Annibal Carrache

Dans la lunette représentant la Fuite en Egypte, commandée vers 1603 par le cardinal Aldobrandini pour la chapelle de son palais romain, Annibal Carrache représente une vaste vue où l'on peut relever d'évidentes réminiscences des peintres vénitiens, de Giorgione à Jacopo Bassano. Avec ce tableau, Carrache exprime une nouvelle conception du paysage, inspirée de la poétique de l'"idéal classique": le lieu traversé par la Sainte Famille en fuite est un espace naturel où l'on voit des paysans paisiblement occupés à travailler; au loin se découpe une ville fortifiée d'où se détache un bâtiment qui rappelle le Panthéon de Rome. C'est une représentation bucolique où l'homme, la nature et l'architecture semblent harmonieusement réunis. Les pentes en terrasses sur lesquelles se dresse la ville, les lignes dessinées par la rivière et l'intense clarté de l'arrière-plan contribuent à créer une impression de profondeur. Cette oeuvre devint rapidement un modèle très admiré, notamment par deux grands artistes français actifs à Rome au XVIIe siècle: Nicolas Poussin et Claude Lorrain.

En 1595, Annibal Carrache arrive à Rome, invité par le puissant cardinal Odoardo Farnèse, qui avait hérité du célèbre palais de famille construit sur un projet d'Antonio da Sangallo, avec des interventions successives de Michel-Ange, Vignole et Della Porta. L'artiste bolonais est chargé de décorer un petit studio privé du palais, appelé le Camerino, puis, plus tard, la Galleria, salon étroit et allongé avec des voûtes en berceau, destiné à accueillir la collection d'art de la famille.

La décoration de la voûte prévoit des épisodes mythologiques, tirés essentiellement des Métamorphoses du poète latin Ovide, qui racontent les amours des divinités et des héros antiques. Carrache illustre les thèmes de ces "fables" antiques en un cycle peint spectaculaire, qui célèbre l'amour et la sensualité, en s'inspirant aussi bien des oeuvres de l'Antiquité gréco-romaine (dont les Farnèse possédaient une riche collection) que des grands modèles de la Renaissance : la Chapelle Sixtine de Michel-Ange et la loggia de Psyché à la Farnesine, par Raphaël. Il exploite également sa quête de la nature vraie, approfondie au cours de ses années de formation, et qui donne vigueur, spontanéité et vraisemblance aux gestes et aux poses des personnages anciens représentés. Carrache peint sur la voûte une architecture en trompe-l'oeil, ouverte sur le ciel, ornée de bustes, d'atlantes, de médaillons, de figures de jeunes hommes nus et de "putti" portant des guirlandes de fleurs et de fruits, en insérant les scènes dans des quadratures, c'est-à-dire peints comme s'il s'agissait de toiles encadrées. La scène la plus importante est le Triomphe de Bacchus et Ariane, dans le grand panneau central de la voûte qui représente un cortège bacchique avec des amours volants, des satyres et des nymphes. La liberté et la variété de la composition, la richesse des images et les effets de trompe-l'oeil annoncent la grande décoration baroque.