Alors, Lamartine, Cavaignac, et leurs collègues, non seulement ne veulent pas de la validation, mais sont prêts à envisager l'arrestation du prince, au cas où celui-ci mettrait à nouveau le pied sur le sol de France. Double erreur. Qui va leur coûter cher. D'abord, la commission d'invalidation, bafouant la Commission exécutive, décide de confirmer l'élection de ouis Napoléon. Aux voix de droite se sont jointes en effet quelques voix de gauche, entraînées par Louis lanc. Et puis, le prince se trouve placé, une fois encore, en position de victime, et pourra se donner le beau ôle, à un moment où tous les feux de l'actualité sont braqués sur lui. ouis Napoléon va procéder en deux temps, comme pour ménager ses effets. Le 14 juin, il adresse une remière lettre au président de l'Assemblée. yant appris que son élection servait « de prétexte à des troubles déplorables et à des erreurs funestes «, il éclare reporter sa venue : « Je n'ai pas recherché l'honneur d'être représentant du peuple parce que je savais es soupçons injustes dont j'étais l'objet; je rechercherai encore moins le pouvoir. Si le peuple m'impose des evoirs, je saurai les remplir; mais je désavoue tous ceux qui me prêteraient des intentions que je n'ai pas. « à, il a sans doute fait -- involontairement -- un peu fort. La mention de ses « devoirs « pourrait devenir, algré lui, une « petite phrase « fort embarrassante. Il a oublié de surcroît de parler de la République alors qu'il st de bon ton de n'avoir que ce mot à la bouche. Mais il va se rattraper prestement. ès le 16 juin, le président de la Chambre trouve sur son bureau une nouvelle lettre. Le prince y annonce, tout implement, sa démission: « Monsieur le Président, je crois devoir attendre pour rentrer dans le sein de ma atrie que ma présence en France ne puisse servir de prétexte aux ennemis de la République... Je veux que ceux qui m'accusent d'ambition oient convaincus de leur erreur. « e tour est joué : on voulait de la République, on en a. Quant à lui, il ne saurait être le jouet inconscient de ceux ui ne la veulent pas. Il a décidément beaucoup appris. L'écervelé qui fonçait tête baissée à Forli, à Strasbourg, Boulogne, sait, désormais, manoeuvrer. l a évité le piège qui lui était tendu. Car Louis Blanc, par exemple, n'était pas dépourvu d'arrière-pensée quand l se prononçait pour la validation: « Ne grandissez pas des prétendants par l'éloignement. Il nous convient de es voir de près, alors nous les mesurons mieux! « rnest Renan ne disait pas autre chose : « On a pris le bon moyen pour le rouler bas: c'est de le laisser venir et rouver lui-même son incapacité. « h bien, il faudra attendre. Que sa fortune puisse reposer sur des ambiguïtés et, pire, sur des équivoques, u'importe! Ce n'est pas à Louis Napoléon de les dissiper. Il a ses convictions, qu'il a forgées à force de travail, e volonté, de solitude et d'échecs. Il a un but. La situation est confuse ? Ce n'est pas à lui de la démêler. uisque la confusion le sert, pourquoi ne pas la prolonger? t, de même, pourquoi eût-on voulu que de Gaulle, le 13 mai 1958, condamnât qui que ce fût, prît un parti, lors que le gouvernement s'en abstenait? Là aussi, la solution consiste à prendre du recul, et à lancer à la onde : « Je m'en vais rentrer dans mon village et je m'y tiendrai prêt, à la disposition du pays. « Louis Napoléon e fait rien d'autre. t tout montre que l'attente lui profite, comme elle profitera à de Gaulle. Le mythe grandit, il enfle. roudhon ne s'y trompe pas: « Il y a huit jours, le citoyen Bonaparte n'était encore qu'un point noir dans un ciel n feu; avant-hier, il n'était encore qu'un ballon gonflé de fumée; aujourd'hui, c'est un nuage qui porte dans ses lancs la foudre et la tempête. « oilà comment on peut peser sur l'événement sans y prendre part. D'autant