Devoir de Philosophie

Article encyclopédique RÉFORMISME MUSULMAN

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

Dans la seconde moitié du xixe siècle et dans la première moitié du xxe, se développe une nouvelle pensée qui, tout en puisant dans le vocabulaire et la mémoire du religieux, tente de faire place aux valeurs de la modernité. Contre la résistance des conservateurs, qui rejettent toute innovation dans l'interprétation des textes sacrés, et contre l'inertie des confréries soufies, qui perpétuent une tradition mystique fataliste, certains ulama (théologiens et juristes musulmans) plaident pour la rénovation par la réforme de la religion qu'ils jugent « dénaturée » par des siècles d'ignorance et de dégénérescence. Ils posent cette réforme comme nécessaire à la survie de la communauté. De cette contestation de l'islam déformé au nom du retour aux sources de l'islam originel, supposé pur et rationnel, pratiqué par les salaf (grands ancêtres, ou première génération bien guidée) vient le terme salafiyya (salafisme ou néosalafisme). Pris comme devise, ce retour permet en effet de faire table rase de quinze siècles d'interprétation classique afin de pouvoir renouer un contact direct avec le texte fondamental, le Coran. Pour les réformistes, appelés parfois aussi les modernistes, le retour à la pureté de l'islam est considéré comme le seul moyen de régénérer la religion et la société. Ainsi naît l'idéologie de réforme musulmane (islah) autour de laquelle l'élite sociale et politique disloquée va se reconstituer et de nouveaux pouvoirs s'organiser. Dans les mondes indo-musulmans, perses… Ce sont les indo-musulmans dont l'empire a volé en éclats (déposition du dernier empereur en 1857) qui réagissent les premiers. Le théologien Karamat Ali Djawnpuri (m. 1873) propage l'idée que le Coran est à l'origine des découvertes scientifiques modernes. En les adoptant, les musulmans ne s'écarteraient pas de leur religion, bien au contraire. Plus modernes dans leur approche sont Sayyid Ahmad Khan (1817-1898), historien et réformateur, et le poète Muhammad Ikbal (1875 ?-1938). Au sein des communautés musulmanes de Malaisie et d'Indonésie, le réformisme est apparu sous l'influence directe des universités islamiques indiennes, arabes et iraniennes. En Perse, Mohammad Husayn Naini (1860-1936), poursuivant l'oeuvre de Malkum et de Mirza Yusuf Khan, donne au réformisme chiite sa forme la plus élaborée. Dans la plupart des autres communautés musulmanes de l'Asie et de l'Afrique, l'évolution de l'islam se trouve « court-circuitée » par la domination étrangère. La Chine a conquis la région de l'Ili et la Kachgarie en 1757, et réprimé plusieurs révoltes des musulmans du Turkestan (l'actuel Xinjiang). Dans les années 1860-1880, les Russes ont soumis Tachkent et Samarcande, étendu leur domination sur le Turkestan, Boukhara, Khiva, le khanat de Kokand et le pays turkmène. Après la révolution russe, transformés en républiques et réorganisés sur des bases ethniques, ces pays vont connaître la forme de laïcisme défendue par l'idéologie communiste officielle. Sultan Galiev, homme politique tatar (1880-1939), aura incarné la tentative d'adapter les valeurs du socialisme de type soviétique au milieu musulman. La pensée de l'« islah » dans le monde arabe. C'est cependant dans le monde arabe que la pensée de l'islah aura été la plus offensive. Au Caire, Djamal al-Din al-Afghani (1838-1897), homme d'État et philosophe, figure emblématique de tout le réformisme musulman, tente d'organiser un mouvement panislamique. Par des attaques véhémentes contre l'inertie des ulama et la corruption des gouvernants, il ouvre le réformisme à l'action politique libérale et nationaliste. Muhammad Abduh (1849-1905), théologien et doyen de la plus grande université islamique, Al-Azhar, et le cheikh Rachid Rida (1865-1935) au Proche-Orient, les ulama Fadel Ben Achour (1909-1970) et Abdelhamid Ben Badis (1889-1940) au Maghreb, donnent à l'islah arabe ses formes doctrinales. Ils pensent que l'islam est la première religion à avoir aboli totalement le pouvoir clérical. L'appel à l'émancipation de la raison en constituerait même l'essence. Le réformisme musulman est né de la fécondation du patrimoine juridico-théologique musulman par le rationalisme moderne. Face à une vision fataliste, fondée sur la convergence du formalisme juridique et du mysticisme confusionniste, prédominante jusqu'au xixe siècle, le réformisme affirme la primauté de la raison et de l'effort d'interprétation personnelle (ijtihad) des sources religieuses. En oeuvrant pour l'adaptation de la pensée classique aux valeurs et développements scientifiques modernes, ce réformisme apparaît inséparable des bouleversements à venir de toutes les sociétés musulmanes. Burhan GHALIOUN

Liens utiles