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«Sépulture d'un poète maudit» de Charles Baudelaire

Publié le 02/10/2010

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baudelaire

 

I – Introduction

Sépulture est la pièce 70 de la section Spleen et Idéal. Ce poème, paru en 1857, est un sonnet marotique composé essentiellement d’octosyllabes. Comme le titre l’indique, il s’agit d’un poème désespéré qui  décrit la sépulture du poète. Sépulture d’un poète maudit précède « Une Gravure Fantastique « et suit « La Musique «.

 

II – Lecture détaillée  

Si par une nuit lourde et sombre

Un bon chrétien, par charité,

Derrière quelque vieux décombre

Enterre votre corps vanté,

 

 A l'heure où les chastes étoiles

Ferment leurs yeux appesantis(1),

L'araignée y fera ses toiles,

Et la vipère ses petits;

 

Vous entendrez toute l'année

Sur votre tête condamnée

Les cris lamentables des loups

 

Et des sorcières faméliques (2),

Les ébats des vieillards lubriques (3)

Et les complots des noirs filous.

 

(1) : engourdis, alourdis.

(2) : misérables, tourmentés par la faim. Cet adjectif à une valeur péjorative.

(3) : qui manifestent un intérêt particulier pour la luxure.

 

III – Enoncé de la démarche

A – La cérémonie funèbre

B – Le désespoir du poète

 

A – La cérémonie funèbre

 

Le huitain est construit sur un enjambement. Il est composé de 4 rimes. Dans ce quatrain, le poète introduit 3 idées majeures :

 

a/ L’hypocrisie du chrétien

«Un bon chrétien, par charité/derrière quelque vieux décombre«. Le chrétien, dans l’imaginaire baudelairien, est hypocrite. Ici, sa charité est intéressée (ce qui est pour Baudelaire le défaut majeur de la charité), le chrétien va enterrer le corps pour satisfaire sa conscience, mais il l’enterre derrière les décombres. Il n’a pas de respect ni d’humanité.

« Les chastes étoiles/ferment leurs yeux appesantis « : Baudelaire évoque ici le moment abstrait de la nuit où la morale chrétienne ferme les yeux sur le vice, sur le Mal -> Hypocrisie de condamner les vices, mais de fermer les yeux à l’heure de leur manifestation.

« Le corps vanté « est aussi le symbole de l’hypocrisie chrétienne. On loue excessivement les mérites du défunt, pour ensuite l’oublier ou même le laisser reposer derrière un tas de ruine.

 

b/La non pérennité des choses

La fuite du temps qui passe est un thème récurent dans les Fleurs du Mal, et dans ce poème, Baudelaire exprime cette idée avec sa crainte de tomber dans l’oubli. « Ce corps vanté «, tombera dans l’oublie (d’ailleurs, rien dans le poème ne donne d’indice sur l’identité du corps inhumé). Cette crainte du poète de ne pas passer à la postérité, c’est l’idée du poète maudit, ce qui peut expliquer pourquoi certains éditeurs ont titré ce poème « Sépulture d’un poète maudit «.

 

c/ La fécondité du mal

Alors que l’individu retourne à l’état de poussière, le mal lui, se reproduit. Avec les deux vers ancré dans le bestiaire satanique « l’araignée y fera ses toiles,/et la vipère ses petits «, Baudelaire introduit l’idée du caractère inhérent du mal à l’humanité. Si l’individu est périssable, le mal lui restera. Cela introduit la désespérance du poète, un thème qui sera d’autant plus explicité dans le sizain qui suit.

 

B - Un tableau fantastique et mystique

 

Dans le sizain, Baudelaire dresse un tableau mystique dans lequel il développe sa crainte de l’au-delà.

 

a/ Le symbolisme mystique 

Usage de symbole fort, emprunté au bestiaire satanique :

- « Les loup « : Dans la religion chrétienne, le loup représente les forces diaboliques qui menacent les fidèles comme le loup menace les moutons du berger. « Les cris lamentables « evoque les hurlements plaintif des âmes damnées de l’Enfer, à l’image du corps inhumé.

- « Sorcière faméliques « : Les sorcières de la mythologie chrétienne étaient réputées entretenir un commerce charnel avec Satan et mettre leurs pouvoirs magiques au service du mal.

