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sance qui lui sert de base, tout lecteur qui nous comprend se trouverait par le fait même amélioré moralement.

Publié le 23/10/2012

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sance qui lui sert de base, tout lecteur qui nous comprend se trouverait par le fait même amélioré moralement. Il n'en est rien : au contraire, il est aussi impossible de faire un homme de bien avec de simples considérations morales ou par la pure prédication, qu'il l'a été aux auteurs de Poétiques, depuis Aristote, de faire un seul poète. Pour créer ce qui fait l'essence propre et intime de la vertu, le concept est impuissant, de même qu'il l'est dans l'art : s'il peut rendre quelques services, c'est en sous-ordre, comme instrument propre à déduire et à conserver les connaissances et résolutions formées sans son aide. Velle non discitur. En fait de vertu, de bonté des intentions, les dogmes abstraits sont sans influence : faux, ils ne la détruisent pas ; vrais, ils ne la secourent guère. Et après tout, il serait bien fâcheux que l'affaire essentielle de la vie humaine, d'où dépend la valeur morale, et désormais fixée pour l'éternité, de l'homme, pût tenir à des dogmes, à des articles de foi, à des doctrines philosophiques, que le hasard peut nous faire rencontrer ou ignorer. Si les dogmes ont un rôle à l'égard de la morale, c'est que l'homme de bien, après avoir tiré sa vertu d'une connaissance différente et dont nous parlerons bientôt, y trouve un schème, une formule pour rendre compte à sa raison de ses actions pures d'égoïsme, auxquelles elle ne comprendrait rien sans cela : l'explication n'est guère en somme qu'une fiction, mais la raison est accoutumée à s'en contenter. A vrai dire, s'il s'agit des actes, des manifestations extérieures, les dogmes peuvent avoir une influence puissante, comme en ont une l'habitude et l'exemple — ces derniers, parce que l'homme du commun ne se fie pas à son jugement, dont il sait la faiblesse, mais seulement à son expérience et à celle d'autrui — mais ce n'est pas là ce qui change le fond de l'intention. Une connaissance abstraite ne fait que donner des motifs ; or, les motifs, nous l'avons vu, peuvent bien changer la direction de la volonté : ils ne peuvent changer la volonté même. Or, une connaissance communicable ne peut agir sur la volonté qu'à titre de motif : donc, de quelque façon que les dogmes inclinent la volonté, ce sera toujours la même chose, que l'homme voudra d'une volonté proprement dite et générale : s'il reçoit des idées nouvelles, ce sera au sujet de la voie à suivre pour arriver à ce qu'il veut, et les motifs qu'on lui aura fait imaginer le conduiront parallèlement à ses motifs réels. Il est, par exemple, tout à fait indifférent, pour la valeur morale de l'homme, qu'il fasse des dons considérables aux pauvres, avec la ferme conviction d'en recevoir le décuple dans une vie future, ou bien qu'il dépense la même somme à améliorer un bien-fonds qui lui rendra plus tard, mais d'autant plus sûrement, de riches récoltes — si le bandit qui tue pour une récompense est un assassin, le vrai croyant qui livre aux flammes l'hérétique ne l'est pas moins ; et de même aussi, à ne considérer que l'état intérieur des âmes, le croisé qui va égorger des Turcs en Terre Sainte : l'un et l'autre agissent au fond avec la pensée de gagner une place dans le paradis. Ainsi donc, ils ne songent qu'à eux-mêmes, à leur propre égoïsme, comme le bandit : s'il y a entre eux et lui une différence, elle tient à l'absurdité du moyen qu'ils prennent. — Nous l'avons dit déjà, pour atteindre du dehors la volonté, il faut employer des motifs ; or, les motifs changent la façon dont la volonté se manifeste, non la volonté même. Velle non discitur. Quand il s'agit d'une bonne action dont l'auteur s'est inspiré de certains dogmes, il faut toujours distinguer si ces dogmes en ont été le motif réel, ou s'ils ne seraient pas, comme nous le disions plus haut, l'explication illusoire dont on se sert pour contenter sa raison au sujet d'un acte sorti d'une tout autre source : on a fait l'action parce qu'on est bon ; on est incapable de l'expliquer correctement, parce qu'on n'est pas philosophe ; et pourtant on a besoin de s'en donner une explication. Seulement, la distinction est difficile à faire : il faut pénétrer jusqu'au fond des intentions. C'est pourquoi nous ne pouvons presque jamais juger exactement, au point de vue moral, les actes d'autrui ; et les nôtres même, rarement. — Les actions et la manière de se conduire, soit d'un individu, soit d'un peuple, peuvent être grandement modifiées par leurs croyances, par l'exemple, par l'habitude. Mais au fond les actions, ces opera operata, sont de pures et vaines images, et une seule chose leur donne une signification morale : c'est l'intention qui les inspire. Or, une même intention peut parfaitement se trouver associée avec des phénomènes extérieurs très divers. Deux hommes peuvent, étant des méchants du même degré, mourir, l'un sur la roue, l'autre dans les bras des siens. Un même degré de méchanceté peut se manifester, chez tel peuple en traits grossiers, sous forme d'habitudes de mentir et de cannibalisme, et chez tel autre en traits plus déliés, en miniature, sous forme d'intrigues de cour, d'oppression du faible, de cabales artificieuses : le fond des choses n'en est pas moins le même. Imaginez qu'un état parfait, ou qu'une religion absolument établie dans les esprits et promettant après la mort des peines ou des récompenses, arrivât à empêcher toute espèce de crime : politiquement, ce serait un grand bien d'obtenu ; moralement, on n'aurait rien fait : ou plutôt on aurait empêché que la vie ne devînt aussi promptement l'image de la volonté... Maintenant, avant de parler de la bonté proprement dite, pour l'opposer à la méchanceté que nous avons déjà analysée, il est utile de considérer un degré intermédiaire, qui est la négation de la méchanceté : c'est à savoir la justice. Nous avons exposé déjà, et tout au long, ce que c'est que le droit et l'injuste : disons donc en peu de mots qu'on nomme juste quiconque reconnaît spontanément les limites tracées par la morale seule entre le droit et l'injuste et qui les respecte, même en l'absence de l'État, ou de toute autre puissance capable de les garder ; qui, par suite, pour revenir à notre doctrine, ne va jamais, dans l'affirmation de sa propre Volonté, jusqu'à la négation de la même Volonté chez un autre individu. Il n'ira donc jamais, pour accroître son propre bien-être, infliger des souffrances à autrui ; il se reconnaît donc chez l'autre, jusqu'à un certain point, assez en somme pour n'être pas injuste, pour ne pas lui porter tort. Dans la même mesure, son regard perce le principe d'individuation, le voile de Maya : il pose l'être extérieur sur le pied d'égalité avec le sien ; il ne lui fait pas tort. Regardons au fond de la justice : nous y trouverons déjà le ferme propos de ne pas aller, dans l'affirmation de notre propre Volonté, jusqu'au point de nier les phénomènes qui manifestent hors de nous la Volonté, en nous les asservissant. Dès lors, nous rendrons à autrui l'équivalent de ce que nous en aurons reçu. A son degré le plus haut, la justice, la droiture d'âme, ne se sépare déjà pas de la bonté proprement dite, laquelle n'a pas un caractère purement négatif : elle va alors jusqu'au point de nous faire mettre

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