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Décentrement des démocraties

Publié le 06/12/2012

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Le décentrement des démocraties Pierre Rosanvallon* L’ONCTION populaire des gouvernants est pour nous la principale caractéristique d’un régime démocratique. L’idée que le peuple est la seule source légitime du pouvoir s’est imposée avec la force de l’évi- dence. Nul ne songerait à la contester, ni même à la réfléchir. La souveraineté ne saurait se partager, résumait au XIXe siècle un grand républicain français. Il faut choisir entre le principe électif et le principe héréditaire. Il faut que l’autorité se légitime ou par la volonté librement exprimée de tous, ou par la volonté supposée de Dieu. Le peuple ou le pape ! Choisissez1. Répondre à une telle question dispensait de toute argumentation. Nous en sommes toujours restés là. Cet énoncé recouvre pourtant une approximation d’importance: l’assimilation pratique de la volonté générale à l’expression majoritaire. Mais elle n’a guère été discutée. Le fait que le vote de la majorité établisse la légitimité d’...

« Le décentrement des démocraties La loi de majorité, a-t-on classiquement souligné, est une de ces idées simples qui se font accepter d'emblée ; elle présente ce carac- tère que d'avance elle ne favorise personne et met tous les votants sur le même rang2. Les fictions fondatrices Le passage de la célébration du Peuple ou de la Nation, toujours au singulier, à la règle majoritaire ne va pourtant pas de soi, tant les deux éléments se situent à des niveaux différents.

Il y a d'un côté l'af- firmation générale, philosophique si l'on veut, d'un sujet politique, et de l'autre l'adoption d'une procédure pratique de choix.

Se sont ainsi mêlés dans l'élection démocratique un principe de justification et une technique de décision.

Leur assimilation routinière a fini par masquer la contradiction latente qui les sous-tendait.

Les deux éléments ne sont en effet pas de même nature.

En tant que procédure, la notion de majorité peut s'imposer aisément à l'esprit, mais il n'en va pas de même si elle est comprise sociologiquement.

Elle acquiert dans ce dernier cas une dimension inévitablement arithmétique : elle désigne ce qui reste une fraction, même si elle est dominante, du peuple.

Or la justification du pouvoir par les urnes a toujours implicitement ren- voyé à l'idée d'une volonté générale, et donc d'un peuple, figure de l'ensemble de la société.

Cette perspective sociologique n'a cessé d'être renforcée par le réquisit moral d'égalité et l'impératif juridique de respect des droits, appelant à considérer la valeur propre de chaque membre de la collectivité.

C'est ainsi l'horizon de l'unanimité qui a depuis l'origine sous-tendu l'idée démocratique: est démocra- tique, au sens le plus large du terme, ce qui exprime la généralité sociale.

On a seulement fait comme si le plus grand nombre valait pour la totalité, comme si c'était une façon acceptable d'approcher une exigence plus forte.

Première assimilation doublée d'une secon- de: l'identification de la nature d'un régime à ses conditions d'éta- blissement.

La partie valant pour le tout, et le moment électoral valant pour la durée du mandat : tels ont été les deux présupposés sur lesquels a été assise la légitimité d'un régime démocratique. Le problème est que cette double fiction fondatrice est progressive- ment apparue comme l'expression d'une insupportable contre-vérité.

Dès la fin du XIXe siècle, alors que le suffrage universel (masculin) commençait tout juste à se généraliser en Europe, les signes d'un pré- coce désenchantement se sont pour cela multipliés. »

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