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Sue, les Mystères de Paris (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Sue, les Mystères de Paris (extrait). Ce long roman, paru dans le Journal des Débats sous la forme d'épisodes quotidiens, est l'un des premiers romans-feuilletons. À l'intrigue fort mince qui se nourrit de pathos, on préfère le projet social de l'auteur consistant à proposer un tableau complet et réaliste des misères que le peuple parisien connaît sous la monarchie de Juillet et à lever le mystère sur ses figures représentatives, incarnations multiples de l'injustice opprimante des institutions. Les Mystères de Paris d'Eugène Sue (Chapitre 21, « La punition «) La scène se passe dans un salon tendu de rouge, brillamment éclairé. Rodolphe, revêtu d'une longue robe de chambre de velours noir, qui augmente encore la pâleur de sa figure, est assis devant une grande table recouverte d'un tapis. Sur cette table, on voit deux portefeuilles, celui qui a été volé à Tom par le Maître d'école dans la Cité, et celui qui appartient à ce brigand ; la chaîne de similor de la Chouette, à laquelle est suspendu le petit Saint-Esprit de lapis-lazuli, le stylet encore ensanglanté qui a frappé Murph, la pince de fer qui a servi à l'effraction de la porte, et enfin les cinq billets de mille francs que le Chourineur a été chercher dans une pièce voisine. Le docteur noir est assis d'un côté de la table, le Chourineur de l'autre. Le Maître d'école, étroitement garrotté, hors d'état de faire un mouvement, est placé dans un grand fauteuil à roulettes, au milieu du salon. Les gens qui ont apporté cet homme se sont retirés. Rodolphe, le docteur, le Chourineur et l'assassin restent seuls. Rodolphe n'est plus irrité : il reste calme, triste, recueilli ; il va accomplir une mission solennelle et formidable. Le docteur est pensif. Le Chourineur ressent une crainte vague ; il ne peut détacher son regard du regard de Rodolphe. Le Maître d'école est livide... il a peur... Une arrestation légale lui eût paru moins redoutable peut-être, son audace ne l'eût pas abandonné devant un tribunal ordinaire ; mais tout ce qui l'entoure le surprend, l'effraye ; il est au pouvoir de Rodolphe, qu'il considérait comme un artisan capable de le trahir ou de faiblir à l'heure du crime, et qu'il a voulu sacrifier à ce soupçon et à l'espoir de profiter seul du vol... Et à cette heure, Rodolphe lui apparaît terrible et imposant comme la justice. Le plus profond silence règne au-dehors. Seulement, l'on entend le bruit de la pluie qui tombe... tombe du toit sur le pavé. Rodolphe s'adresse au Maître d'école. -- Échappé du bagne de Rochefort où vous aviez été condamné à perpétuité... pour crime de faux, de vol et de meurtre... vous êtes Anselme Duresnel. -- C'est faux ; qu'on me le prouve ! dit le Maître d'école d'une voix altérée, en jetant autour de lui son regard fauve et inquiet. -- Comment ! s'écria le Chourineur, nous n'étions pas ensemble à Rochefort ? Rodolphe fit un signe au Chourineur, qui se tut. Rodolphe continua : Vous êtes Anselme Duresnel... vous en conviendrez plus tard... vous avez assassiné et volé un marchand de bestiaux sur la route de Poissy. -- C'est faux ! -- Vous en conviendrez plus tard. Le brigand regarda Rodolphe avec surprise. -- Cette nuit, vous vous êtes introduit ici pour voler ; vous avez poignardé le maître de cette maison... -- C'est vous qui m'avez proposé ce vol, dit le Maître d'école en reprenant un peu d'assurance ; on m'a attaqué... je me suis défendu. -- L'homme que vous avez frappé ne vous a pas attaqué... il était sans armes ! Je vous ai proposé ce vol... c'est vrai... je vous dirai tout à