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Roussel, Impressions d'Afrique (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Roussel, Impressions d'Afrique (extrait). Enoncé de l'emboîtement : l'histoire de Haendel, rapportée ici par Soreau, s'inscrit dans une suite de cinq anecdotes qui devront servir de supports à une série de tableaux vivants que l'on présentera le jour du gala où l'on procédera au tirage d'un gros lot dont le gagnant, enfin, se verra octroyer le cordon de l'ordre nouveau... La situation de ce passage est emblématique de la logique de l'idiotie, au sens fort et poétique, de tout le roman. Où apparaît cependant quelque sens : Haendel joue là, assez clairement, le double de Roussel. À sa place, prenant la défense du hasard comme procédé de création. Comme lui soucieux, pourtant, et même inquiet, du legs à la postérité. Impressions d'Afrique de Raymond Roussel (chapitre 14) En Angleterre, Soreau avait appris le fait suivant, rapporté dans ses Souvenirs sur Haendel par le comte de Corfield, ami intime du grand compositeur. Dès 1756, Haendel, vieux et déjà privé de la vue depuis plus de quatre ans, ne sortait plus guère de son logis de Londres, où ses admirateurs venaient le visiter en foule. Un soir, l'illustre musicien se trouvait dans sa salle de travail du premier étage, pièce vaste et somptueuse qu'il préférait à ses salons du rez-de-chaussée à cause d'un orgue magnifique adossé à l'un des panneaux. Au milieu des vives lumières, quelques invités devisaient bruyamment, égayés par un repas copieux que leur avait offert le maître, grand amateur de chère délicate et de bon vin. Le comte de Corfield, qui était présent, mit la conversation sur le génie de l'amphitryon, dont il vanta les chefs-d'oeuvre avec l'enthousiasme le plus sincère. Les autres firent chorus, et chacun admira la puissance du don créateur et inné, que le vulgaire ne pouvait acquérir même au prix du labeur le plus acharné. Au dire de Corfield, une phrase éclose sous un front paré de l'étincelle divine pouvait, banalement développée par un simple technicien, animer maintes pages de son souffle. Par contre, ajoutait l'orateur, un thème ordinaire, traité par le cerveau le mieux inspiré, devait fatalement conserver sa lourdeur et sa gaucherie, sans parvenir à dissimuler la marque indélébile de sa plate origine. À ces derniers mots Haendel se récria, prétendant que, même sur un motif construit mécaniquement d'après un procédé fourni par le hasard seul, il se faisait fort d'écrire un oratorio entier digne d'être cité sur sa liste d'oeuvres. Cette assertion ayant provoqué certains murmures de doute, Haendel, animé par les libations du festin, se leva brusquement, déclarant qu'il voulait, sur l'heure et devant témoins, établir honnêtement la charpente du travail en question. À tâtons l'illustre compositeur se dirigea vers la cheminée et sortit d'un vase où elles se trouvaient réunies plusieurs branches de houx provenant du dernier Christmas. Il les aligna sur le marbre en attirant l'attention sur leur nombre, qui s'élevait à sept ; chaque branche devait représenter une des notes de la gamme et porter un signe quelconque propre à la faire reconnaître. Madge, la vieille gouvernante du maître, très experte en travaux de couture, fut aussitôt mandée puis mise en demeure de fournir à l'instant même sept minces rubans de nuances différentes. L'ingénieuse femme ne s'embarrassa pas pour si peu et, après une courte absence, rapporta sept faveurs offrant chacune l'échantillon d'une des couleurs du prisme. Corfield, sur la prière du grand musicien, noua une faveur autour de chaque tige sans rompre la régularité de l'alignement. Cette tâche terminée, Haendel invita les assistants à contempler un moment la gamme figurée sous leurs yeux, chacun devant s'efforcer de garder dans sa mémoire la correspondance des couleurs et des notes. Ensuite le maître lui-même, avec son toucher prodigieusement affiné par la cécité, procéda au minutieux examen des touffes, enregistrant soigneusement dans son souvenir telle particularité créée par la disposition des feuilles ou par l'écartement des piquants. Une fois sûr de lui, Haendel réunit les sept branches de houx dans sa main gauche et désigna la direction de sa table de travail, en chargeant Corfield de prendre avec lui la plume et l'encrier. Sortant de la pièce, guidé par un de ses fidèles, le maître aveugle se fit conduire près de l'escalier, dont la rampe plate et blanche se prêtait fort bien à ses desseins. Après avoir longuement mêlé les branches de houx qui ne gardèrent plus trace de leur ordre primitif, Haendel appela Corfield, qui lui remit la plume trempée dans l'encre. Effleurant au hasard, avec les doigts disponibles de sa main droite, une des touffes piquantes, qui pour lui avaient toutes leur personnalité individuelle reconnaissable au toucher, l'aveugle s'approcha de la rampe, sur laquelle il écrivit sans peine, en lettres ordinaires, la note indiquée par le rapide contact. Descendant une marche en brouillant de nouveau l'épais bouquet, Haendel, par le même procédé d'attouchement purement fantaisiste, recueillit une seconde note, qu'il inscrivit un peu plus bas sur la rampe. La descente continua ainsi, lente et régulière. À chaque marche, le maître, consciencieusement, remuait la gerbe en tous sens avant d'y chercher, du bout des doigts, la désignation de tel son inattendu aussitôt gravé en caractères suffisamment lisibles. Les invités suivaient leur hôte pas à pas, vérifiant facilement la rectitude du travail par l'examen des faveurs diversement nuancées. Parfois, Corfield prenait la plume et la trempait dans l'encre avant de la rendre à l'aveugle. Au bout de dix minutes, Haendel écrivit la vingt-troisième note et dévala sa dernière marche, qui le conduisit au niveau du rez-de-chaussée. Gagnant une banquette, il s'assit un moment et se reposa de son labeur en donnant à ses amis la raison déterminante qui l'avait amené à choisir un mode d'inscription aussi étrange. Sentant sa fin prochaine, Haendel avait légué à la ville de Londres sa maison tout entière, destinée à être érigée en musée. Une grande quantité de manuscrits de curiosités et de souvenirs de toute espèce promettait déjà de rendre fort captivante la visite du home illustre. Pourtant le maître restait hanté par le désir d'augmenter sans cesse l'attrait du pèlerinage futur. C'est pourquoi, saisissant une occasion propice, il avait ce soir-là fait de la main courante en question un monument impérissable, en autographiant sur elle le thème incohérent et bizarre dont le nombre de marches primitivement ignoré venait de fixer à lui seul la longueur, ajoutant de la sorte une particularité supplémentaire au côté mécanique et voulu de la composition. Remis par quelques instants d'immobilité, Haendel. Escorté de ses amis, regagna la salle du premier, où la soirée se termina gaiement. Corfield se chargea de transcrire musicalement la phrase élaborée par le caprice du hasard, et le maître promit de suivre strictement les indications du canevas, en se réservant seulement deux libertés, d'abord celle des valeurs, puis celle du diapason, qui évoluerait sans contrainte d'une octave à l'autre. Dès le lendemain Haendel se mit à la besogne avec l'aide d'un secrétaire habitué à écrire sous sa dictée. La cécité n'avait nullement affaibli l'activité intellectuelle du célèbre musicien. Traité par lui, le thème au contour fantastique prit une allure intéressante et belle, due à d'ingénieuses combinaisons de rythme et d'harmonie. La même phrase de vingt-trois notes se reproduisant sans cesse, présentée chaque fois sous un aspect nouveau, vint constituer à elle seule le fameux oratorio Vesper, oeuvre puissante et sereine dont le succès dure encore. Source : Roussel (Raymond), Impressions d'Afrique, 1910. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
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« La descente continua ainsi, lente et régulière.