qu'entrer dès maintenant dans le eu politique et parlementaire n'aurait que des inconvénients. Louis Napoléon est encore mal armé pour 'affronter. En dehors de ses quelques fidèles, il n'a ni amis, ni soutiens. errère dans ses Révélations a bien décrit les choses : « Nous avions contre nous le Gouvernement rovisoire, la majorité de l'Assemblée Constituante, toute la presse, la police, le commandement de la Garde ationale, le commandement militaire, les chefs de la Garde Mobile, les Socialistes du Luxembourg, les chefs es Ateliers Nationaux, une partie des Orléanistes et tous les employés dans les Administrations. « n prolongeant son éloignement, Louis Napoléon va pouvoir éviter de se laisser entraîner à prendre parti dans es déchirements qui vont suivre. Or ces déchirements, il le pressent, sont imminents et inévitables. 'émeute menace, elle gronde, elle éclate. Et le pouvoir ne peut la tolérer. Marx relate : « Les revendications du prolétariat parisien sont des bourdes utopiques avec lesquelles il faut finir. A cette déclaration de l'Assemblée nationale constituante, le prolétariat parisien répondit par l'insurrection de juin, l'événement le plus colossal des guerres civiles européennes. « Le gouvernement a en effet décidé d'en finir avec la pagaille et le gaspillage d'argent que provoque le fonctionnement ubuesque des Ateliers nationaux, ateliers que le rapport Falloux assimile à une « grève permanente et organisée à 170 000 francs par jour «. Mais les ouvriers refusent d'avoir à choisir entre le licenciement et le départ vers des chantiers en province. Alors la République, qui est entre les mains des hommes d'ordre auxquels l'élection du 23 avril a donné la majorité, va faire tirer sur le peuple. Cavaignac organise et dirige la répression. Du 24 au 26 juin la bataille fait rage... Souvenons-nous de ces chiffres terribles, qui semblent sortis de notre mémoire, alors que, pour beaucoup moins que cela, le second Empire continue d'être condamné: Quatre cents barricades ; quarante mille insurgés cernés, car Cavaignac, qui dirige la manoeuvre, a abandonné provisoirement le terrain à l'émeute pour mieux l'écraser; cinq mille morts dont un grand nombre par exécutions ommaires ; quinze mille arrestations ; quatre mille déportés. 'est la fin de toutes les illusions. Pour achever de les dissiper, des mesures suivent: les sociétés secrètes, qui avaient proliféré, sont pourchassées ; la durée du travail est relevée de dix à douze heures; le cautionnement sur la presse est rétabli. L'ordre règne à nouveau, si l'on peut dire, car la crise économique et le chômage n'en finissent pas de s'aggraver. Le calme ne revient pas. L'opinion est ébranlée. Les uns ne se sentent nullement rassurés; les autres développent envers leurs tortionnaires une haine implacable et tenace. « Il me fait la route «, commente simplement le prince, à Londres, en apprenant les exploits de Cavaignac. Est-il ému de la boucherie? C'est probable. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'est pour rien dans tout ce qui s'est passé. Aurait-il suivi Louis Blanc, s'il avait été à Paris? La question n'est pas dépourvue de sens. Après tout, il avait es partisans au sein de l'insurrection, au point que certains n'ont pas hésité à l'accuser de l'avoir fomentée, ce ui est absurde. De toute façon, présent, il n'aurait eu le choix qu'entre deux mauvaises solutions : se laisser ntraîner et figurer parmi les vaincus, être arrêté, peut-être, sans doute; ou bien, accepter la répression et igurer parmi les bourreaux. bsent, il n'est compromis avec personne. Il devient un recours. A défaut de pouvoir se présenter immédiatement comme l'artisan d'une réconciliation impossible, il n'est du moins rejeté absolument ni par les uns ni par les autres. Mais il attend encore, et s'en