des ouvriers a encore une position sociale très particulière. En effet, encore très nombreux, ils connaissent une forte reproduction et homogamie sociale, comme nous le témoigne le tableau du document 5, tableau illustrant la mobilité sociale en France en représentant la catégorie socioprofessionnelle du fils en fonction de celle du père en 2003 : sur 100 fils d’ouvriers, 46 deviennent ouvriers. Également, sur 100 fils d’employés, 26 deviennent ouvriers et 17 deviennent employés. On peut également retenir que le groupe ouvrier, plus différent qu’auparavant, se ressemble parfois avec le groupe employé : de faibles revenus, inégalités avec les cadres et profession intellectuelles supérieures, et l’homogamie sociale est forte dans ces deux groupes constituant la classe populaire.

      Enfin, le déclin de la classe ouvrière peut également être nuancé pour une autre raison : avec l’apparition, ces dernières années, d’un « nouvel ouvrier «. En effet, de grandes différences sont perceptibles entre la classe ouvrière d’hier, et le groupe ouvrier d’aujourd’hui. Comme en témoigne le dernier document, texte écrit par Serge Bosc extrait de La société et ses starifications, groupes sociaux et classes sociales ?, le groupe ouvrier n’est désormais tout d’abord plus centré au cœur du système industrielle : des emplois considérés comme appartenant aux groupes ouvriers sont répertoriés dans des sites autres que les usines. Également, on compte aujourd’hui davantage d’ouvriers recensés dans le secteur tertiaire que dans le secteur industriel : en effet, le secteur tertiaire regroupe aujourd’hui plus de la moitié des ouvriers. ( « désindustrialisation «)

La nature du travail qu ‘ils exercent  a également changé : aujourd’hui, leurs tâches  sont dans un certains nombres d’endroits moins physiques et les ouvriers travaillent plus dans un soucis de qualité. Une autre différence est le fait qu’ils s’occupent aujourd’hui, davantage du bon fonctionnement des machines (« essor de catégorie de logistique «).

Aussi, les postes d’ouvriers non qualifiés industriels ont fortement diminués, du fait de l’augmentation des gains de productivité avec toujours le phénomène de robotisation mais aussi de la redistribution de ces emplois vers des postes plus qualifiés : « on observe l’affaiblissement des ouvriers professionnels traditionnels au profit des ouvriers techniciens et opérateurs (…) «.

 

En conclusion, la disparition de la classe ouvrière est souvent évoquée, et ces raisons semblent fondées : en effet, il est difficile de parler de classe ouvrière au sens strict. Néanmoins, on note l’apparition d’un  « nouveau groupe « plus large, rassemblant les ouvriers mais également les employés. Ainsi, si l’on devait parler de la disparition des ouvriers, peut-être devrions-nous davantage évoquer la disparition de la culture ouvrière qui, avec le temps, s’est estompée.

Avec près de sept millions d’ouvriers parmi les actifs, les ouvriers sont de toute façon encore bien présents parmi nous : leurs conditions de vie s’améliorent même si c’est un groupe qui reste tout de même défavorisé dans beaucoup de domaines. Les ouvriers restent un groupe de métiers indispensables à l’élaboration de notre quotidien.

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