À chaque marche, le maître, consciencieusement, remuait la gerbe en tous sens avant d'y chercher, du bout des doigts, la désignation de tel son inattendu aussitôt gravé en caractères suffisamment lisibles. Les invités suivaient leur hôte pas à pas, vérifiant facilement la rectitude du travail par l'examen des faveurs diversement nuancées.

Parfois, Corfield prenait la plume et la trempait dans l'encre avant de la rendre à l'aveugle. Au bout de dix minutes, Haendel écrivit la vingt-troisième note et dévala sa dernière marche, qui le conduisit au niveau du rez-de-chaussée.

Gagnant une banquette, il s'assit un moment et se reposa de son labeur en donnant à ses amis la raison déterminante qui l'avait amené à choisir un mode d'inscription aussi étrange. Sentant sa fin prochaine, Haendel avait légué à la ville de Londres sa maison tout entière, destinée à être érigée en musée.

Une grande quantité de manuscrits de curiosités et de souvenirs de toute espèce promettait déjà de rendre fort captivante la visite du home illustre.

Pourtant le maître restait hanté par le désir d'augmenter sans cesse l'attrait du pèlerinage futur.

C'est pourquoi, saisissant une occasion propice, il avait ce soir-là fait de la main courante en question un monument impérissable, en autographiant sur elle le thème incohérent et bizarre dont le nombre de marches primitivement ignoré venait de fixer à lui seul la longueur, ajoutant de la sorte une particularité supplémentaire au côté mécanique et voulu de la composition. Remis par quelques instants d'immobilité, Haendel.

Escorté de ses amis, regagna la salle du premier, où la soirée se termina gaiement.

Corfield se chargea de transcrire musicalement la phrase élaborée par le caprice du hasard, et le maître promit de suivre strictement les indications du canevas, en se réservant seulement deux libertés, d'abord celle des valeurs, puis celle du diapason, qui évoluerait sans contrainte d'une octave à l'autre. Dès le lendemain Haendel se mit à la besogne avec l'aide d'un secrétaire habitué à écrire sous sa dictée. La cécité n’avait nullement affaibli l'activité intellectuelle du célèbre musicien. Traité par lui, le thème au contour fantastique prit une allure intéressante et belle, due à d'ingénieuses combinaisons de rythme et d'harmonie. La même phrase de vingt-trois notes se reproduisant sans cesse, présentée chaque fois sous un aspect nouveau, vint constituer à elle seule le fameux oratorio Vesper, œuvre puissante et sereine dont le succès dure encore. Source : Roussel (Raymond), Impressions d’Afrique, 1910. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation.

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