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FRANÇAISE (langue)

Publié le 17/01/2019

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langue

FRANÇAISE (langue). En isolant la « langue française », pour la considérer dans sa structure ou son évolution historique, on ne fait, comme le remarque Charles Bruneau {Petite Histoire de la langue française, 1958) qu'instruire une opposition avec une « langue anglaise », une « langue italienne », etc. Du même coup, toute langue se trouve définie dans ses rapports à une entité située localement (géographiquement) et temporelle-ment (historiquement). L'histoire d'une langue s'intégre donc dans l'histoire politique de la nation, qui définit la langue et que la langue sert à définir, en même temps qu'on postule l'unité a priori de la nation.

 

Or il s'en faut de beaucoup que le français soit d'emblée une langue nationale. La constitution du français comme langue nationale résulte de procès historiques variés : c'est la Révolution de 1789 qui a imposé une politique de la langue dont la république bourgeoise tirera les conséquences, en particulier au plan de l'institution scolaire : l'école obligatoire, c'est aussi le français obligatoire — et les français fictifs. Cette dernière formule, de R. Balibar et D. Laporte, est encore trop générale : elle définit bien le rôle décisif d'une langue nationale contre les langues régionales, réduites au statut ambigu et folklorique de dialectes, de patois, mais elle risque de masquer, en même temps, les pratiques différenciées du français, c'est-à-dire les relations socialement hiérarchisées des divers discours autorisés. Au mieux, on opposera des langues (« la langue des juristes peut-elle être étudiée en même temps que la langue des physiciens ? » se demande Ch. Bruneau), de manière à refouler « les instances de celui qui parle et de ce dont il parle, c'est-à-dire l'instance du discours » (M. Foucault). De l'instance du discours, on trouve trace à l'examen des actes politiques qui scandent les luttes pour imposer le français, non comme langue « meilleure », mais comme instrument politique des institutions dominantes.

 

Ainsi, dès le vu0 s., Éloi, conseiller du roi Dagobert, décide que la pratique religieuse du sermon se soutiendra dans la langue vulgaire au lieu du latin que les fidèles ne comprennent plus ; et en 813, le concile de Tours consacre officiellement l'usage de « la langue romaine rustique » (c'est dire combien l'on n'avait cependant pas le sentiment de ne plus parler en latin) pour les adresses aux chrétiens. Mais ce n'est qu'en 1539, par l'ordonnance de Villers-Cotterêts, que François Ier impose l'usage du français pour l'administration et la justice. Il n'est plus question de langue vulgaire, et pas davantage de langue nationale, mais de langue maternelle : les arrêts et les procédures seront « prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel français ». Il ne s'agit pas d’imposer le français aux diverses provinces du royaume, mais d'abandonner un latin de plus en plus altéré, dont l'interprétation était devenue source de difficultés et de contestations.

 

Si le français se trouve alors politiquement en position forte, il est moins sûr que, socialement, son prestige soit aussi assuré : à preuve la Défense et Illustration de la langue française (1549) de Du Bellay et le Projet du livre intitulé « De la Précellence du langage français» (1579) d'Henri Estienne. C'est donc l'institution littéraire qui reçut, en priorité, mission de valoriser le français. Et Vaugelas sera chargé — par l'Académie française (1634), due à l'obstination politique de Richelieu — d'élaborer un dictionnaire (en outre, les statuts prévoyaient la publication d'une grammaire, d'une rhétorique et d'une poétique}.

 

Devenu langue de l'élite et trouvant ses lois dans l'usage de Paris et de la Cour, le français a acquis un statut politique, social et culturel tel que les dialectes ne subsistent plus que comme des parti

 

cularismes tolérés, c'est-à-dire comme marques sociales d'exclusion. C'est en 1794 que l'abbé Grégoire, dans son Rapport sur les idiomes et patois répandus dans les différentes contrées de la République, souligne la nécessité d'une « identité de langage » afin de rapprocher les citoyens de la vérité, de « faciliter le jeu de la machine politi que », de « perfectionner l'agriculture et toutes les branches de l'économie rurale ». Le français, devenu langue maternelle en évinçant le latin, devint langue nationale en éliminant les dialectes et les patois. Au xixe s., défendre les patois (comme Nodier par exemple), c'était lutter contre la Révolution et passer pour un nostalgique de la monarchie. Ce combat d'arrière garde a contribué à masquer une contradiction interne entre pratique écrite et pratique parlée du français. Le purisme, en se présentant sous les apparences d'un amour de la langue, tend à défendre une hiérarchie entre l'écrit et l'oral, de manière à préserver, à son niveau, la reconnaissance sociale des élites.

 

L'installation du français, résultant de luttes politiques et sociales, a conditionné la configuration des histoires de la langue française. Mais les histoires de la langue française restent liées à des représentations surannées du discours historique. Les linguistes, soucieux d'étudier le rôle du temps dans ses rapports à la langue comme système linguistique, ne peuvent que regretter, tout en s'y soumettant, les divisions chronologiques artificielles et officielles qui, comme une certaine histoire de la littérature, découpent l'évolution en « siècles ». Quant au schéma « ancien français / moyen français / français classique/français contemporain », hésitant entre le temps de la langue (en unifiant évolution phonétique, grammaticale, sémantique) et le temps des formations sociales, il ne peut manquer de produire un effet de continuité, oubliant les ruptures et les contradictions : penser l'histoire d'une langue comme une succession finalisée d'étapes revient à masquer le concept d'état de langue, qui, pris en lui-même (sous son aspect synchronique), n'implique ni antériorité ni postérité. Les contradictions qui travaillent un état de langue, essentiellement dues aux tensions entre l'ancien et le nouveau, se résolvent linguistiquement dans une nouvelle distribution des matériaux : « La langue, dit F. de Saussure, est une robe couverte de rapiéçages faits avec sa propre étoffe. »

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