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Totem et tabou - actualité du récit freudien

Publié le 12/02/2014

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totem
Dissertation - V14PPP8 Le récit freudien de totem et tabou : un mythe des origines de la culture ? Quel ! ! ! ! ! ! ! ! peut-être l'intérêt de ce texte pour aujourd'hui ? ! ! ! ! ! ! « C'est tout de même pas parce que je prêche le retour à Freud que je ne peux pas dire que Totem et tabou, c'est tordu. C'est même pour ça qu'il faut retourner à Freud : c'est pour s'apercevoir que, si c'est tordu comme ça, étant donné que c'était quand même un gars qui savait écrire et penser, ça devait avoir une raison d'être «. Jacques LACAN, Séminaire XVIII « L'envers de la psychanalyse «. ! ! Jacques LACAN, en ces mots, exprime toute l'ambiguïté du récit de Totem et tabou. Freudien parce qu'écrit par Freud, mais récit freudien parce que Lacan y exprime aussi toute sa démarche : le retour à Freud, c'est appliquer la méthode freudienne à ses propres écrits pour savoir ce qu'il voulait dire. Parle aussi dans cette phrase la rupture épistémologique dont nous héritons aujourd'hui : l'abandon du positivisme et l'introduction du structuralisme en psychanalyse. ! Qu'est ce qui est tordu dans le récit de Totem et tabou ? Et qu'est ce qui fait dire à Lacan que ça devait avoir une raison d'être ? ! Qu'en tant que récit des origines de la culture, ce récit s'inscrit nécessairement dans la culture. En tant que récit, on pourrait opposer à Totem et Tabou l'impératif méthodologique de la dissertation de J.J. Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes : « écartons tous les faits, car ils ne touchent en rien à la question «. Rousseau avait compris qu'en remontant aux sources, on ne peux donner qu'une explication à posteriori de la question, s'inscrivant nécessairement dans la question. Ainsi, vouloir expliquer la culture et ses origines, c'est en exposer les conditions de possibilité, c'est dire ce que vaut la culture plutôt que comment elle est née. En posant la question de droit et non de fait, Rousseau comme Freud ne peuvent exposer qu'un récit mythique, ou Page 1 sur 8 Dissertation - V14PPP8 plutôt mytho-logique : le récit fait apparaître l'ordre logique des choses, et non l'ordre historique. Penser donc le récit Freudien comme récit à déconstruire, c'est abandonner le positivisme de la position première de Freud, et faire par là le deuil d'une origine saisissable des choses comme Freud aurait pu le penser mais comme l'exprime de droit son récit, nous le verrons, par la mort d'un père nécessairement toujours déjà-mort et d'une filiation toujours déjà-fils. Considérer le texte freudien comme un moment pris dans le signifiant et révélant ses schémas fondateurs, ses conditions de possibilité, c'est aussi lui permettre de s'exprimer et de signifier pleinement. ! Cette expression pleine du texte freudien que permet l'abandon des illusions positivistes permet l'avènement d'un sens que n'aurait pas permis une lecture simple et sans perspective. ! Il s'agira alors de mettre en perspective et en perspectives le texte freudien, armés des présupposés méthodologiques sus-mentionnés. ? En perspective, parce que le texte freudien met en scène un schème conceptuel propre à l'homme, qui donne sa forme à son récit de la culture que chaque civilisation possède, et en perspectives parce que le texte freudien nous enseigne toute une éthique et une esthétique de la culture, de l'homme et particulièrement du désir : du pro-jet de l'Homme en tant qu'il se réalise dans la culture et par le désir. (I) Perspectives, aussi, pour son intérêt pour la clinique, la clinique étant bien sûr la naissance et la finalité de la psychanalyse, qui ne saurait vivre sans le lien analytique et sans le questionnement du désir des façons les plus concrètes qu'il soit, aujourd'hui. (II)" Si l'inconscient, dont l'exploration est d'intérêt toujours actuel, est structuré comme un langage, alors le langage, et, plus encore, les mythes qui se situent en amont du langage en tant qu'il lui donne forme et qu'il explique, nous donneront une voie royale vers la structuration de l'inconscient. Reste à faire parler le langage et les récits pour en exposer le cheminement logique, mytho-logique. ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! Page 2 sur 8 Dissertation - V14PPP8 ! I. ! ! Totem et tabou : un récit des origines perdues, un récit perdu dès l'origine! Le récit freudien nous propose un récit des origines de la culture. Nous montrerons que, s'il est impossible que les faits, nécessairement perdus puisque antérieurs à la culture et au langage se soient produits tels que décrits par Freud, son récit n'en garde pas moins une vérité métaphorique, de la même façon que les mythes bibliques. Nous passerons de la lecture du texte (A), à la portée métaphorique et intertextuelle (B).! ! ! A. Le meurtre du père d'avant la loi : mythologie ou historicité ? ! Lacan, dans le séminaire III, insiste sur le fait que la paternité ne saurait se résumer à un acte biologique d'engendrement. Si la mère est toujours certaine, le père, non, et, pour l'instituer dans sa fonction, il faut qu'il prenne place dans la vie psychique par un jeu symbolique, rites ou croyances. Claude Lévy Strauss, dans Structures fondamentales de la parenté, affirme qu'avec la paternité se transmet un interdit fondamental, instituant et non institué, celui de l'interdit de l'inceste. L'inceste est à comprendre comme répétition mortifère du même, et son interdit comme déploiement du désir hors de la famille. ! Freud propose une étiologie de cet interdit de l'inceste dans Totem et tabou : au commencement était un père primordial, violent et possédant toutes les femmes. Jaloux, les fils envièrent son pouvoir et se regroupèrent, abattirent et mangèrent le père (...) envié et redouté pour chacun des membres de cette bande de frères. A cette identification au père primordial par son introjection orale cannibale aurait succédé la culpabilité, de la même façon, nous dit Freud, que dans l'ambivalence du complexe paternel (...) chez nos névrosés. Après le meurtre, les élans de tendresse envers le père (qui, sinon, n'aurait jamais été envié au point d'être tué) font retour dans le conscient et la culpabilité des fils apparaît. S'ensuit l'érection d'un totem, sacré (que l'on ne touche plus), qui représente, à travers l'identification au père, le symbole, le nom d'une tribu, ou, pour reprendre Freud « chez nos névrosés «, le trait unaire. Cette culpabilité du fils, bien que la tribu advienne après le meurtre du père, fera renoncer aux fils de l'ex horde à posséder les attributs et le pouvoir du père envié et introjecté : naît ainsi le tabou, qui interdit aux fils de posséder toutes les femmes de son totem, et apparaît, par là, l'exogamie, nécessité de chercher les femmes hors de sa tribu, hors de sa famille. Ici, nous nous avancerons à dire que c'est par Page 3 sur 8 Dissertation - V14PPP8 l'intervention chronologique de ces deux moments (totem et tabou) que le meurtre du père devient synonyme de naissance du désir, du désir projeté hors de la famille. ! Le totem signifie donc l'interdit de l'inceste. Il marque la fin du règne de l'imaginaire où les fils envient le père et où, dominés par la pulsion faut de pouvoir déployer leur désir, ils ne peuvent que le tuer. L'interdit de l'inceste, le tabou, qui vient avec le totem, est donc la garantie du désir. ! Désir, dont, pour en interroger les ressorts, il nous faudra en exposer les conditions de possibilité tels que décrits dans totem et tabou : le manque à être résultant de l'interdit de l'inceste, de l'impossibilité de recouvrer une totalité perdue à jamais, et son acquiescement, déploiement du désir, ou sa négation, répétition du même et ainsi mise au ban de la société, de la culture et de son désir propre. ! ! ! B. La constitution de la culture autour d'un manque primaire ! S'ensuit du meurtre du père que la culture naît d'un manque : celui du père primordial que la toute-puissance caractérise. C'est de ce manque, ce regret _ du meurtre comme de l'existence du père primordial _ que s'élève le totem qui fédère les fils de la horde. Le manque, cependant, appelle a être comblé, et, dans le paradigme freudien, il ne saurait être comblé sans entraîner la perte du fautif, qui, manque d'y avoir acquiescé et d'avoir ainsi ébranlé les fondements même de la société, sera mis au ban de la société primitive, ou, pour reprendre Lacan, aura « cédé sur son désir «, en tant que le désir est la métonymie du manque-à-être, c'est à dire du renoncement à la toute puissance du père primordial envié et haï.! Cet appel à « céder sur son désir «, cet appel à considérer le manque comme un malheur, on en trouve une métaphore dans le récit d'Adam et Eve. Présentés comme les premiers êtres humains dans le récit de la genèse, Adam et Eve avaient pour seul interdit provenant de l'Eternel celui de ne pas toucher au fruit de l'arbre défendu « tu ne mangeras pas car si tu en mangera tu mourras « : l'interdit n'est pas justifié, il est performatif. Il prend la même forme que celle de l'interdit de l'inceste : un interdit premier, fondateur, un instituant non institué. ! Mais le diable, prenant l'apparence d'un serpent, fit miroiter la toute puissance divine à Eve, présentant le fruit interdit comme « la connaissance du bien et du mal « : en mangeant du fruit défendu, ils deviendraient « comme des dieux «. L'interdiction primordiale serait, dans la bouche du serpent, simple interdit. En niant le caractère fondateur du langage, de l'interdiction première symbolisant le manque à être, le serpent Page 4 sur 8 Dissertation - V14PPP8 introduit la négation du manque, la négation de la castration que représente l'arbre défendu. ! Ainsi, l'humanité est fondée sur acte névrotique (négation de la castration). Il n'est pas étonnant, par la suite, que l'entreprise culturelle de l'humanité soit placée sous le signe de l'ambivalence : celle de l'acquiescement à la vie et au manque et de son contraire, le refus du manque. Ce refus du manque, c'est, pour reprendre le récit freudien, celui qui pousse les fils de la horde à élever un totem : tentative ratée puisque le retour du père signifierait la fin de la culture. De la même façon, la tentative d'Eve est une tentative ratée : s'ensuivra, dans le récit de la genèse, l'expulsion du jardin d'Eden, le travail et la douleur. Ce que nous pouvons tirer du rapprochement du mythe biblique et freudien quant à notre interrogation sur l'interdit de l'inceste et de la paternité, c'est que le père primordial ou le divin dans la genèse transmet nécessairement un interdit qui ne saurait être transgressé puisque fondateur : cet interdit recouvre un manque qui doit être accepté pour ne pas tomber dans la répétition mortifère du même, dans l'inceste. ! Cependant, hors des mythes, Freud insiste à de nombreuses reprises dans Totem et tabou sur les névroses de ses contemporains, et propose ce récit à titre explicatif, en montrant que l'histoire individuelle de chaque sujet n'est que la répétition de l'histoire de l'humanité elle-même, comprenons : que le mythe de Totem et tabou, ses figures et ses enjeux se perpétuent chez chaque individu, à la manière de la théorie de la récapitulation : l'ontogenèse récapitule la phylogenèse. ! Quelles leçons peut-on donc tirer pour aujourd'hui du mythe freudien ? ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! Page 5 sur 8 Dissertation - V14PPP8 ! ! II. Le récit de totem et tabou comme rupture et mise en mouvement du désir ! ! Le meurtre du père de la horde est oublié, puis signifié, de la même façon que dans le langage, par le totem. Cet oubli, recouvert par un signifiant, n'est pas sans rappeler ce que Freud nommait le refoulement primaire, premier refoulement (qui déterminera le sens des autres refoulements) qui institue l'inconscient et qui ne saurait ainsi être levé et livrer les secrets de l'inconscient qu'il institue, tant et si bien que Lacan le qualifie de fait « logique «. ! Ainsi, de la même façon que les fils de la horde sont tributaires du meurtre du père dans leur acte fondateur de la culture, nous sommes nous aussi tributaires d'une mythologie personnelle dans notre création de soi. ! Quelles leçons en tirer quant au récit freudien de Totem et tabou et de son intérêt pour aujourd'hui ? ! ! ! A. Le complexe d'Oedipe, point central de Totem et tabou comme récit ! ! ! ! mythologique ! Si Claude Lévy Strauss faisait du couple humain « l'alliance tragique de la nature et de la culture «, Lacan fait du complexe d'Oedipe une résolution de celle alliance tragique : « La loi primordiale est donc celle qui, en réglant l'alliance, superpose le règne de la culture au règne de la nature livrée à la loi de l'accouplement. Cette loi se fait donc suffisamment connaître comme identique à un ordre de langage. « (Lacan, fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse). Cet ordre de langage que caractérise le recouvrement d'un signifié par un signifiant est précisément l'institution de la paternité dont nous avons parlé plus haut, en tant qu'il se fait sur un terrain symbolique et non « naturel «, par l'édiction d'un interdit performatif et fondateur. ! Ce complexe d'Oedipe, Freud en fait le point central de Totem et Tabou : « dans le complexe d'Oedipe se rejoignent les débuts de la religion, de la morale, de la société et l'art, en totale concordance avec ce constat de la psychanalyse que ce complexe constitue le noyau de toutes les névroses (...) même ces problèmes relatifs à la vie psychique des peuples soient susceptibles d'être résolus à partir d'un unique point concret, comme l'est le rapport au père. «. ! Page 6 sur 8 Dissertation - V14PPP8 Ce rapport au père, dont Lacan dit qu'il doit être mort afin d'être institué, est le point central de la culture. Celui qui est représentatif de l'alliance de la culture superposée au règne de la nature (la mère) doit donc quitter le champ du réel (le père d'avant la loi) pour rejoindre celui du symbolique, et donner ainsi sens à la loi de l'accouplement, c'est à dire à la jouissance maternelle sans limites. C'est