Génital (amour)
Publié le 04/04/2015
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Une des causes fréquentes de recours à l'analyse réside dans la difficulté, pour le sujet, de vivre comme il le souhaiterait son existence affective et sexuelle. Les inhibitions, insatisfactions, contradictions éprouvées sur ce plan sont d'autant plus mal supportées que le monde moderne est censé assurer à chacun un droit égal à la jouissance.
S. Freud cependant a fait valoir que ce type de difficultés n'est pas seulement référable aux aléas de l'histoire individuelle, mais qu'il repose sur des clivages induits par la structure subjective elle-même. Dans son article «Sur le plus général des rabaissements de la vie amoureuse «, (1912; trad. fr. la Vie sexuelle, 1969), il relève ce fait bien connu que certains hommes ne peuvent désirer que des femmes qu'ils n'aiment pas. Ils aiment leur femme légitime — ou, plus généralement, une femme idéalisée — et ils désirent des femmes perçues comme dégradées, les prostituées par exemple. Freud explique ce clivage par le fait que la
femme aimée, trop proche de la mère, se trouve interdite. Quant aux femmes, ajoute Freud, si l'on relève moins chez elles le besoin d'avoir un objet sexuel rabaissé, la sensualité reste souvent liée pour elles à la condition de l'interdit, ou tout au moins du secret. Cependant, Freud évoque aussi, toujours dans le même article, ce qu'il en serait d'une «attitude complètement normale en amour«, attitude où viendraient s'unir le courant de la sensualité et celui de la tendresse. La psychanalyse pourrait-elle donc promettre, à l'homme comme à la femme, une harmonie du désir et de l'amour? C'est ce qu'on a cru pouvoir théoriser sous le nom d'amour génital.
M. Balint est sans doute l'auteur qui a proposé, sur ce point, l'analyse la plus élaborée (Amour primaire et technique psychanalytique). L'amour génital, pour lui, se définit d'abord en termes négatifs. Il serait épuré de tout trait prégénital, qu'il s'agisse de traits oraux (avidité, insatiabilité, etc.), de traits sadiques (besoin d'humilier, de commander, de dominer le partenaire), de traits anaux (besoin de le salir, de le mépriser pour ses désirs et plaisirs sexuels) ou encore de particularités où se font sentir les effets de la phase phallique ou du complexe de castration. Il
est cependant à noter qu'un tel dépouillement lui paraît difficilement concevable.
Peut-on alors risquer une définition positive ? L'amour génital, en tant que phase accomplie d'une évolution, supposerait une relation harmonieuse entre les partenaires, et celle-ci, pour Balint, nécessite un travail de conquête puis un travail d'adaptation qui prennent en compte les désirs de l'autre. Mais Balint reconnaît que l'accommodement à la réalité de l'autre ne peut être le dernier mot de l'amour génital. «Certes, le coït, écrit-il, est un acte altruiste au départ; mais, à mesure que l'excitation croît, l'attention accordée au partenaire diminue, de sorte qu'à la fin, pendant l'orgasme et dans les moments qui le précèdent, les intérêts du partenaire sont totalement oubliés. «
Il y a cependant un dernier paradoxe. Pour Balint, au moment même où le sujet se trouve emporté par une satisfaction qui ne concerne que lui, il peut éprouver le sentiment d'une harmonie parfaite, celle de jouir du plaisir suprême conjointement avec son partenaire.
La théorie de l'amour génital a eu un rôle non négligeable dans la psychanalyse: conduire jusqu'à lui a pu apparaître comme un des buts concevables de la cure. Mais il faut bien relever que Balint n'explicite pas vraiment cette «conviction d'être uni au partenaire dans une harmonie complète «. Dès lors, elle paraît liée plutôt à une représentation imaginaire de l'amour comme réciprocité qu'à ce qui se présente en fait dans l'acte sexuel. Freud, d'une certaine façon, réfutait par avance la théorie de Balint lorsqu'il envisageait «la possibilité que quelque chose dans la nature même de la pulsion sexuelle ne soit pas favorable à la réalisation de la pleine satisfaction«. Il se fondait sur la différence entre objet originaire et objet final de la pulsion, du
fait de la barrière de l'inceste, et également sur le fait que la pulsion sexuelle se constitue à partir d'un grand nombre de composantes qui ne peuvent pas toutes être intégrées dans la configuration ultérieure. Lacan, de même, a pu souligner que, «chez l'homme LI, les manifestations de la pulsion sexuelle se caractérisent par un désordre éminent. Il n'y a rien qui s'adapte.« Sans doute, cette inadaptation est-elle à référer, en dernier ressort, à la position différente des hommes et des femmes dans la sexuation.
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