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Voltaire : Candide 1758. Ch. 18 Eldorado

Publié le 22/10/2010

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voltaire

 

Candide, conte philosophique écrit par Voltaire  en 1759,  peut se lire comme  un roman d’apprentissage   voyageant  et découvrant ainsi tous les maux de la terre.  À travers le monde sur toute la surface du globe fréquentée à l’époque, et à travers: élevé dans le château de Thunder-ten-tronckh, il en a été chassé pour avoir embrassé Cunégonde. Il erre  ensuite à travers l’Europe, puis l’Amérique, fuyant le fils du baron mais n’oubliant jamais Mme Cunégonde. IL arrive ainsi dans un lieu incroyablement merveilleux : l’Eldorado. ( le chapitre XVII en présente les agréments exotiques : pierres précieuses à profusion , musique agréable, parfums délicieux, cuisine exotique, pâtisserie savoureuse, convives  d’une politesse extrêmes tout en étant de simples marchands ou voituriers…Après le repas, Candide suit son compagnon Cacambo  chez un vieillard  pour comprendre ce monde si étrange. 

 

Problématique : En quoi ce chapitre est-il une utopie illustrant les idées de Voltaire ? 

 

I – le caractère merveilleux de l’Eldorado

 

1) Luxe et profusion : Matériaux précieux à profusion : les « cailloux « du chemin sont  ce que nous « nommons « « pierreries «. Le mot « nommer « révèle la relativité des valeurs et des choses selon les mondes : elles n’ont pas de valeur en soi, c’est nous qui leur donnons cette valeur, parfois cette supériorité (et implicitement qui pouvons changer l’ordre de ces valeurs), et matériaux inconnus « il était impossible d’en exprimer la matière « : ici, on quitte tout repère.

Les dimensions extraordinaires : « un portail de deux cent vingt pied de haut « et cent de large   « qui créent un décor hors du commun. Plus loin il y aura les édifices « qui s’élèvent jusqu’aux nues «. La galerie des sciences mesure « deux mille pas «

 

2) Irréel : Le carrosse à six moutons, le trajet par les airs «  les six montons volaient « : ainsi ces animaux ne sont pas ceux de notre monde naturel, nous sommes en plein « merveilleux « c'est-à-dire magique. 

 

3) Sensualité et symbolisme. Enfin,  pour les personnages, la considération sociale est inversée : son valet est mieux considéré que Candide. Par ailleurs, Voltaire s’amuse à placer  « vingt belles filles «  qui conduisent nos deux jeunes gens « aux bains «, allusion coquine, et les revêtent de  « robe « (orientalisme) de  duvet « colibri «, pur merveilleux par le nom  de duvet évoquant la douceur autant que par celui de colibri. Evocation des soins du corps … Enfin un vieillard semble le gardien, le sage, l’initiateur comme dans les contes populaires ou  littéraires 

 

II–   Satire de nos institutions : 

 

1) La religion, dans la conversation avec le vieillard  

a. Une religion  considérée comme unique pour tous les hommes (donc pas de guerre de religion ni autre  conflit politico-religieux) 

b. Un seul dieu  « ni deux ni trois ni quatre", donc critique des querelles théologiques sur la Trinité.

c. Dans cet Eldorado, Voltaire présente, par la bouche du vieillard,  la religion comme il l’entend : un déisme naturel, simple chant de louange  «  il nous a donné tout ce qu’il nous faut «, simple remerciement au créateur (dont le rôle, au passé composé est considéré comme achevé).  (donc pas de prière de demande, pas d’intervention de Dieu dans le domaine des hommes).  Il ajoute, par la  bouche de Candide, le rejet des formes religieuses de notre monde qualifiées par le vieillard de « folie «. 

d. Pas de clergé : tous les croyants sont sur le même plan ( reprise du verset biblique « tous prêtres, prophètes et rois «, Voltaire prend du plaisir à développer : « pas de moines qui enseignent  ( ce pourrait être leur seule fonction acceptable) qui disputent (  dans le sens de « discutent «, «confrontent des thèses contraires «, ce qui remet  peut-être en cause l’objectivité  et le bien fondé de leur savoir religieux) qui cabalent  ( dans le sens de comploter : manifestement ils sortent de leur rôle religieux ) , et qui font brûler les gens qui ne sont pas de leur avis ( ici, ils sont même dans des actes que l’on peut estimer contraire aux fondements de leur religion, allusion sous forme  naïve aux atrocités commises par  l’Inquisition. 

 

2) Le pouvoir royal: de la même façon,  ceci va être présenté en deux volets opposés

a. L’étiquette royale (en France) présentée de façon caricaturale par Candide : « se jeter à genoux « (comme devant un dieu ? ) ou ventre à terre ( comique de l’exagération ) , s «si on mettait les mains sur la tête ou si le derrière ( comique burlesque   déformant le geste de respect signifié par  la main sur le cœur en usage devant le roi ) , « si on léchait la poussière de la salle « expression métaphorique qui est prise ici au premier degré  et par là source de comique : tous ces rites de l’étiquette visant à souligner la supériorité quasi divine du roi 

b. La relation avec le roi d’Eldorado  a aboli toute distance entre le roi et  les autres hommes qui restent des hommes qui s’embrassent (comique  par contrastes, de Candide « sautant au cou de Sa majesté «). Les hommes ne sont plus des vermisseaux, ni des biens au bon vouloir du roi, mais des sujets  voire des commensaux avec lesquels on mangeait et on conversait !  

