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Robert NOZICK (1939-2002) La sexualité

Publié le 19/10/2016

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Robert NOZICK (1939-2002)

La sexualité

Le rapport le plus intense que nous puissions avoir avec autrui est sexuel. Rien de tel pour se concentrer que la perspective d'être pendu, notait le Dr Johnson. Rien, sinon la montée de l'excitation sexuelle : la tension augmente, on est dans l'incertitude quant à ce qui va suivre, on connaît de brèves accalmies, on est surpris, on se sent en danger, tout est vécu en succession avec une attention accrue jusqu'à la résolution. Le schéma est semblable à la fin de compétitions d'athlétisme serrées et dans les films de suspense. Je ne dis pas que, dans ces contextes, notre excitation soit indirectement sexuelle. Néanmoins, ce type d'excitation est tellement représentatif que ces contextes ne sont peut-être pas dénués de tonalités sexuelles. Cependant, c'est seulement dans le rapport sexuel que l'on partage une excitation aussi intense avec son objet et sa cause.

L'acte sexuel est bien plus qu'une affaire de forces de friction. Notre excitation dépend largement de notre interprétation de la situation et de notre perception de notre rapport à l'autre. L'autre intervient même dans les fantasmes de la masturbation ; on ne s'excite pas en pensant à soi-même ou à soi-même en train de se masturber en pensant à soi-même. Est excitant ce qui implique l'autre : comment l'autre vous voit, l'état d'esprit que révèlent ses actes. En l'occurrence, un peu d'incertitude rend la chose encore plus excitante. [...]

La sexualité libère nos émotions les plus fortes. Ces émotions ne sont pas toujours tendres et affectueuses. Des émotions aussi fortes en appellent d'autres aussi intenses en retour ; l'excitation suscite l'excitation. Les émotions les plus violentes et les plus primitives s'expriment tout en restant contenues. Ce n'est pas seulement l'autre que l'on découvre dans l'acte sexuel. On apprend également à mieux se connaître soi-même en vivant tout ce dont on est capable : passion, amour, agressivité, vulnérabilité, domination, espièglerie, plaisir infantile, joie. La profondeur de la détente après l'acte sexuel est à la mesure de l'ampleur et de l'intensité de l'expérience partagée et en fait partie.

La sexualité est ou peut être un domaine inépuisable. Il n'y a aucune limite à ce que l'on peut apprendre et percevoir l'un de l'autre dans l'acte sexuel ; la seule limite est la sensibilité, la finesse de réaction, la créativité ou l'audace des partenaires. Il reste toujours de nouveaux abysses ou de nouvelles surfaces à explorer. [...]

Une grande partie de ce que j'ai dit jusqu'ici pourrait s'appliquer à des rencontres sexuelles ponctuelles, mais une vie sexuelle peut offrir une continuité particulière. Elle se transforme quand on reste ensemble une journée entière ou plusieurs jours, en répétant les moments d'intimité et d'exploration, sans vraiment se détacher de la présence de l'autre, la connaissance de l'autre ainsi acquise et les sensations encore fraîches dans la mémoire servant de tremplin à de nouvelles découvertes. On pourrait également parler des retrouvailles répétées de partenaires qui parviennent à peine à refréner leur besoin de l'autre. On pourrait aussi évoquer les rapports d'intimité et d'amour plus durables qui embellissent l'excitation, la profondeur et la douceur de l'union.

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