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Selon Vous, L'Écriture Autobiographique Est-Elle Une Manière De Se Préparer À La Mort Ou De Conserver La Saveur De La Vie ?

Publié le 16/09/2006

Extrait du document

 

Introduction

Amorce : l’écriture autobiographique comme un jeu sur le temps qui est double : regard vers le passé, vécu intense du présent de l’écriture, une sorte de grand écart qui divise ; cette écriture permet de mesurer l’écoulement du temps et l’écartèlement de l’auteur qui est à la fois l’enfant d’autrefois et l’adulte de maintenant ; mais, implicitement, cette conscience de l’écoulement du temps projette l’autobiographe dans l’avenir. Ainsi, le récit de la naissance comporte en lui la sensation de l’imminence de l’autre extrême de la vie : la mort. Citation et explicitation de la dernière phrase du texte de Cohen : « Les rives s’éloignent. Ma mort approche. « Explication de la métaphore, qui n’est pas nouvelle : l’autobiographe en écrivant prend une conscience aiguë de l’approche de la mort. Problématique : fonctions et effets de l’écriture autobiographique ? Annonce du plan : est-elle source de plaisirs et permet-elle de revivre et de savourer davantage la vie ? ou : est-elle source de douleur, par la conscience qu’elle donne du temps passé, et préparation « à la mort « ? Ne dépasse-t-elle pas cette alternative : la prise de conscience qu’elle implique n’apporte-t-elle pas un remède au mal du temps, ne permet-elle pas d’apprivoiser la mort, comme le prétendait déjà Montaigne ?

 

I. Une manière de conserver la saveur de la vie : les plaisirs de l’écriture autobiographique

1. Une résurrection du passé : un bain de jouvence

a. Une façon de se créer des racines – Fréquence des récits de naissance (ex. : Rousseau : « Je suis né à Genève en 1712… «), d’enfance (les 6 premiers livres des Confessions ; Enfance de Sarraute… ; textes du corpus).

 

© Hatier 2007

 

– Un retour aux sources : importance de la nature dans les Confessions de Rousseau, l’eau et sa valeur symbolique chez Colette. b. Une façon de ressusciter le passé – Revivre de façon encore plus intense le passé justement parce qu’il s’éloigne ; il n’en est que plus précieux : la madeleine, le pavé de Proust dans la cour de l’hôtel de Guermantes (À la recherche du temps perdu). – Redevenir enfant, alors que c’est impossible dans la vraie vie : Cohen et ses « petits bonheurs « ; S. de Beauvoir, une ogresse prête à engloutir le monde et non pas l’écrivain féministe discutée. – Un refuge contre les aléas du présent.

 

2. À l’heure des bilans, préserver la saveur de la vie : le plaisir de se souvenir

Revivre des sensations, des émotions agréables S. de Beauvoir : « fascinée par l’éclat lumineux des fruits confits […] violet «. Des sensations que l’on peut réactiver (en écrivant, en relisant). – Capter ces sensations, c’est revenir à ce qui est fondateur dans la vie, à ce qui a été initiation à la vie (voir la réponse à la question). – Plaisir d’entrer dans les détails et de donner plus de relief par les images, l’approfondissement d’une sensation, d’un sentiment, d’un moment (Rousseau et ses promenades). C’est l’essence même de la vie que saisit l’autobiographe, en tentant de rendre compte de la vie dans toutes ses dimensions : importance des images multiples. – Possibilité d’idéaliser par l’écriture, donc de revivre « en mieux «. – Plaisir aussi de la nostalgie : « Rien qu’à parler d’elles, je souhaite que leur saveur m’emplisse la bouche au moment de tout finir. «

 

3. Une façon de recomposer le passé : le plaisir de créer sa vie

– Le tri nécessaire dans le passé permet de faire une sélection et de faire revivre les moments heureux : le choix permet de faire un condensé de vie et de donner de l’intensité à certains moments pour en oublier d’autres. – La jouissance de maîtriser sa vie, de la recomposer « selon son cœur «.

