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Un barrage contre le Pacifique

Publié le 25/04/2012

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Dès le deuxième chapitre, un objet prend une place essentielle, le diamant, chargé d’une valeur symbolique double. Pierre traditionnellement associée aux fiançailles, il symbolise l’amour avec sa promesse d’éternité ; mais pierre précieuse coûteuse, il symbolise aussi la richesse. Ainsi autour de ce diamant s’organise tout le réseau des personnages dans une relation qui oppose richesse et pauvreté et en fonction de leur réaction face au diamant. Le garder, c’est accepter qu’il soit gage d’amour sincère ; le vendre c’est le ramener à sa stricte valeur marchande. Mais, dans ce second cas, la bague, offerte à Suzanne par M. Jo dans l’espoir de posséder la jeune fille, devient un symbole de prostitution, signifié par le « crapaud », l’impureté qui l’entache. 

Pour M. Duras, le fonctionnement social est, en effet, vu comme une prostitution généralisée : tout le monde se vend, des plus pauvres aux plus riches. Le cas extrême se produit lors de la construction de la piste : les femmes indigènes vendent leur corps aux miliciens contre de la nourriture (pp. 244-45). 

Dans ce gigantesque marché qu’est le système colonial, nul ne peut échapper à l’emprise de l’argent : la mère a vendu sa propre existence pour acheter la concession qui devait la faire vivre avec ses enfants (p. 290) et les agents cadastraux l’ont délibérément trompée. Elle ne peut, dans sa dernière lettre, que crier son impuissance et sa haine (pp. 287-297). 

Mais l’amour révèle aussi des rapports fondés sur la supériorité ou l’infériorité sociale : Suzanne aussi est comme « à vendre », et sa mère en est consciente (p. 110 et p. 124). La bague, en effet, n’appartient pas vraiment à Suzanne, mais à sa famille, et, comme elle venait de la mère de M. Jo, elle souligne le contraste entre les deux familles : elle symbolise l’opposition entre richesse et pauvreté, entre force des puissants et faiblesse des opprimés. Dans ces conditions, l’amour n’est plus qu’un échange dépourvu de sentiment, et même de désir (p. 107, pp. 179-180). L’argent finit par pervertir toute relation amoureuse :  Lina a acheté le diamant à Joseph 20 000 francs, mais elle le lui rend, comme pour effacer l’achat et rétablir une vérité des sentiments. Agosti ne peut être aimé de façon pure car lui aussi va être mêlé à la vente du diamant (pp. 323-25, 339-40). 

Mais, parallèlement, l’argent est nié, car l’accepter signifie admettre sa propre faiblesse et la prostitution en général. Finalement Suzanne est plutôt soulagée que sa mère la frappe et lui reprenne la bague : cela lui rend sa propreté, en quelque sorte ; de même Joseph préfère rendre la bague à la mère plutôt que la garder ; même la mère est comme accablée de retrouver le diamant (pp. 241-42).

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