l'heure dans quel but. La veille, après avoir dévalisé un homme et une femme dans la Cité, après avoir volé le portefeuille que voici, vous leur avez offert de me tuer pour mille francs !... -- Je l'ai entendu ! s'écria le Chourineur. -- Le Maître d'école lui lança un regard de haine féroce. Rodolphe reprit : -- Vous le voyez, vous n'aviez pas besoin d'être tenté par moi pour faire le mal !... -- Vous n'êtes pas juge d'instruction, je ne vous répondrai plus... -- Voici pourquoi je vous ai proposé ce vol. Je vous savais évadé du bagne... vous connaissiez les parents d'une infortunée dont la Chouette, votre complice, a presque causé tous les malheurs... Je voulais vous attirer ici par l'appât d'un vol, seul appât capable de vous séduire. Une fois en mon pouvoir, je vous laissais le choix ou d'être mis entre les mains de la justice, qui vous faisait payer de votre tête l'assassinat du marchand de bestiaux... -- C'est faux, ce n'est pas moi. -- Ou d'être conduit hors de France, par mes soins, et dans un lieu de réclusion perpétuelle, mais à la condition que vous me donneriez les renseignements que je voulais avoir. Vous étiez condamné à perpétuité, vous aviez rompu votre ban. En m'emparant de vous, en vous mettant désormais dans l'impossibilité de nuire, je servais la société, et par vos aveux, je trouvais moyen de rendre peut-être une famille à une pauvre créature plus malheureuse encore que coupable. Tel était d'abord mon projet ; il n'était pas légal ; mais, par votre évasion et par vos nouveaux crimes, vous êtes hors la loi... Hier, une révélation providentielle m'a appris votre véritable nom. -- C'est faux ! Je ne m'appelle pas Duresnel. Rodolphe prit sur la table la chaîne de la Chouette, et, montrant au Maître d'école le petit Saint-Esprit de lapis-lazuli : -- Sacrilège ! s'écria Rodolphe d'une voix menaÿante. Vous avez prostitué à une créature infâme cette relique sainte... trois fois sainte !... car votre enfant tenait ce don pieux de sa mère et de son aïeule ! Le Maître d'école, stupéfait de cette découverte, baissa la tête sans répondre. -- Hier, j'ai appris que vous aviez enlevé votre fils à sa mère il y a quinze ans, et que vous seul possédiez le secret de son existence ; ce nouveau méfait m'a été un motif de plus de m'assurer de vous ; sans parler de ce qui m'est personnel... ce n'est pas cela que je venge... Cette nuit vous avez encore versé le sang sans provocation. L'homme que vous avez assassiné est venu à vous avec confiance, ne soupçonnant pas votre rage sanguinaire. Il vous a demandé ce que vous vouliez. « Ton argent et ta vie !... « et vous l'avez frappé d'un coup de poignard. -- Tel a été le récit de M. Murph lorsque je lui ai donné les premiers secours, dit le docteur. -- C'est faux, il a menti. -- Murph ne ment jamais, dit froidement Rodolphe. Vos crimes demandent une réparation éclatante. Vous vous êtes introduit à main armée dans ce jardin, vous avez poignardé un homme pour le voler. Vous avez commis un autre meurtre... Vous allez mourir ici... Par pitié pour votre femme et pour votre fils, on vous sauvera la honte de l'échafaud... On dira que vous avez été tué dans une attaque à main armée... Préparez-vous... les armes sont chargées. La physionomie de Rodolphe était implacable... Le Maître d'école avait remarqué dans une pièce précédente deux hommes armés de carabines... Son nom était connu ; il pensa en effet qu'on allait se débarrasser de lui pour ensevelir dans l'ombre ses derniers crimes et sauver ce nouvel opprobre à sa famille. Comme ses pareils, cet homme était aussi lâche que féroce. Croyant son heure arrivée, il tremblait convulsivement ; ses lèvres blanchirent ; d'une voix