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Tchekhov, la Cerisaie (extrait).

Publié le 07/05/2013

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Tchekhov, la Cerisaie (extrait). La vente aux enchères de la Cerisaie vient d'avoir lieu. Le nouveau propriétaire est Lopakhine, autrefois régisseur du domaine, lorsque celui-ci appartenait encore à Lioubov Andreievna Ranevskaia. À l'annonce du rachat, Lioubov Andreievna s'effondre de chagrin tandis que Lopakhine, tout à son exaltation, évoque le temps depuis peu révolu où ses aïeux étaient serfs sur le domaine. L'heure des transformations sociales est arrivée ; Lopakhine devenu riche va pouvoir exploiter librement ses terres ; la Cerisaie naguère jardin d'agrément pour l'aristocratie russe deviendra, une fois ses arbres abattus, surface utile à la construction de lotissements. La Cerisaie d'Anton Tchekhov (acte III) PISTCHIK. -- Alors, comment s'est passée la vente ? Raconte, enfin ! LIOUBOV ANDRÉEVNA. -- Est-ce que la cerisaie est vendue ? LOPAKHINE. -- Oui, elle est vendue. LIOUBOV ANDRÉEVNA. -- Qui l'a achetée ? LOPAKHINE. -- Moi. (Un temps.) Lioubov Andréevna est écrasée ; s'il n'y avait pas eu près d'elle une table et un fauteuil, elle se serait effondrée. Varia détache de sa ceinture les clefs, les jette par terre, au milieu du salon, et sort. LOPAKHINE. -- C'est moi ! Un instant, je vous prie, tout se brouille dans ma tête... Je n'arrive pas à sortir un mot... (Il rit.) Quand nous sommes arrivés pour la vente aux enchères, Dériganov y était déjà. Léonid Andréevitch n'avait que quinze mille roubles, et Dériganov du premier coup en a offert trente en plus de la dette. Quand j'ai vu ça, je me suis empoigné avec lui et j'ai annoncé quarante. Et lui quarante-cinq. Moi, alors, cinquante-cinq. Et lui de surenchérir cinq par cinq, et moi dix par dix... Et c'est comme ça que cela s'est fait. J'ai donné quatre-vingt mille, une fois la dette couverte, et je l'ai emporté. La cerisaie est maintenant à moi ! À moi ! (Il rit avec éclats.) Dieu de Dieu, la cerisaie est à moi ! Dites-moi que je suis soûl, que j'ai perdu la raison, que je rêve... (Il tape des pieds.) Ne vous moquez pas de moi ! Si mon père et mon grand-père sortaient de leur tombe et pouvaient voir ce qui se passe, comment leur Ermolaï, cet Ermolaï tant battu, illettré, qui allait nu-pieds en hiver... comment cet Ermolaï a acheté le domaine le plus beau du monde... J'ai acheté le domaine où mon père et mon grand-père ont été des esclaves, où on ne les admettait même pas à la cuisine. Je dois dormir, j'ai des visions, je rêve... Tout cela n'est que votre imagination, perdue dans la nuit des temps... (Il ramasse les clefs, sourit gentiment.) Elle a jeté les clefs pour montrer qu'elle n'était plus maîtresse ici... (Il fait sonner les clefs.) Tant pis. (On entend l'orchestre accorder les instruments.) Hé ! les musiciens, jouez, je veux vous entendre ! Venez tous voir comment Ermolaï Lopakhine va porter la hache dans la cerisaie, comment ils vont tomber, les cerisiers ! Nous allons construire ici des villas, en masse, et nos petits-enfants et arrière-petits-enfants verront ici une vie nouvelle... Musique ! Jouez ! Musique. Lioubov Andréevna s'est laissée tomber sur une chaise et pleure amèrement. LOPAKHINE, avec reproche. -- Pourquoi, pourquoi ne m'avez-vous pas écouté ? Ma pauvre, ma chère amie, maintenant il est trop tard. (Avec des larmes.) Ah, si nous avions tout cela déjà derrière nous, si notre malheureuse vie si mal fichue pouvait se transformer, très vite, d'une façon ou d'une autre. PISTCHIK, le prend par le bras, à mi-voix. -- Elle pleure. Viens dans la salle, laissons-la seule... Viens... Il passe le bras sous le sien et l'emmène dans la salle. LOPAKHINE. -- Alors quoi ? Un peu plus de sentiment, s'il vous plaît ! Que mes quatre volontés soient faites ! (Avec ironie.) C'est le nouveau hobereau, le propriétaire de la cerisaie qui s'avance ! (Il pousse par mégarde un guéridon et manque de renverser un candélabre.) Je peux payer pour tout ça ! Il sort avec Pistchik. Il n'y a plus personne ni dans la salle ni dans le salon, sauf Lioubov Andréevna qui, tassée sur une chaise, pleure des larmes amères. Musique douce. Ania et Trofimov entrent précipitamment, Ania se met à genoux devant sa mère. Trofimov reste à l'entrée de la salle. ANIA. -- Maman !... Maman, tu pleures ? Ma chérie, ma douce, ma bonne maman, ma merveilleuse maman, je t'aime. Je te bénis. La cerisaie est vendue, elle n'existe plus, c'est vrai, mais ne pleure pas, maman, tu as toujours devant toi la vie, il te reste ton coeur, bon et pur... Viens avec moi, viens ma chérie, allons-nous-en d'ici !... Nous allons planter un nouveau jardin, plus magnifique que celui-ci, tu verras, tu comprendras, et une joie douce et profonde descendra dans ton coeur comme un soleil du soir, et tu souriras, maman ! Viens, ma chérie ! Viens ! Source : Tchekhov (Anton), la Cerisaie, trad. par Elsa Triolet, in Anton Tchekhov, OEuvres, tome I, Paris, Gallimard, 1967. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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