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Plaidoyer Parricide

Publié le 20/05/2012

Extrait du document

Mesdames et Messieurs les jurés,

La personne que l’on vous demande aujourd’hui de juger n’est tout d’abord pas moins qu’un homme, un homme comme vous et moi, un homme pourvu d’émotions et de sentiments ; je vous demanderai par conséquent de le reconnaître en tant que tel et ainsi de ne pas le réduire au statut d’un simple cas judiciaire parmi d’autres, comme l’on a si souvent tendance à le faire. Mais laissez-moi, si vous le voulez bien, d’abord vous rappeler les faits…

Nous sommes ici rassemblés pour traiter du cas de Monsieur Georges Louis dit « Le Bourgeois », accusé, à tort, de parricide pour avoir froidement assassiné son père ainsi que sa mère, des mondains connus, riches plus tout jeunes et mariés seulement depuis l’année précédente, qu’on aurait retrouvés entrelacés au bord d’une rivière près de Chatou, parmi les roseaux.  Mais ce n’est qu’en prenant connaissance de la situation dans son entièreté que l’on peut prétendre à comprendre ce qui se passa réellement cette nuit-là,  au bord de la Seine. Laissez-moi donc vous dessiner le portrait du drame…

Monsieur Georges Louis,  fruit d’une alliance considérée comme interdite entre deux individus non mariés, est abandonné dès la naissance et élevé par  une nourrice honnête qui ne remplit que son devoir. Il grandit ensuite pour se sentir de plus en plus à l’écart des autres ; déjà à l’école on le surnomme « bâtard », mot qu’il ne comprend pas immédiatement mais qu’il ressent fortement au plus profond de son être. Grandissant encore, il développe des goûts et des délicatesses dont les autres jeunes de son âge ne font pas preuve, et s’intéresse à des doctrines communistes et nihilistes ainsi qu’à de nombreux drames sanglants qui lui vaudront le surnom de « Le Bourgeois », le stigmatisant davantage. Je vous le demande, chers jurés, ne vous apercevez-vous pas d’ores et déjà du chemin qui va inexorablement se présenter à ce jeune homme abandonné et rejeté par ses parents, ainsi que mis à l’écart par la société ?

Mais son histoire ne s’arrête pas là, non... Devenu menuisier, métier dans lequel il n’est pas des plus mauvais, Monsieur Georges Louis gagne très vite deux très bons clients, un couple de gens riches et généreux, qui lui font plusieurs commandes et le paient à chaque fois plus que correctement. Ce n’est que lorsque la dame adopte un comportement bizarre à son égard lors de plusieurs visites qu’il est frappé par l’horreur. S’agirait-il de sa mère ? Ses soupçons seraient-ils fondés ? Monsieur Georges va donc un jour la mettre devant les faits, lui demander clairement si elle est sa mère. La concernée va très vite perdre ses moyens ainsi que sa connaissance ; et là, Monsieur Georges Louis est certain, il s’agit bel et bien de ses parents.

 

 

Mais l’horreur va encore plus loin... Lorsque l’accusé propose à ses propres parents de le reconnaître tout en demeurant dans l’anonymat, conscient de ce que la révélation pourrait causer à leur bonne réputation, ils refusent, et se comportent comme s’il était tout bonnement impossible qu’il soit leur fils, comme s’il était devenu fou, et quittent son atelier. Je n’ai nul besoin de vous expliquer, chers jurés, en quoi cela représenta « l’affront de trop » pour l’accusé, qui ne vit d’autre solution que de les poursuivre dans la nuit pour les supplier de le reconnaître.

Mais là encore, la réponse fut négative, et pire encore, voulant se débarrasser de lui, son propre père leva la main sur lui, après l’avoir abandonné des années auparavant et l’avoir, une seconde fois, refusé le soir même. Pris de peur, Monsieur Georges ne vit d’autre solution que de saisir son agresseur par le col, qui tira un revolver. Ce n’est que là, que l’accusé, portant par hasard son compas sur lui, décida de s’en servir dans un cas de légitime défense pour frapper l’homme qui devait s’être occupé de lui pendant des années pour ensuite perdre la raison et commettre l’irréparable.

Mesdames et Messieurs les jurés, maintenant que vous connaissez son histoire, comment pourriez-vous encore croire au parricide ? Comment pourriez-vous ne pas reconnaître que cet honnête homme, ayant souffert toute sa vie de l’abandon qu’il subit à la naissance, rejeté par tous ses compères,  malgré qu’il ait eu toutes les raisons du monde pour en vouloir à ses parents, a préféré les supplier encore une dernière fois avant de se résilier à les laisser partir, et que ce n’est que par un malheureux concours de circonstances qu’il fallut en venir à la violence et à la démence, ce soir-là, au bord de la Seine ?

Mesdames et Messieurs les jurés, je vous demande maintenant de bien vouloir réfléchir non seulement avec votre raison, mais aussi avec votre cœur, et de vous demander ce que vous auriez fait à sa place, ce soir-là. Je reste convaincu, Mesdames et Messieurs que vous en arriverez à prendre la bonne décision, et si ce n’est au nom de la justice, que ce soit au nom de la morale.

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