strangulée il cria : -- Grâce ! -- Il n'y a pas de grâce pour vous, dit Rodolphe. Si l'on ne vous brûle pas la cervelle ici, l'échafaud vous attend... -- J'aime mieux l'échafaud... Je vivrai au moins deux ou trois mois encore... Qu'est-ce que cela vous fait, puisque je serai puni ensuite !... Grâce !... grâce !... -- Mais votre femme... mais votre fils... ils portent votre nom... -- Mon nom est déjà déshonoré... Quand je ne devrais vivre que huit jours, grâce !... -- Pas même ce mépris de la vie qu'on trouve quelquefois chez les grands criminels ! dit Rodolphe avec dégoût. -- D'ailleurs, la loi défend de se faire justice soi-même, reprit le Maître d'école avec assurance. -- La loi ! s'écria Rodolphe, la loi !... Vous osez invoquer la loi, vous qui, depuis vingt ans, vivez en révolte ouverte et armée contre la société ? Le brigand baissa la tête sans répondre, puis il dit d'un ton humble : -- Au moins, laissez-moi vivre, par pitié ! -- Me direz-vous où est votre fils ? -- Oui, oui... Je vous dirai tout ce que j'en sais. -- Me direz-vous quels sont les parents de cette jeune fille dont l'enfance a été torturée par la Chouette ? -- Il y a là, dans mon portefeuille, des papiers qui vous mettront sur leur trace. Il paraît que sa mère est une grande dame. -- Où est votre fils ? -- Vous me laisserez vivre ? -- Confessez tout d'abord... -- C'est que quand vous saurez... dit le Maître d'école avec hésitation. -- Tu l'as tué ! -- Non, non, je l'ai confié à un de mes complices qui, lorsque j'ai été arrêté, a pu s'évader. -- Qu'en a-t-il fait ? -- Il l'a élevé ; il lui a donné les connaissances nécessaires pour rentrer dans le commerce, afin de nous servir, et... Mais je ne dirai pas le reste, à moins que vous me promettiez de ne pas me tuer. -- Des conditions, misérable ! -- Eh bien ! non, non ; mais pitié ; faites-moi seulement arrêter comme coupable du crime d'aujourd'hui ; ne parlez pas de l'autre. Laissez-moi une chance de sauver ma tête. -- Tu veux donc vivre ? -- Oh ! oui, oui ; qui sait ? On ne peut pas prévoir ce qui arrive, dit involontairement le brigand. Il songeait déjà à la possibilité d'une nouvelle évasion. -- Tu veux vivre à tout prix... vivre. -- Mais vivre... quand ce serait à la chaîne ! pour un mois, pour huit jours... Oh ! que je ne meure pas à l'instant... -- Confesse tous tes crimes, tu vivras. -- Je vivrai ! oh ! bien vrai ? je vivrai ? -- Écoute, par pitié pour ta femme, pour ton fils, je veux te donner un sage conseil : meurs aujourd'hui, meurs... -- Oh ! non, non, ne revenez pas sur votre promesse, laissez-moi vivre, l'existence la plus affreuse, la plus épouvantable, n'est rien auprès de la mort. -- Tu le veux ? -- Oh ! oui, oui... -- Tu le veux ? -- Oh ! je ne m'en plaindrai jamais. -- Et ton fils, qu'en as-tu fait ? -- Cet ami dont je vous parle lui avait fait apprendre la tenue des livres pour le mettre dans une maison de banque, afin qu'il pût nous renseigner... à certains égards. C'était convenu entre nous. Quoiqu'à Rochefort, et en attendant mon évasion, je dirigeais le plan de cette entreprise, nous correspondions par chiffres. -- Cet homme m'épouvante ! s'écria Rodolphe en frémissant ; il est des crimes que je ne soupçonnais pas. Avoue... avoue... pourquoi voulais-tu faire entrer ton fils chez un banquier ? -- Pour... vous entendez bien... étant d'accord avec nous... sans le paraître... inspirer de la confiance au banquier... nous seconder... et... -- Oh ! mon Dieu ! son fils, son fils ! s'écria Rodolphe avec une douloureuse horreur, en cachant sa tête dans ses mains. Source : Sue (Eugène), les Mystères de Paris, 1842-1843. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