 

4. Le plaisir de l’écriture : plaisir de démiurge, plaisir de poète

a. Le plaisir de tirer parti des ressources du langage L’autobiographe joue avec le langage pour arriver à une adéquation la plus précise possible entre mots et vie → impression de puissance, celle d’un démiurge qui, par les images, les rythmes, les sons, « recrée « de la vie : images empruntées à la nature chez Colette ; énumérations en litanie de Cohen ; ton religieux pour célébrer un être ou une réalité magnifiée (nature chez Colette ; mère chez Cohen). → Comme un poète, l’autobiographe perce les mystères de la vie. Voir la prose poétique d’un Chateaubriand ou des textes du corpus.

 

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éécritures

 

L’autobiographie

 

Le roman

 

Convaincre…

 

Le théâtre

 

La poésie

 

« LES RIVES S’ÉLOIGNENT. MA MORT APPROCHE « • DISSERTATION • SUJET

 

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b. Le plaisir d’explorer une écriture nouvelle – Choix d’écriture nouveaux de N. Sarraute (Enfance) : en se dédoublant, elle vit deux fois son passé → multiplication de la vie. – Choix d’écriture de C. Juliet (Lambeaux) : le jeu sur le « tu « qui représente plusieurs personnes.

 

II. La conscience du temps qui passe ; se préparer à la mort : douleurs de l’écriture autobiographique

Revenir sur son passé est source de douleur et fait « mourir à petit feu «. La conscience aiguë du temps qui passe.

 

1. La résurrection des moments douloureux : un cortège de souffrances

a. Aux plaisirs se mêlent les douleurs des souvenirs malheureux – Le retour sur sa vie passée fait resurgir des moments douloureux qui remontent avec intensité : le bilan, le tableau peut être désespérant. Jules Vallès et son enfance d’enfant battu (L’Enfant), Juliet et la mort de sa mère biologique (voir aussi le monde d’incompréhension qu’il fait revivre dans Lambeaux) ; épisode douloureux de l’exclusion de l’enfant par les adultes dans Enfance de Sarraute… ; L’Âge d’homme de Leiris. b. La chronologie inexorable : il faut grandir – Grandir : le cortège de frustrations que dessine l’autobiographie (exemples). – L’écriture autobiographique oblige à sortir de l’enfance, il faut grandir, la chronologie s’impose : même – et surtout si l’enfance a été heureuse –, arriver à l’âge adulte permet de mesurer que cette enfance est morte, qu’elle était illusion (fin du texte de S. de Beauvoir).

 

2. L’ombre portée de la mort

a. Un récit a un début et… une fin ! L’autobiographie qui commence par la naissance porte en elle l’idée de la mort. Tout récit a une fin, l’écrivain est celui qui en a le plus conscience (cf. les débuts de romans qui portent en germe leur fin). b. La mort au bout du chemin L’autobiographe, entraîné dans la progression, l’itinéraire chronologique qu’implique le récit de vie, doit envisager clairement sa mort. Voir le préambule des Confessions de Rousseau (à l’heure du Jugement dernier, devant Dieu).

 

© Hatier 2007

 

c. La mort : quand ? En écrivant peut-être ! Mais la différence avec le roman, c’est que le romancier écrit son début en sachant quelle sera la fin (satisfaction d’une destinée finie, limitée et que l’on peut embrasser dans l’écriture et la lecture) ; l’autobiographe, lui, ne sait pas quand la mort le prendra : peut-être même en écrivant ? → angoisse de l’écriture surprise dans son inachèvement. Cf. Chateaubriand : « Dans combien de lieux ai-je déjà commencé à les écrire, et dans quel lieu les finirai-je ? […] Mettons à profit le peu d’instants qui me restent ; hâtons-nous de peindre ma jeunesse, tandis que j’y touche encore ; le navigateur, abandonnant pour jamais un rivage enchanté, écrit son journal à la vue de la terre qui s’éloigne et qui va bientôt disparaître. «

 