ce que Lacan décrivait en employant le terme de « nom du père « : ce père mort auquel on peut désormais s'identifier sans risques se substitue et donne sens aux pulsions qui ont mené les fils de la horde à l'envier, lui et ses pouvoirs sans limite sur les femmes de sa tribu. Ce nom-du-père, donc, comme garantie contre les pulsions désordonnées et comme donnant un sens au désir. ! Nous trouvons ainsi un isomorphisme sur le terrain de l'ontogenèse au récit phylogénétique de Totem et tabou. Le complexe d'Oedipe trouve un pendant aux pulsions premières de la horde : tuer le père et posséder la mère. La résolution de ce complexe se trouve dans l'angoisse de castration qui s'entend dans le sens d'une crainte de perdre son désir propre à envier le pouvoir paternel, que l'enfant conçoit comme « hors-loi «, comme l'était le père primordial. ! Le désir, l'alliance de la culture, cependant, est fragile, et sa négation est facile. Si le sujet s'institue dans et grâce au manque, il hérite cependant de nombreux poids qui pourraient lui faire perdre les « voies du désir « qui trouvent leur exercice dans la sexualité et dans l'engendrement. ! ! ! ! B. L'avènement de l'altérité et de la sexualité : les leçons du meurtre du père ! Cette alliance que l'on conclue et dont parlait Lacan peut se dire en hébreu : « trancher « une alliance. Ce terme, qui n'est pas sans évoquer la castration, est aussi à rapprocher du terme « sexe «, du latin secare, couper. Coupure, parce que séparant l'humanité en deux genre, mais coupure aussi parce que la sexualité ne saurait advenir sans la nécessaire coupure, la nécessaire castration d'avec une toute puissance fantasmée, celle du père primordial ou celle de la fusion maternelle. Cette toute puissance que pointe le totem trouve son deuil dans le complexe d'oedipe. Cependant, la jouissance des nombreux poids dont nous parlions plus haut _ celle des ancêtres, du milieu social, des parents_ entrave le processus de la culture et du désir. Cette jouissance des ancêtres, c'est celle qui, par exemple, pousse Abraham à sacrifier son fils Isaac. Abraham, qui s'appelait originairement Abram (mon père est grand), n'est symboliquement, au yeux de son père Terah, qu'un prolongement narcissique. Abraham n'a donc pas les moyens symboliques d'être père à son tour, d'assurer la promesse symbolique langagière d'accepter la Page 7 sur 8 Dissertation - V14PPP8 paternité d'Isaac (dont il n'est pas le géniteur), et ne peut que se satisfaire d'une position de père réel, de géniteur (ce qu'il est pour Ismaël). Son acte de meurtre sur Isaac traduit la jouissance totale du grand Autre personnifié par la figure de l'Eternel qui lui intime l'ordre de tuer Isaac. Or, ce n'est pas Isaac qui sera tué, mais un bélier, que la tradition rabbinique fait un symbole des ancêtres. Ce qui sera tué, c'est donc la volonté totalisante des déterminismes, et particulièrement celle d'un père qui n'accepte pas de s'effacer pour permettre l'avènement du désir chez le fils, d'un père qui, pour reprendre Lacan, n'est pas institué dans sa fonction paternelle, symbolique de protection contre l'inceste faute d'être mort. L'inceste est là bien présent dans sa valeur de répétition du même, répétition mortifère trouvant dans le meurtre du fils sa plus grande expression. Abraham, en tuant le bouc, trouve donc un espace, une coupure, où peut s'exprimer sa paternité. Ligature, donc, d'une « hémorragie de l'imaginaire « laissant Abraham à la volonté aveugle de ses ancêtres. ! Le désir, nécessairement créateur parce qu'échappant aux déterminismes, ne peut s'exprimer que par et dans une coupure d'avec le passé et d'avec le désir des ancêtres. Il en est de même pour la sexualité à laquelle nous avons déjà donné un sens en faisant parler l'étymologie du terme « sexe «. De ce constat se déduit une éthique de la sexualité : puisqu'elle est la mise en branle de deux « vide «, elle est nécessairement ratage, non pas que la sexualité soit ratée, mais qu'elle n'est que l'échange de deux vides qui ne sauraient à eux deux reconstituer une totalité à la manière de la sphère du mythe d'Aristophane (banquet, Platon). Une éthique de la sexualité et du rapport sexuel comme échange de deux vides parce que n'advenant que grâce à l'acquiescement créateur au manque-à-être est une garantie contre la volonté totalisante et incestuelle de n'être que amour, et ainsi oublier la nécessaire agression qui est constitutive de la culture et du désir et qui serait le pendant de l'acte d'Eve de céder sur son désir, c'est à dire d'oublier la béance depuis laquelle le désir est possible. ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! Page 8 sur 8

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