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VERCORS « L'impuissance», in Le Silence de la mer.

Publié le 02/10/2010

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- Mais regarde-les, cria-t-il, et salue-les donc, et bave-leur donc ton admiration et ta reconnaissance ! À cause de ce qu'ils te font penser de toi-même. Puisque te voici, grâce à eux, un homme si content de soi ! Si content d'être un homme ! Si content d'être une créature tellement précieuse et estimable ! Oh ! oui : remplie de sentiments poétiques et d'idées morales et d'aspirations mystiques et tout ce qui s'ensuit. Nom de Dieu, et des types comme toi et moi nous lisons ça et nous nous délectons et nous disons : « Nous sommes des individus tout à fait sensibles et intelligents. « Et nous nous faisons mutuellement des courbettes et nous admirons réciproquement chacun de nos jolis cheveux coupés en quatre et nous nous passons la rhubarbe et le séné. Et tout ça qu'est-ce que c'est ? Rien qu'une chiennerie, une chiennerie à vomir ! Ce qu'il est, l'homme ? La plus salope des créatures ! La plus vile et la plus sournoise et la plus cruelle ! Le tigre, le crocodile ? Mais ce sont des anges à côté de nous ! Et ils ne jouent pas de plus au petit saint, au grave penseur, au philosophe, au poète ! Et tu voudrais que je garde tout ça sur mes rayons ? Pour quoi faire ? Pour, le soir, converser élégamment avec Monsieur Stendhal, comme jadis, avec Monsieur Baudelaire, avec Messieurs Gide et Valéry pendant qu'on rôtit tout vifs des femmes et des gosses dans une église ? Pendant qu'on massacre et qu'on assassine sur toute la surface de la terre ? VERCORS « L'impuissance«, in Le Silence de la mer.

Les oeuvres d'art donnent à l'homme bonne conscience de lui-même, en lui révélant ses aptitudes intellectuelles et artistiques. Pourtant ces activités ne valent rien, car elles l'empêchent de se rendre compte de sa cruauté et de son hypocrisie. Il est odieux de se livrer à un plaisir intellectuel pendant que l'on massacre partout des hommes. ANALYSE La douleur et l'indignation du jeune homme éclatent à propos de l'estime vouée aux livres et aux oeuvres d'art ; ceux-ci entretiennent l'homme dans sa bonne conscience parce qu'il voit en eux la manifestation de sa valeur unique. Le jeune homme les démystifie brutalement : en fait, ils prouvent au contraire l'abjection de l'homme, puisqu'ils tendent à lui cacher sa propre cruauté. Il en tire passionnément la conclusion : il n'est pas possible de continuer à se livrer à un plaisir intellectuel ou esthétique pendant que sont perpétrés d'horribles crimes.

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