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Philip PETTIT (1945-) L'arbitraire caractérise la domination

Publié le 19/10/2016

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Philip PETTIT (1945-)

L'arbitraire caractérise la domination

Il n'est pas nécessaire qu'une personne disposant d'un pouvoir de domination sur une autre - quel que soit le degré de cette domination - en use effectivement pour interférer, pour de bons ou de mauvais motifs, dans les décisions de l'individu dominé ; il n'est même pas nécessaire que la personne jouissant d'un tel pouvoir soit le moins du monde encline à interférer de la sorte. Pour qu'il y ait domination, il suffit que le détenteur du pouvoir ait, dans une quelconque mesure, la capacité de recourir de manière arbitraire à ce pouvoir d'interférence, quand bien même il ne le fait pas. Cela signifie que la victime d'un tel pouvoir agit, dans des domaines précis, sur la seule base du bon vouloir, implicite ou explicite, de celui qui est en position d'exercer ce pouvoir de domination ; elle est, en d'autres termes, à la merci de cette personne ; elle est dans la situation d'un être dépendant, débiteur, ou quelque chose du même genre. Si cette implication est de notoriété publique, comme ce sera en général le cas, il s'ensuit que la victime ne pourra jouir du statut psychologique attaché au fait d'être l'égal de l'autre : elle se trouve dans une situation où la crainte et la déférence demeurent constamment à l'ordre du jour, et non pas la franchise qui accompagne l'égalité intersubjective.

Cela indique-t-il que le fait - s'il s'agit d'un fait - que le détenteur du pouvoir soit un être bienveillant ou empli de bonté n'induit aucun différence ? Cela dépend. Si être bon ou bienveillant signifie que la personne reconnaît qu'elle peut fait l'objet d'une contestation ou d'un reproche - qu'elle peut avoir à répondre de certaines considérations devant une cour de justice -, cela implique qu'elle ne peut exercer son pouvoir d'interférence dans l'impunité la plus complète. On peut en quelque sorte l'opposer à elle-même. Supposons que le détenteur d'un pouvoir ait fait sien un code d'honneur, par exemple, du type noblesse oblige ou qu'il aspire tout simplement à être une personne vertueuse. En soi, cela signifiera que le pouvoir qu'il détient sur une autre personne est moins intense qu'il aurait pu l'être. Du seul fait qu'un reproche puisse lui être effectivement adressé, on observe, dans ce cas, une certaine réduction du pouvoir de domination dont il est porteur. Cette remarque a son importance par rapport à ce que j'avance dans le dernier chapitre et qui concerne l'idée selon laquelle la vertu dont les autres sont dotés représente un élément indispensable de l'ensemble des garanties destinées à protéger une personne de toute domination.

Si, par ailleurs, le fait d'être bon ou bienveillant signifie simplement que la personne manifeste des inclinations qui ne causent de tort à personne - en ce qui nous concerne : qui ne conduisent à aucune interférence - alors cela ne réduira pas la domination que subissent les victimes du détenteur du pouvoir d'interférer. Cette personne dominante peut toujours exercer de manière arbitraire son pouvoir d'interférence et quiconque vit soumis à ce pouvoir, vit, au vu et au su de tous, à la merci de celui qui le détient. Il est bien évident que si l'agent dominant est bienveillant en ce sens, la probabilité d'une telle interférence sera beaucoup moins importante, mais il importe de relever que la domination est liée à la possibilité de l'interférence arbitraire, et que ce type d'improbabilité n'induit pas une impossibilité. Même s'il est improbable qu'il le fasse, un individu qui dispose d'un pouvoir d'interférence sur moi, demeure en position de l'exercer, selon son bon plaisir. 

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