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Pirandello, Préface de Six Personnages en quête d'auteur (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Pirandello, Préface de Six Personnages en quête d'auteur (extrait). Dans sa préface à Six personnages en quête d'auteur, Pirandello parle des arcanes de la création littéraire et plus spécialement dramatique. L'auteur crée ses personnages ; ici sur le mode fantastique ils lui préexistent. Plus que du théâtre dans le théâtre, Six personnages en quête d'auteur est une pièce sur le théâtre, puisque l'action est prise au moment où la pièce est à faire. Pirandello convie le spectateur à assister non pas à un spectacle mais à des répétitions, dont les personnages seraient des êtres réels venus du monde extérieur ; ils entrent par la salle après avoir été annoncés par le concierge du théâtre. Six personnages en quête d'auteur de Pirandello Préface Il y a bien des années (mais c'est comme si c'était d'hier) qu'une petite servante des plus délurées et pourtant toujours neuve dans le métier, est au service de mon art. Elle se nomme Imagination. Quelque peu taquine et moqueuse, si elle se plaît à s'habiller de noir, nul ne pourra nier que ce ne soit souvent avec extravagance et nul ne voudra croire qu'elle fasse toujours tout sérieusement et de la même manière. Elle fourre une main dans sa poche ; elle en tire un bonnet de fou ; elle le met sur sa tête, ce bonnet rouge comme une crête, et s'enfuit. Aujourd'hui ici ; demain là. Et elle s'amuse à amener chez moi, pour que j'en tire des nouvelles, des romans ou des pièces, les gens les plus mécontents du monde, des hommes, des femmes, des enfants, empêtrés dans des situations étranges dont ils ne savent plus comment sortir ; contrariés dans leurs desseins ; trompés dans leurs espoirs ; bref, des gens avec qui il est souvent bien pénible d'avoir des relations. Eh bien, Imagination, cette mienne petite servante, eut, il y a plusieurs années, la fâcheuse inspiration ou le malencontreux caprice d'amener chez moi toute une famille, dont je ne saurais dire ni où ni comment elle l'avait pêchée, mais dont, à l'en croire, j'allais pouvoir tirer le sujet d'un magnifique roman. Je trouvai devant moi un homme de la cinquantaine, en veston noir et pantalon clair, à l'air renfrogné et aux yeux rendus hostiles par l'humiliation ; une pauvre femme en vêtements de veuve, qui d'une main tenait une fillette de quatre ans et de l'autre un garçonnet d'un peu plus de dix ans ; une jeune personne effrontée et provocante, elle aussi vêtue de noir mais avec une élégance équivoque et agressive, tout entière frémissante d'un rieur et mordant mépris pour ce barbon humilié et pour un jeune homme d'une vingtaine d'années qui se tenait à l'écart, l'air renfermé, comme s'il n'éprouvait que de l'agacement pour eux tous. Bref, ces six personnages tels qu'on les voit maintenant apparaître sur la scène, au début de la pièce. Et tantôt l'un tantôt l'autre, souvent aussi en se coupant l'un l'autre la parole, ils entreprenaient de me narrer leurs vicissitudes, de me crier leurs raisons, de me jeter au visage leurs passions indécentes, à peu près comme ils le font maintenant dans la pièce à l'infortuné Chef de troupe. Quel auteur pourra jamais dire comment et pourquoi un personnage est né dans son imagination ? Le mystère de la création artistique est le mystère même de la naissance naturelle. Une femme, parce qu'elle aime, peut désirer devenir mère ; mais ce désir seul, si intense soit-il, ne peut suffire. Un beau jour, elle se trouvera être mère, sans savoir exactement quand cela s'est produit. De même un artiste, parce qu'il vit, accueille en lui d'innombrables germes de vie, et ne peut jamais dire comment et pourquoi, à un certain moment, l'un de ces germes vitaux s'introduit dans son imagination pour devenir lui aussi une créature vivante sur un plan de vie supérieur à la mouvante existence quotidienne. Je peux seulement dire que, sans avoir conscience de les avoir le moins du monde cherchés, je trouvai vivants devant moi, vivants au point de pouvoir les toucher, vivants au point de les entendre respirer, ces six personnages que l'on voit maintenant sur la scène. Et ils attendaient là, chacun avec son tourment secret et tous unis par leur naissance et par l'enchevêtrement de leurs mutuelles vicissitudes, que je les fisse entrer dans le monde de l'art, en composant de leurs personnes, de leurs passions et de leurs aventures un roman, un drame ou tout au moins, une nouvelle. Nés vivants, ils voulaient vivre. Source : Pirandello (Luigi), Six personnages en quête d'auteur, trad. par Michel Arnaud, in Théâtre complet, Paris, Gallimard, 1977. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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