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Primo Levi Si c'est un homme

Publié le 23/01/2011

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primo levi

Séance 2 : lecture analytique n°1 (p.14-16)

 

Primo Levi rescapé d’Auschwitz raconte ce qu’il a vécu dans un manuscrit qui deviendra Si c’est un homme ; publié en 1947 sans faire grand bruit ; publié de nouveau en 1956 grand succès.

Le passage se situe au tout début du livre : Primo Levi et plus de 600 autres juifs italiens sont encore en Italie au camp de Fossoli ; on leur a annoncé que tous les Juifs partiraient le lendemain pour _un voyage de 15 jours. Le jeune homme ne se fait aucune illusion sur le terme de ce voyage. Voici le récit de leur dernière soirée sur le sol italien.

 

En quoi ce texte illustre-t-il la singularité de la Shoah ?

 

 

I.  Une situation incompréhensible

 

a) le caractère exceptionnel de cette situation (narration débouche sur une réflexion) :

une longue nuit (la narration) : Levi accorde un moment assez long à l’évocation de la dernière veillée le 21 Février, après l’annonce du départ, le lendemain, pour une destination inconnue. Levi opère là comme un arrêt sur image en procédant à une dilatation du temps de la narration par rapport au temps du narré : 48 lignes entre ces deux compléments circonstanciels de temps \"La nuit vint\" p. 13 et \"L’aube nous prit en traître\". p.14, alors que 19 lignes ont suffi précédemment pour évoquer la période de presque un mois entre l’arrivée de Levi à Fossoli \"Lors de mon arrivée, fin janvier 1944\" et le 20 Février, veille de l’annonce du départ, jour où les allemands sont passés, donnant l’illusion que tout un chacun allait rester là pour longtemps.

 

programmation à mort pour une faute inexistante (seule faute : leur identité) ; condamnation d’autant plus difficile à appréhender qu’elle n’est pas prononcée de manière explicite : c’est l’ordre de départ qui signe l’arrêt de mort.

Les deux premiers paragraphes s’opposent : l’un a une portée générale, il concerne la façon dont la société punit ordinairement les criminels, sans haine ni arbitraire et même avec pitié : « la tradition prévoit un cérémonial austère »… cf. présent de vérité générale ;

 l’autre paragraphe souligne au contraire (« mais nous ») le sort particulier, inédit, réservé à Pl et ses semblables : « nous n’eûmes rien de tout cela » ;  d’autant plus qu’ils sont innocents (« de quoi aurions dû nous repentir ? »). La singularité du châtiment tient du fait qu’il est incompréhensible, puisqu’il n’y a pas eu de faute, et généralisé à tous ; les termes de « justice » et de « pardon » évoqués dans le 1er paragraphe sont hors propos.  En outre absence de rituel justifié de manière laconique par PL : manque de temps + nombre élevé de prisonniers Þ en fait, les condamnés ne sont plus insérés dans le tissu social et dans ses lois.

Þ inhumanité des « bourreaux » (terme du 1er paragraphe) : périphrase « ces hommes qui avaient résolu de nous exterminer » (= absurdité de la situation car pas de motif + violence du verbe).

 

b) Les réactions : face à l’incompréhensible, que faire. En l’absence de rituel social, se réfugient dans une multitude de rituels individuels ou familiaux pour conjurer la mort au cours de la nuit. = continuer à faire comme d’habitude. Cf. aspect touchant et dérisoire à la fois des maîtres qui continuent à faire la classe, de ces mères qui continuent à laver le linge ou a préparer à manger. Notion d’habitude alors que soirée inhabituelle : « restèrent », « à l’accoutumée », « comme chaque jour »

plus tard viendra la submersion totale, quand toute logique ou toute raison auront montré leur inutilité : ce sera « une irrémédiable folie collective », « un tumulte d’émotions désordonnés »).

 

 

II. Un exode sans salut

L’Exode raconte la longue errance des Hébreux entre la sortie d’Egypte et l’arrivée dans la terre Promise. Auschwitz est vécu comme un nouvel exode du peuple juif mais sans promesse de salut.

a) une douleur indicible : l’auteur se met comme en retrait de son récit, avec ces phrases « Jamais être humain n’eut dû assister, ni survivre, à la vision de ce que fut cette nuit-là »

= accusation discrète (« aucun n’eut le courage de venir… » puis « bien des mots furent alors prononcés, bien des gestes accomplis, dont il vaudra mieux taire le souvenir » »

mais appel au lecteur : son émotion et sa réflexion sont sollicités ; PL prend le lecteur à témoin, encourage  son identification aux victimes : « Si on devait vous tuer demain avec votre enfant, refuseriez-vous de lui donner à manger aujourd’hui ? » pour que chacun se demande ce qu’il aurait fait. Þ recours au pathétique pour toucher l’homme dans le lecteur (cf. image très cinématographique : « les barbelés étaient couverts de linge d’enfant qui séchait au vent »)

 

b) Mais cette douleur, inconnue de PL, est familière à d’autres : ils la reconnaissent , « l’antique douleur ». même ils savent l’accueillir. « l’exode que chaque siècle renouvelle » : par ces mots, la Shoah se retrouve rattachée au cortège des persécutions exercées partout contre les Juifs depuis des siècles. *Et de fait Gattegno et sa tribu se présentent comme l’archétype des Juifs errants : un patriarche, une nombreuse famille, une spécialité professionnelle transmise de génération en génération, une histoire tourmentée (« longues et nombreuses pérégrinations »), un don pour la musique (accordéons et violons) et bien sûr la piété. Le rituel reproduit par les femmes, dans cette scène de déploration « du peuple qui n’a pas de patrie », est particulièrement impressionnant. = rituel censé préparer la mort ; mais ne parvient pas ici à apaiser ou à restituer du sens à l’événement.

 Il est observé depuis la porte par PL et qq autres et, au-delà, par nous. Lui découvre ce qu’il est vraiment : Juif assimilé d’Italie, il découvre  ici, bouleversé et fasciné, la judéité (« nouvelle pour nous »)

 

 

 

Þ nous fait saisir le caractère inédit de cette situation : ne doit pas être appréhendée avec les schémas de pensée habituels. En ce sens, ce passage joue un rôle d’ouverture par rapport au reste du livre + met ‘accent sur un point : la Shoah appartient au peuple qui en a été la victime. Mais l’humanité tout entière a une leçon à en tirer .

 

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