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Un coup d'Etat ça?

Publié le 22/02/2012

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19 août 1991 -   Lorsque les chars ont pris position devant le siège du Parlement de Russie, fief de Boris Eltsine, on a cru que l'histoire allait bégayer, ce lundi 19 août vers 11 h 30, Moscou répondant à Pékin et les bords de la Moskova à la place Tiananmen. Les quatorze vieux chars T 54 sont conduits par des gamins effarés et sales, qui ne comprennent pas pourquoi les ordres les ont conduits en plein centre de Moscou alors qu'ils croyaient partir en manoeuvres. Une femme en pleurs, des ouvriers en colère, des partisans d'Eltsine les bombardent d'insultes : " Rentrez chez vous ", " Pourquoi obéissez-vous aux réactionnaires ? ".    Certains des partisans d'Eltsine décident alors de stopper sur le pont Kalinine l'avance d'un peloton de blindés. Un bus, mis en travers, fait office de barricade. Le tankiste manque de se faire arracher de son engin par un de ces nouveaux sans-culottes. On aveugle consciencieusement les hublots du véhicule de tête avec tout ce qui tombe sous la main : des journaux, des bâches de camouflage, un sac de plastique... Pour faire bonne mesure, des câbles sont noués entre deux blindés pour les solidariser. La scène se répète au même moment, place Pouchkine, où plusieurs milliers de manifestants bloquent un autre convoi.    Mais voilà Boris Eltsine qui descend de son quartier général, suivi d'un ample mouvement de foule. Ses gardes du corps le hissent sur l'un des chars. Il serre la main des soldats, puis, sans micro, lit son appel à la résistance contre le coup d'Etat " réactionnaire et anticonstitutionnel " et à " une grève générale et illimitée " contre les putschistes. Applaudissements. Son ministre de la défense, le général Kobets, suscite une houle de mécontentement lorsqu'il invite à ne pas céder aux provocations et à garder son calme face à une armée dont il est sûr qu'elle " ne tournera pas ses armes contre le peuple ".    Des femmes plantent des fleurs de pissenlits dans les canons des mitrailleuses. Les ouvriers de l'imprimerie des Izvestia refusent de sortir l'édition du jour parce que la rédaction en chef ne veut pas publier l'appel de Boris Eltsine à côté de celui de la nouvelle direction. Pourtant, dans la ville, les chars positionnés, par deux ou trois, aux carrefours ou près des ponts se voient entourés de Moscovites qui demandent à leurs équipages bon enfant à quels ordres ils obéissent et pourquoi. Au fur et à mesure que la journée avance, le coup d'Etat ressemble de plus en plus à une mise en scène à laquelle personne ne semble vraiment croire.    La conférence de presse, donnée au ministère des affaires étrangères à 17 heures par le nouveau maître du Kremlin, Guennadi Ianaev, entouré de cinq membres du fameux Comité d'Etat pour l'état d'urgence en URSS, achève de convaincre de l'inanité du scénario officiel. Pourtant, la nouvelle équipe s'y cramponne face à des journalistes impertinents qui se gaussent de ses contradictions et lui demandent si elle a pris des conseils auprès du général Pinochet !    Guennadi Ianaev dit qu'il a été contraint de prendre la place de Mikhaïl Gorbatchev, souffrant, en vertu de l'article 127 de la Constitution, afin de sauver les réformes en cours depuis 1985 et pour éviter le chaos économique et l'éclatement de l'Union. En gros, il s'agit d'empêcher les effusions de sang inter-ethniques, de rétablir l'ordre et de purger la rue des " éléments criminels ".    Le discours devient ensuite obscur. D'un côté, Guennadi Ianaev couvre de fleurs Mikhaïl Gorbatchev, " mon ami qui, je l'espère, reprendra place parmi nous une fois rétabli et avec lequel nous recommencerons à travailler dans la voie de la démocratisation qu'il a tracée "  de l'autre, le Comité d'Etat constate que la perestroïka a débouché sur une gigantesque pagaille économique.    Ainsi la conférence de presse s'embourbe-t-elle dans des propos lénifiants, qui ne donnent aucun détail sur les moyens à employer pour éviter que les Arméniens et les Azéris ne s'étripent, pour inciter les paysans à mieux récolter le blé et pour conférer aux forces de l'ordre une plus grande efficacité contre la criminalité. C'est promis, l'URSS remplira ses engagements internationaux, évacuera l'Allemagne, respectera l'indépendantisme de certaines Républiques et appuiera l'entreprise privée. C'est juré, les chars quitteront Moscou aussitôt que possible s'il n'y a pas d' " excès " dans les rues.    Un coup d'Etat, ça ? La déposition d'un président, tout au plus... semblent penser nombre de Moscovites qui se moquent désormais de ces " putschistes " donnant l'impression de ne pas très bien savoir où ils vont. Mais ils s'inquiètent des risques de dérapage et des confrontations inévitables. Pour parer à toute éventualité, les forces paramilitaires de Boris Eltsine ont élevé dans la soirée des barricades devant le Soviet de Russie. Moscou s'endort. Moscou cauchemarde. ALAIN FAUJAS Le Monde du 21 août 1991

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