explique au général Dufour: « J'ai la ferme conviction qu'avant de pouvoir établir quelque chose de solide, il faut laisser aux utopies et aux passions le temps de s'user. « Entre-temps, l'essentiel est d'éviter de se compromettre. Il en avertit ses partisans, comme dans cette lettre à ersigny : « Aucun de vos discours ne doit faire croire à une ambition autre de ma part que celle de servir mon ays suivant l'ordre des choses établi. « n septembre, enfin, les conditions lui semblent réunies pour reparaître. La préparation de la nouvelle onstitution va entrer dans une phase active. Il est temps d'entamer le processus. Après, il risque d'être trop ard. e nouvelles vacances s'étant produites, des élections législatives sont organisées les 17 et 18 septembre. Il se orte candidat dans treize départements. Cette fois, il est élu par cinq d'entre eux: les quatre qui l'avaient déjà désigné, auxquels vient s'ajouter la Moselle. Dans le département de la Seine, il est en première position. aintenant, il va falloir compter avec lui. Il a évidemment veillé à adapter son discours. Il ne s'agit pas de revenir sur ce qu'il a dit, mais de faire preuve de prudence en tenant compte de l'environnement politique qui a sensiblement évolué. La lecture de deux affiches successives, l'une établie pour les élections du 4 juin, l'autre pour celles de septembre, donne la mesure de l'effort d'adaptation qui est consenti. Avant juin, on est tout feu tout flammes, on est en plein ouvriérisme, on explique que voter Louis Napoléon, « c'est protester contre les traités de 1814 et 1815, et c'est faire acte de protestation contre l'étranger qui a proscrit Napoléon et sa famille. En nommant Louis Napoléon Bonaparte, les ouvriers témoigneront de leur reconnaissance d'avoir pensé à eux alors qu'il était dans les cachots de Ham, s'occupant de l'amélioration du sort de la classe ouvrière, en faisant publier son ouvrage sur le paupérisme, ouvrage saisi par la police de Louis-Philippe «. En septembre, ce n'est plus le sort des ouvriers qui est mis en avant -- sans pour autant qu'ils soient oubliés : c'est la nécessité d'une large réconciliation; privilégier les uns par rapport aux autres, ce serait prendre le risque d'opposer les uns et les autres : « La manière dont se préparent encore les élections de Paris, en partageant la société en deux classes hostiles peut causer de nouveaux malheurs, de nouvelles catastrophes... Citoyens, il est un nom qui vibre au coeur de trente-cinq millions d'hommes, un nom qui est tout un symbole d'ordre, de gloire, de patriotisme. Celui qui a l'honneur de le porter aujourd'hui a gagné la confiance et l'affection du peuple ar toute une jeunesse d'études, de souffrance, de courage et d'adversité. Eh bien! Que l'élu du peuple soit ussi l'élu du commerce, de l'industrie, de la propriété. Que son nom, accepté par tous, soit un premier gage 'oubli, de réconciliation; car sans la réconciliation des classes, plus de paix, plus d'industrie, plus de crédit, ais la misère et l'anarchie. « *** e 24, il est à Paris. Cette fois, il n'est plus question de repartir. Il est là pour s'installer et pour gagner. fin que nul n'en doute, il loue deux étages à l'hôtel du Rhin, sur la place Vendôme, bien sûr, place qui est écidément, à ses yeux, le haut lieu du bonapartisme. Le mois n'est pas achevé que le voilà à son banc à 'Assemblée. Par sa seule présence, il y fait sensation. Ses collègues le couvent du regard. Et les lorgnettes, epuis les tribunes, ne se braquent que vers lui. a validation de son élection dans l'Yonne est à l'ordre du jour. Le rapport, favorable, est adopté. Il se lève pour emercier de sa place, mais on le presse de monter à la tribune. Il s'exécute, sans enthousiasme, et lit un petit iscours qu'on dira « modeste et convenable «. Exprimant sa gratitude