 - « La vipère «, le serpent : Contrairement aux autres animaux, le serpent n'a pas de pattes, il apparaît à l'improviste; c'est un animal mystérieux qui, dans les religions anciennes, a de nombreux liens avec la sagesse et la sexualité. Chez plusieurs cultures, le serpent est associé au mystère de la vie et de la mort. On est donc dans la même ligne interprétative que les deux arbres dans le jardin de Gn 2, un qui donne la vie, l'autre qui donne la mort. Le serpent change régulièrement de peau, ce qui suggère un renouveau constant ou un rajeunissement. Le serpent promet la connaissance et la vie, mais malheureusement il ne donnera qu'une pauvre connaissance et la mort. L'identification du serpent avec le démon ou Satan n'est pas dans le sens de l'auteur et a été développé tardivement dans la tradition biblique.

- « Les noirs filous « :

- « L’araignée y tissera sa toile « : la référence biblique est ici évidente. En effet, parce qu'une araignée avait tissé sa toile l'entrée de la grotte ou s'étaient réfugiés, pendant la fuite en Égypte, la Vierge et son enfant, leurs poursuivants, croyant l'endroit inhabité, passèrent leur chemin. On notera que d'autres de ses congénères recoururent au même moyen pour sauver, dît-on, le roi David et Mahomet. Selon un récit du Calvados, une araignée tissa sa toile sur les plaies de Jésus pour empêcher les mouches d'approcher. Depuis, elle porte une croix blanche sur le dos : c'est l'araignée porte-croix, dont les petites pierres qu'elle a dans le corps étaient portées autour du cou pour se protéger de la peste. L’araignée a donc une valeur méliorative, malgré son aspect effrayant, mais on peut penser que la toile qu’elle tisse ferme l’accès a l’endroit où la vipère (symbole de Satan) pond ses œufs et assure ainsi la pérennité du mal, mais ça n’est là que supposition.

-« Les  vieillards lubriques « : Ici s’associe deux symboles incompatibles. Le vieillard, dans la culture occidentale (et pas que), est le symbole du sage, du patriarche, qui guide avec raison et pédagogie le jeune sur le chemin de la vertu. Mais ce symbole, associé à l’adjectif « lubrique «, qui signifie un intérêt excessif pour la luxure, évoque que le mal est partout, que le vice n’a plus de limite. C’est donc la débauche, la décadence généralisé. 

b/ La description d’un repos impossible à travers laquelle Baudelaire exprime sa peur d’un Au-delà de châtiment, de l’enfer.

Baudelaire, malgré son goût pour les sciences occultes, l’ésotérisme, le mystiques et la débauche, craint d’être damné. Il est partagé entre le Dieu de son enfance (l’image du père catholique et de la mère pieuse) et la Révolte, l’aspiration à la décadence qu’il connait dès sa jeunesse. Dans ce poème, il conte la sépulture d’un « corps vanté «, autrement dit d’une âme qui aurait du atteindre le Paradis chrétien et ainsi se reposer pour l’éternité, mais qui au contraire, est en proie aux tourments de l’enfer « tête condamnée «, et cela pour la fin des temps : « toute l’année «. A travers l’utilisation du bestiaire satanique et des symboles bibliques, il peint un tableau de l’enfer qui évoque les œuvres de Jérôme Bosch. 

 

NB, entretien : 

Les éditeurs de 1868, s’appuyant sur on ne sait quel texte écrit ou quel témoignages, intitulent cette pièce sépulture d’un poète maudit, mais pas un mot de ce sonnet n’invite à croire qu’il s’agisse en effet d’un poète. J.Crépet pense que Baudelaire a dans l’esprit la mort d’une comédienne, mais le mot sur lequel il appuie cette supposition,  « votre corps vanté «, peut aussi bien designer n’importe quelle femme connue pour sa beauté. 

Si l’on se reporte à la première édition et si l’on observe la place qu’y occupe Sépulture, on se rend compte des intentions du poète en écrivant cette pièce. Elle s’insère dans une série ou domine le pittoresque, fantastique ou macabre, sur des thèmes de la tradition littéraire : Le Tonneau de la haine, Le Revenant, qui est fantastique et sinistre, Le Mort joyeux, qui se relie au Gautier de la Comédie de la Mort et à Petrus Borel. On s’aperçoit, alors, que Sépulture est écrite en marge des poésies baroques de l’époque de Louis XIII. Ces vipères, ces sorcières faméliques, ces vieillards lubriques, sont des images communes de toute la poésie de ce temps.

 

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