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Tchekhov, la Mouette (extrait).

Publié le 07/05/2013

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tchekhov
Tchekhov, la Mouette (extrait). À l'acte I de la Mouette, un spectacle se prépare : Treplev, le fils d'Arkadina, a écrit une pièce pour la jeune Nina, dont il est amoureux fou. Celle-ci échappe à ses parents et vient, telle une mouette, vers les tréteaux construits devant le lac pour le spectacle. La représentation commence mais, humilié par les plaisanteries lancées par sa mère contre cette « divagation décadente «, Treplev l'interrompt. La Mouette d'Anton Tchekhov (acte I) Le rideau se lève ; on découvre la vue sur le lac ; la lune à l'horizon, son reflet dans l'eau ; Nina Zaretchnaïa, habillée de blanc, est assise sur une grosse pierre. NINA. -- « Hommes, lions, aigles et perdrix, cerfs cornus, poissons silencieux, habitants de l'eau, étoiles de mer, et ceux que l'oeil ne pouvait apercevoir, -- bref, toutes les vies, toutes les vies, ayant achevé leur triste cycle, se sont éteintes... Depuis déjà des milliers de siècles, la terre ne porte plus un seul être vivant, et cette pauvre lune allume en vain sa lanterne. Les cigognes ne crient plus à leur réveil dans le pré, et on n'entend plus le hanneton de mai dans les tilleuls. Il fait froid, froid, froid. Vide, vide, vide. Terrible, terrible, terrible. (Un temps.) Les corps des êtres vivants sont tombés en poussière, et la matière éternelle les a transformés en pierres, en eau, en nuages, et leurs âmes se sont fondues en une âme unique. L'âme collective, universelle, c'est moi... moi... Je suis l'âme d'Alexandre le Grand, et de César, et de Shakespeare, et de Napoléon, et de la dernière des sangsues. En moi, la conscience des hommes s'est confondue avec les instincts des bêtes, et je me rappelle tout, tout, tout, et je vis à nouveau chacune des vies qui sont en moi. « Apparaissent les feux follets. ARKADINA, à mi-voix. -- C'est une affaire décadente. TRÉPLEV, suppliant, avec reproche. -- Maman ! NINA. -- « Je suis solitaire. J'ouvre les lèvres une fois en cent ans, je parle, et ma voix dans ce vide a un son morne, et personne ne l'entend... Vous non plus, feux pâles, vous ne m'entendez pas... Au petit matin vous naissez du marais pourri, pour danser jusqu'à l'aube, sans pensées, sans volonté, sans frisson de la vie. Craignant que ne jaillisse en vous la vie, le diable, le père de la matière éternelle, provoque en vous un échange d'atomes, tout comme dans les pierres et dans l'eau, et vous vous transformez sans discontinuer. Dans tout l'univers ne reste immuable que l'esprit. (Un temps.) Comme un prisonnier jeté dans un profond puits vide, je ne sais où je suis et ce qui m'attend. Une seule chose m'est donnée à connaître : c'est que dans la lutte opiniâtre et cruelle contre le diable, source des forces matérielles, je serai victorieuse. Alors, la matière et l'esprit se confondant dans une seule admirable harmonie, pourra commencer le règne de la volonté universelle. Ceci n'arrivera que lentement, après une longue, longue chaîne de millénaires, lorsque la lune et le clair Sirius et la terre seront devenus poussière... Et jusqu'alors -- l'horreur, l'horreur... (Un temps ; sur le fond du lac apparaissent deux point rouges.) Voici qu'approche mon puissant ennemi, le diable. Je vois ses yeux terribles, ils sont pourpres... « ARKADINA. -- Cela sent le soufre. C'est exprès ? TRÉPLEV. -- Oui. ARKADINA, riant. -- Pour un effet, c'est un effet ! TREPLEV. -- Maman ! NINA. -- « Il s'ennuie sans l'homme... « PAULINA ANDRÉEVNA, à Dorn. -- Vous avez enlevé votre chapeau. Remettez-le, vous allez attraper froid. ARKADINA. -- Le docteur a enlevé son chapeau devant le diable, le père de la matière éternelle. TRÉPLEV, s'emportant, crie. -- La pièce est terminée. Assez ! Rideau ! ARKADINA. -- Mais pourquoi te fâches-tu ? TRÉPLEV. -- Assez ! Rideau ! Baissez le rideau ! (Tapant du pied.) Rideau ! (Le rideau tombe.) Je vous demande pardon ! J'ai oublié qu'il n'est permis qu'à quelques rares élus d'écrire des pièces et de jouer sur une scène. J'ai brisé le monopole ! Pour moi... Je... Il veut dire encore quelque chose, mais fait un geste de la main et s'en va, à gauche. ARKADINA. -- Qu'est-ce