à la République qui lui a rouvert sa atrie, il demande « à [ses] chers collègues de le recevoir avec l'affectueuse sympathie dont il [est] lui-même animé «. C'est tout. Il n'a pas produit grande impression. Mais il n'a rien fait pour cela. On dirait d'ailleurs qu'il cherche à passer inaperçu. Il vote le moins possible, ne parle à personne, se cantonne dans l'insignifiance et manifeste la plus grande indifférence pour le travail parlementaire. On note seulement -- sans bienveillance -- qu'il n'est jamais le dernier à aller toucher les 25 francs de son indemnité parlementaire. Thiers persiste à ne voir en lui qu'une sorte de minus habens. Proudhon est à peine plus indulgent, le présentant comme « bien intentionné, chevaleresque. Au demeurant génie médiocre «. Pourtant, il est craint, redouté, comme à son corps défendant. Et il va peser lourd, indirectement, dans les iscussions en cours sur la forme à donner au pouvoir exécutif et les conditions de sa désignation. eaucoup préféreraient un exécutif collégial. C'est le cas de Jules Grévy qui a proposé de confier le pouvoir xécutif au Conseil des ministres. La proposition a été repoussée. C'est qu'à l'époque on garde encore le auvais souvenir des expériences, différentes certes mais également malheureuses, des comités de la onvention et du Directoire. Au reste, le fonctionnement du Gouvernement provisoire et de la Commission xécutive n'était pas de nature à apporter à la solution collégiale de quoi effacer cette historique et fâcheuse impression de désordre, de confusion, de surenchère, et d'irresponsabilité. Aussi, la commission de Constitution, où s'exerce l'influence de Barrot et de Tocqueville, s'oriente-t-elle vers la solution d'un exécutif fort, directement inspiré de celui des États-Unis. C'est un régime présidentiel à l'américaine qu'ils s'essayent à mettre sur pied. Mais les compromis auxquels il faut se résoudre conduisent à une esquisse pleine de contradictions et de germes de conflit. Le président ne peut dissoudre. Soit. Il est supposé responsable. Mais on ne sait au juste devant qui. Il a un pouvoir de nomination et de révocation, mais l'Assemblée, dans ce domaine, exerce un pouvoir concurrent. Les ministres sont censés être d'abord les conseillers du président, mais il est prévu qu'ils puissent tenir conseil... Toutes ces contradictions sont vite occultées par un autre débat, singulièrement plus captivant. Celui du mode d'élection. L'alternative est simple : faire élire le président par l'Assemblée ou recourir au suffrage universel. Le choix spontané des constituants irait vers la première solution. Elle aurait l'immense avantage de prévenir out risque d'« accident «, et de porter sans grande difficulté à la magistrature suprême Cavaignac, qui, aux eux de bien des modérés, offre toutes les qualités requises. Mais le schéma s'avère psychologiquement et olitiquement impraticable. outes les oppositions, qu'elles soient républicaine, légitimiste, bonapartiste, ont fondé leur rejet de LouisPhilippe sur le fait qu'il ne devait son élévation qu'à deux cent vingt et un députés. Comment justifier -- même si souvent, secrètement, on aimerait y parvenir -- que le régime nouveau soit établi sur des bases identiques? C'est Lamartine qui va emporter la décision, dans un discours qui est probablement le meilleur de toute sa arrière. Un discours qu'on lui reprochera longtemps. Mais qui a au moins le mérite de l'honnêteté et de la cohérence. Qu'il y ait un risque d'élection de Louis Napoléon Bonaparte, Lamartine l'admet: « Je veux soulever, moi, autant qu'il est en moi, le poids secret qui pèse sur la pensée et la conscience de l'Assemblée Nationale et du public dans cette question... « Ce qui préoccupe en ce moment la pensée de l'Assemblée, c'est l'éventualité qu'un fanatisme posthume du