Devoir de Philosophie

repose en dernière analyse sur la vérité de cette proposition.

Publié le 23/10/2012

Extrait du document

repose en dernière analyse sur la vérité de cette proposition. — Dans le cours de la vie, ces deux sujets ou, pour parler à la manière populaire, la tête et le coeur, se séparent de plus en plus : l'homme distingue de plus en plus sa sensibilité subjective de sa connaissance objective. Chez l'enfant tout cela est encore confondu : il sait à peine se distinguer du monde extérieur qui l'entoure et dans lequel il est, pour ainsi dire, englouti. Chez le jeune homme, chaque perception agit avant tout sur la sensibilité, sur la disposition intime, et mieux, se confond avec elles... C'est par là que le jeune homme se trouve si fortement attaché aux apparences phénoménales, et ne peut dépasser la poésie lyrique : la poésie dramatique est le propre de l'âge mûr. Quant au vieillard, il pourra tout au plus produire des poèmes épiques, comme Homère ou Ossian ; dans la vieillesse, on aime toujours à raconter. Les autres genres de poésie, étant plus objectifs (il s'agit du roman, de l'épopée et du drame), ont deux conditions à remplir pour atteindre leur objet, c'est-à-dire pour exprimer l'Idée de l'humanité : c'est, d'une part, de concevoir d'une manière précise et complète les caractères significatifs ; de l'autre, d'inventer des situations significatives, propres à mettre en lumière ces caractères. Il lui arrive la même chose qu'au chimiste : celui-ci n'a pas seulement à représenter d'une manière nette et véritable les corps simples et leurs principaux composés : il faut encore qu'il en rende les propriétés sensibles, en mettant ces corps en contact avec les réactifs convenables ; ainsi le poète doit non seulement nous présenter des caractères significatifs avec une exactitude et une vérité qui représentent la nature, mais encore, s'il veut nous les faire entièrement comprendre, il doit les mettre dans des situations où ils puissent atteindre leur plein développement et se montrer sous leur forme la plus parfaite et la plus arrêtée ; c'est là ce qu'on appelle les situations significatives ou critiques. Dans la vie et dans l'histoire, régies par le hasard, ces situations rares ne se produisent pas fréquemment, et d'ailleurs leur isolement fait qu'elles se confondent et s'effacent au milieu de la masse des événements courants. Aussi le roman, l'épopée, le drame doivent-ils se distinguer de la réalité, non moins par l'importance des situations que par l'agencement et la vers les intérêts et les misères de la volonté, il lui arrivera facilement d'en prendre une idée trop vive, de voir sous des couleurs trop crues, dans un jour trop intense, sous un grossissement énorme, et l'individu ne pourra tomber que dans l'extrême. Ajoutez encore les explications suivantes. Toute grande oeuvre théorique, de quelque genre qu'elle soit, demande pour être produite, de la part de son auteur, qu'il dirige toutes les forces de son énergie vers un seul point, qu'il les y fasse converger et les y concentre avec tant de force, de fermeté et de persistance, que tout le reste du monde disparaisse à ses yeux et que son sujet remplisse pour lui toute la réalité. Mais cette même grande et puissante concentration, l'un des privilèges du génie, se produit aussi parfois pour les objets de la réalité, pour les intérêts de la vie quotidienne : portés alors sous un tel foyer, ils acquièrent un grossissement si monstrueux, qu'ils apparaissent, comme la puce vue au microscope solaire, avec les dimensions d'un éléphant. De là, parfois, chez les individus éminents, ces émotions violentes et diverses à propos de bagatelles : les autres ne conçoivent pas comment ils peuvent être jetés dans l'affliction, dans la joie, dans l'angoisse, la crainte ou la colère, etc., par des choses qui laisseraient parfaitement calme un homme du vulgaire. Aussi le génie manque-t-il de sang-froid, car le sang-froid consiste justement à ne rien voir de plus dans les choses que ce qui leur appartient, surtout par rapport à nos fins possibles : il en résulte qu'un homme de sang-froid ne peut pas être un génie. Aux inconvénients signalés s'ajoute encore l'excessive sensibilité, due à l'exaltation anormale de la vie nerveuse et cérébrale et jointe à cette autre condition du génie, la violence passionnée de la volonté, qui se traduit au physique par l'énergie des battements du coeur. De cet ensemble de causes résultent facilement cette tension excessive de l'âme, cette impétuosité des émotions, cette mobilité extrême d'humeur, avec cette disposition prédominante à la mélancolie, que Goethe nous a mises sous les yeux dans le Tasse. Quelle sagesse, quelle fermeté tranquille, quelle sûreté de coup d'oeil, quelle entière assurance et quelle égalité de conduite chez l'homme normal bien doué, en comparaison de cet abattement rêveur ou de cette excitation passionnée de l'homme de génie, dont SCHOFENIIAUER les souffrances intimes sont le germe d'oeuvres immortelles ! — De plus, le génie est essentiellement solitaire. Il est trop rare pour rencontrer facilement des semblables et trop différent des autres pour se mêler à eux. Chez• eux c'est la volonté, chez lui c'est la connaissance qui l'emporte ; aussi leurs joies ne sont pas les siennes, comme ses joies ne sont pas les leurs. Ils sont simplement des êtres moraux, bornés à des relations personnelles ; il est en même temps une intelligence pure, et appartient comme tel à l'humanité entière. Le cours des pensées d'un intellect détaché de son sol maternel, de la volonté, et qui n'y fait retour que par intervalles, ne tardera pas à se séparer entièrement de celui d'un intellect normal, encore adhérent à sa racine. Par là, et à cause de cette inégalité dans la marche de l'esprit, il sera impropre à penser en commun, c'est-à-dire à entrer en conversation avec les autres : les autres, écrasés par sa supériorité, trouveront aussi peu de plaisir dans sa société que lui dans la leur. Ils se sentiront plus à l'aise avec leurs semblables, et il préférera aussi s'entretenir avec ses pareils, bien qu'il ne le puisse en général qu'à travers les oeuvres laissées par eux. Aussi Chamfort dit-il très justement : « Il y a peu de vices qui empêchent un homme d'avoir beaucoup d'amis, autant que peuvent le faire de trop grandes qualités. « Le sort le plus heureux qui puisse échoir en partage au génie, c'est d'être dispensé de toutes les occupations pratiques qui ne sont pas son élément, et d'avoir tout loisir pour travailler et produire. — La conséquence générale de ce qui précède, c'est que, si le génie procure la félicité à celui qui le possède, à l'heure où, se livrant à lui sans entraves, il peut s'abandonner avec délices à l'inspiration, il n'est nullement propre à lui assurer une existence heureuse, bien au contraire. Les témoignages fournis par les biographies sont la confirmation de cette vérité. A tous ces inconvénients s'ajoute encore un désaccord extérieur, car le génie, dans tout ce qu'il fait, dans tout ce qu'il crée même, est d'ordinaire en opposition et en lutte avec son temps. Les simples hommes de talent arrivent toujours au moment voulu : car, pleins de l'esprit de leur époque, appelés par les besoins de leur temps, ils ne sont capables que d'y satisfaire. Ils interviennent donc dans le développement progressif de leurs contemporains ou dans l'avan-

Liens utiles