qu'il a ? SORINE. -- Irina, comment peut-on traiter ainsi un jeune amour-propre ! ARKADINA. -- Mais qu'est-ce que je lui ai dit ? SORINE. -- Tu l'as blessé. ARKADINA. -- C'est lui-même qui a dit que sa pièce n'était qu'une plaisanterie, et je l'ai prise pour telle. SORINE. -- Tout de même... ARKADINA. -- Et voilà que maintenant il faut brusquement considérer qu'il a écrit une grande oeuvre ! Ni plus ni moins ! Et il a organisé ce spectacle et nous a parfumés avec du soufre pas du tout pour plaisanter, mais pour faire une manifestation. Il voulait nous donner une leçon, nous montrer comment il faut écrire et ce qu'il faut jouer. J'en ai assez, à la fin ! Ces perpétuelles attaques contre moi, et ces pointes, vous conviendrez que n'importe qui finirait par en être excédé ! Ce n'est qu'un gamin capricieux et orgueilleux. SORINE. -- Il a voulu te faire plaisir. ARKADINA. -- Ah, oui ? Pourquoi alors n'a-t-il pas choisi une pièce ordinaire, et nous a-t-il obligés à écouter ce délire décadent ? Si ce n'était qu'une plaisanterie, j'aurais écouté n'importe quel délire, mais ce n'est pas ça, ici il y a la prétention de montrer des formes nouvelles, d'ouvrir une ère nouvelle. Et, à mon avis, il n'y a pas ici l'ombre de formes nouvelles, rien qu'un caractère détestable. TRIGORINE. -- Chacun écrit comme il veut et comme il peut. ARKADINA. -- Qu'il écrive comme il peut, mais qu'il me laisse tranquille, moi. DORN. -- Jupiter, tu es en colère... ARKADINA. -- Je ne suis pas Jupiter, je suis une femme. (Elle allume une cigarette.) Je ne suis pas en colère, je trouve seulement qu'il est triste de voir un jeune homme perdre son temps à des choses aussi mornes. Je n'ai pas voulu le blesser. MEDVÉDENKO. -- Il n'y a aucune raison de séparer l'esprit de la matière, puisque l'esprit lui-même peut être un ensemble d'atomes matériels. (Avec animation, à Trigorine.) Pourquoi n'écrirait-on pas une pièce sur la vie de l'instituteur, pourquoi ne la jouerait-on pas ? C'est une vie si dure, très dure ! ARKADINA. -- C'est juste, mais ne parlons donc plus ni de pièces ni d'atomes. La soirée est si bonne ! Vous entendez, on chante... (Elle écoute.) C'est beau ! PAULINA ANDRÉEVNA. -- C'est sur l'autre rive. (Un temps.) ARKADINA, à Trigorine. -- Asseyez-vous plus près de moi. Il y a dix ou quinze ans, on entendait ici, sur le lac, presque toutes les nuits de la musique et des chants. Le lac est entouré de six propriétés. Je me rappelle, les rires, le bruit, les coups de feu, et des histoires d'amour sans fin... Le jeune premier et l'idole de ces châteaux était alors... Voilà, je vous le présente (elle désigne, de la tête, Dorn), le docteur Evguéni Serguéevitch. Il est toujours charmant, mais à l'époque il était irrésistible. Ah, voilà que je commence à avoir des remords. Mon pauvre petit, je lui ai fait mal ! Je ne me sens pas tranquille. (Elle appelle.) Costia ! Mon fils ! Costia ! MACHA, s'en allant à gauche. -- Hou-hou ! Constantin Gavrilovitch ! Hou-hou ! Elle sort. NINA, venant de derrière l'estrade. -- Je crois qu'on ne continue pas, et que je peux me montrer. Bonsoir. (Elle embrasse Arkadina et Paulina Andréevna.) SORINE. -- Bravo ! Bravo ! ARKADINA. -- Bravo ! Bravo ! Nous vous avons admirée. Avec un pareil physique, avec une si belle voix, ce n'est pas permis, c'est criminel de s'enterrer à la campagne. Vous avez du talent, c'est incontestable. Vous m'entendez ? Vous devez monter sur les planches ! NINA. -- Oh, c'est mon rêve ! (Avec un soupir.) Mais il ne s'accomplira jamais. ARKADINA. -- Qui sait ? Mais permettez-moi de vous présenter Trigorine, Boris Alexéevitch. NINA. -- Oh, comme je suis heureuse... (Intimidée.) Je vous lis toujours. ARKADINA, la faisant s'asseoir auprès d'elle. -- Il ne faut pas qu'il vous intimide, ma chère. Il est célèbre, mais il a une âme simple. Voyez, il est intimidé lui-même. DORN. -- Je suppose qu'on peut maintenant lever le rideau, il fait peur. CHAMRAEV, crie. -- Jacob, lève le rideau, mon vieux ! (Le rideau monte.) NINA. -- Une pièce étrange, n'est-ce pas ? Source : Tchekhov (Anton), la Mouette, in OEuvres, trad. par Elsa Triolet, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade «, 1967. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
tchekhov