3. L’aspect « bilan « de l’autobiographie

a. L’autobiographe est en situation permanente de bilan Il doit à tout moment réfléchir sur le sens qu’il a donné à sa vie. Remise en question permanente qui peut être douloureuse et génératrice de doute. b. L’insatisfaction au détour de l’entreprise de lucidité Toute entreprise de lucidité est hasardeuse et douloureuse, parce que génératrice d’insatisfaction. Cf. Malraux, dans ses Antimémoires : « Presque tous les écrivains que je connais aiment leur enfance, je déteste la mienne. J’ai peu et mal appris à me créer moi-même, si se créer c’est s’accommoder de cette auberge sans routes qui s’appelle la vie. « C’est peut-être pour cela qu’il a écrit des romans… c. Lorsque le bilan est négatif… S’apercevoir, en fin de vie et d’écriture, que le bilan est négatif provoque une vision noire de la vie, proche de la mort (cf. Leiris, qui n’a pu trouver dans l’autobiographie le remède à sa dépression…) → amère déception.

 

III. La résolution du paradoxe : une façon d’apprivoiser la mort et de la dépasser ?

Cette apparente contradiction disparaît si on recherche les bienfaits de cette prise de conscience douloureuse.

 

1. En fait, un surcroît de vie multipliée jusqu’à la mort…

On a vécu doublement : en vrai et par l’écriture… À tel point que certains écrivains sont revenus plusieurs fois sur le récit de leur vie : Rousseau (Les Confessions, Rousseau juge de Jean-Jacques, Les rêveries du promeneur solitaire, La Nouvelle Héloïse…), Vallès.

 

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2. Une ascèse vers la sagesse : la vérité qui apaise

Les fruits de la réflexion qui prépare à la mort : une vraie préparation à la mort, l’acquisition d’une sagesse ? a. Avoir donné un sens à sa vie, la « comprendre « au sens propre, lui donner une cohérence → impression de plénitude. b. La quête de vérité et la sincérité qui éclaire sa vie : on se connaît mieux par l’écriture de soi. On a acquis la lucidité, la sérénité. Voir Rousseau, qui « avoue « ses fautes et en a la conscience plus sereine. Voir le Préambule des Confessions (Rousseau a son « livre à la main «). Voir aussi Chateaubriand : « Je vois les reflets d’une aurore dont je ne verrai pas se lever le soleil. Il ne me reste qu’à m’asseoir au bord de ma fosse ; après quoi je descendrai hardiment, le crucifix à la main, dans l’éternité. « c. La lucidité : la vie est l’envers de la mort… : voir Montaigne : « Ôtonslui (à l’ennemi qu’est la mort) l’étrangeté, pratiquons-le, accoutumons-le, n’ayons rien si souvent en la tête que la mort. « d. Un témoignage pour la vie : une victoire sur la mort : cas des Mémoires et surtout des récits autobiographiques qui témoignent de la victoire sur la mort et la souffrance, tout en en faisant le centre de l’œuvre (pour l’exorciser aussi) : Primo Levi (Si c’est un homme) et toute la littérature autobiographique autour des camps de concentration.

 

3. Dépasser sa condition de mortel : transcender la mort par l’éternité de l’écriture

a. Une œuvre qui transcende le temps : l’autobiographe laisse une trace de lui, qui lui survivra : aspect artistique de l’écriture autobiographique qui en fait une œuvre d’art. b. Une image de l’humaine condition tendue à ses « semblables « : Il va revivre auprès des lecteurs à venir, qu’il éclairera sur l’être humain : « chaque homme porte en lui la forme entière de l’humaine condition « (Montaigne) → une part d’éternité et un legs supposant l’acceptation de la mort.

 

Conclusion

L’écriture autobiographique a forcément à voir avec la vie, puisqu’elle est récit de vie. Mais comme la vie ne se définit que par la mort et inversement, elle relie les deux sans doute plus que tout autre genre littéraire. C’est ce qui fait sa dualité : elle apporte une saveur délicieuse qui prend parfois la forme d’une « gorgée d’imaginaire «, de « petits bonheurs «, de « friandises géantes « et donne l’impression d’une « fête «, mais elle apporte avec ces bonheurs le goût amer du temps qui a passé, qui passe encore et du « moment de tout finir «.

© Hatier 2007

 

 

 

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