Par ces menus détails, c’est  la notion  même de roi qui est illustrée : ici, pas de discours sur l’autorité de droit divin, mais une caricature de l’étiquette  qui  suffit, par le comique évoqué, à remettre en cause le principe alors en vigueur en France ; 

 

III– les innovations proposées dans cette Utopie

 

1) La justice. Elle n’est abordée qu’en fin de chapitre, dans une phrase négative : il n’y a pas d’institution judiciaire ni cour de justice, ni parlement, ni prison. Nous sommes ici dans un monde idéal,  sans perversion du système, il s’agit bien d’une utopie, mais cette « utopie « semble le fruit de l’organisation de la société tournée non vers le bien du roi seul mais vers celui de tous  et de chacun ses sujets. 

 

2) L’éducation : ici, pas de développement minutieux du système éducatif : Voltaire se contente de présenter une  innovation formidable : le palais des sciences (mathématiques et physiques). En effet, au XVIII se développe le goût des sciences, surtout naturelles, avec Buffon au jardin royal, mais la  curiosité de Voltaire et de madame du Chatelet pour les sciences physiques (elle traduira les travaux de Newton)  n’est pas encore partagée par le grand public : ce palais, glissé en fin de chapitre est une innovation audacieuse (qui deviendra le palais de la découverte, environ un siècle plus tard) 

 

3) L’urbanisme : « on leur fit voir la ville «Le fait même de ne pas leur faire visiter le palais royal (comme Versailles) montre que l’intérêt n’est pas focalisé sur le roi et sa cour mais que l’important est la vie civile : la ville, qui est belle, même si ici encore il y a exagération merveilleuse « élevée jusqu’aux nues «. et si cette ville comporte des « édifices publics «,  les « marchés « mis sur le même plan, on peut noter l’importance ainsi accordée aux activités commerciales. Par ailleurs cette ville est propre ! Non seulement abondent les «fontaines d’eau pure «, mais encore les sources de parfum, les «fontaines d’eau de rose «. Les « grandes places pavées « « qui répondent une odeur semblable à la gérofle (girofle) et à la cannelle «  sont sans doute le contraire de la boue et des odeurs  des rues de Paris (la critique n’est pas du tout formulée mais on peut la deviner). Ainsi la vie civile, et son hygiène sont-ils l’objet des plus grands soins au profit de tout le monde.

La réaction de Candide : il est « en extase « devant tout cela, il commence à ouvrir son esprit  et envisage le rejet de la thèse initiale de Pangloss : «  il n’aurait plus dit que le château de T était ce qu’il y avait de mieux sur terre «. Enfin il parle  pour Voltaire « il est certain qu’il faut voyager «. Cette maxime est une des rares du conte, placée dans ce chapitre centrale, elle n’en a que plus de poids. 

 

Conclusion : dans ce chapitre clairement annoncé par son titre « eldorado « comme de l’utopie, et que Voltaire s’amuse à présenter avec un merveilleux coloré d’orientalisme pour faire rêver le lecteur,  l’utopie remplit des fonctions diverses : tout d’abord , dans un système d’opposition, la critique explicite ou implicite de nos institutions religieuses ou politiques, d’autre part une utopie  sociale d’un monde débarrassé des affaires judiciaires ( sont-elles dans l’esprit de Voltaire uniquement dépendantes des abus de l’église ou du pouvoir royal ?  ), Enfin d’une « science-fiction «  dans la présentation d’une société plus soucieuse du bien-être de tous dans la vie quotidienne et dans les artères mêmes de la cité, et où la Science  (par les mathématiques et la physique) aurait une place de choix. Ce chapitre est un sommet du livre, placé au centre, image d’un paradis possible. Candide cependant n’a pas fini sa découverte du monde : et va la poursuivre dans une seconde partie qui le ramènera en Europe avant de trouver son propre « paradis « bien  relatif dans le chapitre 30. 

Prolongements : Les autres Utopies dans la littérature : 

o L’abbaye de Thélème, chez Rabelais, (Gargantua) : un foyer idéal par la culture

o L’an 2440 de L Sébastien Mercier, écrite au XVIII : un relevé essentiellement critique de mille points de la société du XVIII, 

o L’ile  aux esclaves de Marivaux : une société avec renversement des rôles, mais sans esprit de vengeance : juste un temps (3 ans) de rééducation sociale)  pour mettre en application la suppression de la hiérarchie sociale (expérience d’une égalité !) 

o 1984, de Georges Orwell / le meilleur des mondes de Aldous Huxley. 

o Eldorado, de Laurent Gaudé, 2006 : titre qui renverse le sens du mot : eldorado étant ici le mot mirage pour le cauchemar que vivent ceux qui, en Afrique, sont acculés par la misère à quitter leur village pour aller chercher l’Eldorado en Europe mais qui se font  exploiter, détruire, écraser avant même d’avoir atteint  ce rivage.

 

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