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GIDE (André)

Publié le 17/01/2019

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gide

GIDE (André), écrivain français (Paris 1869-id. 1951). Issu de deux familles fort différentes (la lignée paternelle est sans fortune, cévenole, huguenote depuis le xvie s. ; la lignée maternelle est normande, riche, et n'est protestante que depuis la fin du xviiie s.) et dont il s'est plu à souligner les oppositions qu'il retrouvait en lui (« Je suis un être de dialogue ; tout en moi combat et se contredit » ), André Gide est le fils unique de Paul Gide, alors professeur à la faculté de droit de Paris, et de Juliette Rondeaux, riche héritière d'industriels rouennais. Enfant émotif, sujet à des crises nerveuses (à demi simulées), il reçoit une éducation irrégulière, dans diverses institutions ou aux mains de divers précepteurs. Parmi les événements marquants de son enfance et de son adolescence : la mort de son père alors qu'il a à peine onze ans, et qui le livre désormais à un entourage presque exclusivement féminin (sa mère et sa gouvernante amie Anna Shackleton, ses tantes, ses cousines) ; le secret de sa cousine Madeleine : à quatorze ans, il découvre fortuitement l'inconduite de sa tante Mathilde Rondeaux et le chagrin de Madeleine, dont il s'éprend d'un amour mystique (« J'avais erré jusqu'à ce jour à l'aventure ; je découvrais soudain un nouvel orient à ma vie » ). Quand il publie à vingt et un ans son premier livre, les Cahiers d'André Walter, c'est d'abord pour lui une déclaration d'amour, un « roman théorème » démontrant ce qui arrivera si Madeleine persiste dans son refus de l'épouser (les Cahiers sont le journal du jeune écrivain André Walter, qui, après avoir renoncé à sa cousine Emmanuelle, devient fou et meurt d'une fièvre cérébrale). Somme de sa jeunesse (constituée pour une large part de fragments de son propre journal, qu'il tient depuis sa quinzième année), les Cahiers d'André Walter sont aussi une somme littéraire, une réflexion sur le roman : Gide, comme nombre des amis avec qui il s'est hé dès ses dernières années d'études secondaires, a très tôt décidé d'« entrer en littérature » :

 

« Mallarmé pour la poésie, Maeterlinck pour le drame — et quoique auprès d'eux je me sente bien un peu gringalet, j'ajoute Moi pour le roman », écrit-il à Paul Valéry au lendemain de la publication d'André Walter. Il fait alors son entrée dans les salons et cénacles littéraires parisiens, fréquente Barrés, Mallarmé, Oscar Wilde, s'affirme comme « symboliste » : le Traité du Narcisse (1891), la plaintive ironie laforguienne des Poésies d'André Walter (1892), la Tentative amoureuse (1893), le Voyage d'Urien, qu'illustre Maurice Denis (1893), le consacrent comme un des jeunes maîtres de l'heure — pour un public encore fort restreint (tous ses livres, jusqu'à la Porte étroite en 1909, seront publiés « à compte d'auteur »).

 

Octobre 1893 : avec son ami le peintre Paul-Albert Laurens, Gide s'embarque pour un long voyage en Tunisie, en Algérie et en Italie. Parti avec un mauvais rhume qui s'est transformé en primo-infection, il lutte contre la maladie, découvre le goût de vivre, la joie des sens, le culte de la lumière, du soleil et du désert, le plaisir (première expérience homosexuelle à Sousse, en novembre 1893). De ce voyage, il rapporte en France un « secret de ressuscité » ; il rompt avec l'austérité puritaine de sa jeunesse, avec la littérature du moment qui sent « furieusement le factice et le renfermé ». Mai-juin 1895 : il rentre d'un second voyage africain (où il a retrouvé Wilde), sa mère meurt (« Je sentis s'abîmer tout mon être dans un gouffre d'amour, de détresse et de liberté... Cette liberté même après laquelle, du vivant de ma mère, je bramais, m'étourdissait comme le vent du large... »), il se fiance avec Madeleine (leur mariage, qui restera un « mariage blanc », sera célébré les 7 et 8 octobre) et publie Paludes, étrange petit livre qui est, entre autres choses, une satire du climat étouffant des milieux symbolistes. Deux ans plus tard (en mai 1897), les Nourritures terrestres, sur le mode lyrique, sont l'évangile de la libération, de la joie, du plein épanouissement de l'individu délivré de toutes les entraves

 

de la tradition esthétique et morale. Mais, dans sa liberté même, sans cesse remise en question et reconquise (« Savoir se libérer n'est rien; l'ardu, c'est savoir être libre »), Gide est un esprit « critique » : le drame de Saül (écrit en 1899) et le récit de l'Immora-liste (1902) montrent les limites et finalement l'échec tragique de la pure doctrine des Nourritures, de la disponibilité absolue du roi Saül ou de la morale nietzschéenne de Michel. Livre critique encore, ou « ironique », que la Porte étroite (1909), qui, inspirée de l'amour de sa jeunesse, dénonce dans l'itinéraire d'Alissa jusqu'à la mort « les dangers d'une certaine forme de mysticisme très précisément protestant ».