« que vous vouliez.

« Ton argent et ta vie !… » et vous l’avez frappé d’un coup de poignard. — Tel a été le récit de M.

Murph lorsque je lui ai donné les premiers secours, dit le docteur. — C’est faux, il a menti. — Murph ne ment jamais, dit froidement Rodolphe.

Vos crimes demandent une réparation éclatante.

Vous vous êtes introduit à main armée dans ce jardin, vous avez poignardé un homme pour le voler.

Vous avez commis un autre meurtre… Vous allez mourir ici… Par pitié pour votre femme et pour votre fils, on vous sauvera la honte de l’échafaud… On dira que vous avez été tué dans une attaque à main armée… Préparez-vous… les armes sont chargées. La physionomie de Rodolphe était implacable… Le Maître d’école avait remarqué dans une pièce précédente deux hommes armés de carabines… Son nom était connu ; il pensa en effet qu’on allait se débarrasser de lui pour ensevelir dans l’ombre ses derniers crimes et sauver ce nouvel opprobre à sa famille. Comme ses pareils, cet homme était aussi lâche que féroce.

Croyant son heure arrivée, il tremblait convulsivement ; ses lèvres blanchirent ; d’une voix strangulée il cria : — Grâce ! — Il n’y a pas de grâce pour vous, dit Rodolphe.

Si l’on ne vous brûle pas la cervelle ici, l’échafaud vous attend… — J’aime mieux l’échafaud… Je vivrai au moins deux ou trois mois encore… Qu’est-ce que cela vous fait, puisque je serai puni ensuite !… Grâce !… grâce !… — Mais votre femme… mais votre fils… ils portent votre nom… — Mon nom est déjà déshonoré… Quand je ne devrais vivre que huit jours, grâce !… — Pas même ce mépris de la vie qu’on trouve quelquefois chez les grands criminels ! dit Rodolphe avec dégoût. — D’ailleurs, la loi défend de se faire justice soi-même, reprit le Maître d’école avec assurance. — La loi ! s’écria Rodolphe, la loi !… Vous osez invoquer la loi, vous qui, depuis vingt ans, vivez en révolte ouverte et armée contre la société ? Le brigand baissa la tête sans répondre, puis il dit d’un ton humble : — Au moins, laissez-moi vivre, par pitié ! — Me direz-vous où est votre fils ? — Oui, oui… Je vous dirai tout ce que j’en sais. — Me direz-vous quels sont les parents de cette jeune fille dont l’enfance a été torturée par la Chouette ? — Il y a là, dans mon portefeuille, des papiers qui vous mettront sur leur trace.

Il paraît que sa mère est une grande dame. — Où est votre fils ? — Vous me laisserez vivre ? — Confessez tout d’abord… — C’est que quand vous saurez… dit le Maître d’école avec hésitation. — Tu l’as tué ! — Non, non, je l’ai confié à un de mes complices qui, lorsque j’ai été arrêté, a pu s’évader. — Qu’en a-t-il fait ? — Il l’a élevé ; il lui a donné les connaissances nécessaires pour rentrer dans le commerce, afin de nous servir, et… Mais je ne dirai pas le reste, à moins que vous me promettiez de ne pas me tuer. — Des conditions, misérable ! — Eh bien ! non, non ; mais pitié ; faites-moi seulement arrêter comme coupable du crime d’aujourd’hui ; ne parlez pas de l’autre.

Laissez-moi une chance de sauver ma tête. — Tu veux donc vivre ? — Oh ! oui, oui ; qui sait ? On ne peut pas prévoir ce qui arrive, dit involontairement le brigand. Il songeait déjà à la possibilité d’une nouvelle évasion. — Tu veux vivre à tout prix… vivre. — Mais vivre… quand ce serait à la chaîne ! pour un mois, pour huit jours… Oh ! que je ne meure pas à l’instant… — Confesse tous tes crimes, tu vivras. — Je vivrai ! oh ! bien vrai ? je vivrai ? — Écoute, par pitié pour ta femme, pour ton fils, je veux te donner un sage conseil : meurs aujourd’hui, meurs… — Oh ! non, non, ne revenez pas sur votre promesse, laissez-moi vivre, l’existence la plus affreuse, la plus épouvantable, n’est rien auprès de la mort. — Tu le veux ? — Oh ! oui, oui… — Tu le veux ? — Oh ! je ne m’en plaindrai jamais. — Et ton fils, qu’en as-tu fait ? — Cet ami dont je vous parle lui avait fait apprendre la tenue des livres pour le mettre dans une maison de banque, afin qu’il pût nous renseigner… à certains égards.

C’était convenu entre nous.

Quoiqu’à Rochefort, et en attendant mon évasion, je dirigeais le plan de cette entreprise, nous correspondions par chiffres. — Cet homme m’épouvante ! s’écria Rodolphe en frémissant ; il est des crimes que je ne soupçonnais pas.

Avoue… avoue… pourquoi voulais-tu faire entrer ton fils chez un banquier ? — Pour… vous entendez bien… étant d’accord avec nous… sans le paraître… inspirer de la confiance au banquier… nous seconder… et… — Oh ! mon Dieu ! son fils, son fils ! s’écria Rodolphe avec une douloureuse horreur, en cachant sa tête dans ses mains. Source : Sue (Eugène), les Mystères de Paris, 1842-1843.. »

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