« DORN .

— Jupiter, tu es en colère… ARKADINA .

— Je ne suis pas Jupiter, je suis une femme.

(Elle allume une cigarette.) Je ne suis pas en colère, je trouve seulement qu’il est triste de voir un jeune homme perdre son temps à des choses aussi mornes.

Je n’ai pas voulu le blesser. MEDVÉDENKO .

— Il n’y a aucune raison de séparer l’esprit de la matière, puisque l’esprit lui-même peut être un ensemble d’atomes matériels.

(Avec animation, à Trigorine.) Pourquoi n’écrirait-on pas une pièce sur la vie de l’instituteur, pourquoi ne la jouerait-on pas ? C’est une vie si dure, très dure ! ARKADINA .

— C’est juste, mais ne parlons donc plus ni de pièces ni d’atomes.

La soirée est si bonne ! Vous entendez, on chante… (Elle écoute.) C’est beau ! PAULINA ANDRÉEVNA .

— C’est sur l’autre rive.

(Un temps.) ARKADINA , à Trigorine. — Asseyez-vous plus près de moi.

Il y a dix ou quinze ans, on entendait ici, sur le lac, presque toutes les nuits de la musique et des chants.

Le lac est entouré de six propriétés.

Je me rappelle, les rires, le bruit, les coups de feu, et des histoires d’amour sans fin… Le jeune premier et l’idole de ces châteaux était alors… Voilà, je vous le présente (elle désigne, de la tête, Dorn), le docteur Evguéni Serguéevitch.

Il est toujours charmant, mais à l’époque il était irrésistible.

Ah, voilà que je commence à avoir des remords.

Mon pauvre petit, je lui ai fait mal ! Je ne me sens pas tranquille.

(Elle appelle.) Costia ! Mon fils ! Costia ! MACHA , s’en allant à gauche. — Hou-hou ! Constantin Gavrilovitch ! Hou-hou ! Elle sort. NINA , venant de derrière l’estrade. — Je crois qu’on ne continue pas, et que je peux me montrer.

Bonsoir.

(Elle embrasse Arkadina et Paulina Andréevna.) SORINE .

— Bravo ! Bravo ! ARKADINA .

— Bravo ! Bravo ! Nous vous avons admirée.

Avec un pareil physique, avec une si belle voix, ce n’est pas permis, c’est criminel de s’enterrer à la campagne.

Vous avez du talent, c’est incontestable.

Vous m’entendez ? Vous devez monter sur les planches ! NINA .

— Oh, c’est mon rêve ! (Avec un soupir.) Mais il ne s’accomplira jamais. ARKADINA .

— Qui sait ? Mais permettez-moi de vous présenter Trigorine, Boris Alexéevitch. NINA .

— Oh, comme je suis heureuse… (Intimidée.) Je vous lis toujours. ARKADINA , la faisant s’asseoir auprès d’elle. — Il ne faut pas qu’il vous intimide, ma chère.

Il est célèbre, mais il a une âme simple.

Voyez, il est intimidé lui-même. DORN .

— Je suppose qu’on peut maintenant lever le rideau, il fait peur. CHAMRAEV , crie. — Jacob, lève le rideau, mon vieux ! (Le rideau monte.) NINA .

— Une pièce étrange, n’est-ce pas ? Source : Tchekhov (Anton), la Mouette, in Œuvres, trad.

par Elsa Triolet, Paris, Gallimard, coll.

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