 

La Porte étroite est le premier livre de Gide qui touche un large public. 1909 est d'ailleurs l'année où, réalisant enfin un rêve de jeunesse, il fonde avec quelques amis (son beau-frère Marcel Drouin, Henri Ghéon, Jean Schlumberger, Jacques Copeau et André Ruyters) une revue dont il est l'âme (mais sans vouloir jamais en apparaître comme le directeur en titre) : la Nouvelle Revue française ; on sait que celle-ci allait devenir la plus importante revue littéraire française du siècle, prolongée par une maison d'édition habilement conduite, dès sa création en 1911, par le fils du propriétaire du théâtre des Variétés, le jeune Gaston Gallimard — prolongée aussi par une entreprise théâtrale, lancée dès 1913 par Jacques Copeau, qui aura une vie plus courte mais constitue un chapitre important de l'histoire du théâtre : le Vieux-Colombier.

 

À la veille de la guerre, Gide publie une « sotie », les Caves du Vatican, dont le héros Lafcadio, avec son « acte gratuit », fascinera quelques années plus tard les surréalistes — et qui sont l'occasion de sa rupture avec Claudel, avec lequel il entretenait depuis quinze ans un dialogue qui l'avait conduit, en 1905, au bord de la conversion. Gide traversera d'ailleurs, en 1916, une nouvelle « crise religieuse » (dont témoigne son « carnet vert », Numquid et tu ?, plus tard intégré au Journal), qui se dénoue dans le bonheur de sa liaison avec le jeune Marc Allégret. En 1918 pourtant, il éprouvera la plus grande douleur, sans doute, de sa vie : pendant qu'il était en Angleterre avec Marc, Madeleine a brûlé toutes les lettres qu'il lui avait adressées depuis leur adolescence : « C'était ce que j'avais de plus précieux au monde », lui dit-elle ; et lui note : « C'est le meilleur de moi qui disparaît... Je souffre comme si elle avait tué notre enfant... Je me compare à Œdipe lorsqu'il découvre soudain le mensonge sur lequel est édifié son bonheur... » De ce désastre la Symphonie pastorale donne une image critique prémonitoire — le récit fut achevé trois jours avant que Madeleine ne lui fît l'aveu terrible.

 

Les années 20 voient paraître les ouvrages majeurs de Gide, qui font de lui — selon le mot d'André Rouveyre en 1924, souvent attribué à Malraux — le « contemporain capital » : Dostoïevsky (1923), où l'exploration des terrae inco-gnitae de la psychologie permet à Gide, comme s'en indigne et s'en effraye Henri Massis, de « remettre en cause la notion même de l'homme sur laquelle nous vivons » ; Corydon (1924), qui entend démontrer le caractère naturel de l'homosexualité ; les Faux-Monnayeurs (1925), « premier roman » de Gide, qui, après Paludes et avec le Journal des faux-monnayeurs (1926), renouvelle profondément le genre et constitue une étape essentielle de la modernité romanesque européenne ; Si le grain ne meurt (1926), dont la franchise sans complaisance fait scandale. En 1925-26, Gide accomplit un long voyage en Afrique noire (avec Marc Allégret, qui en rapporte son premier film) ; à son retour, il publie Voyage au Congo, le Retour du Tchad et divers articles qui dénoncent les exactions des grandes compagnies concessionnaires et les abus du système colonial : campagne de presse, polémique violente, enquête administrative, débat à la Chambre font alors de Gide un point de mire sur une scène qui n'est plus seulement littéraire.

 

Quelques années plus tard — il a entre-temps publié les deux premiers volets d'urne trilogie romanesque, l'École

des femmes (1929) et Robert (1930), qu'achèvera en 1936 Geneviève et qui prolonge, dans le personnage de Robert, la critique de la fausse monnaie morale et sociale, et le drame d’Œdipe (1931), du héros qui refuse « un bonheur fait d'erreur et d'ignorance » —, Gide

 

s'engage plus nettement encore sur le terrain sociopolitique. Dans des « pages de Journal » publiées à partir de 1932, il témoigne de son admiration et de sa sympathie pour la construction du socialisme en Union soviétique, et de son adhésion au communisme (mais il ne sera jamais membre du parti). Les Nouvelles Nourritures (1935) ne marquent pas une rupture avec celles de 1897, mais une ouverture, un élargissement, un progrès : pour s'épanouir et être heureux ( « Que l'homme est né pour le bonheur, certes toute la nature l'enseigne »), l'individu — Nathanaël est devenu le « camarade » — a besoin du bonheur de tous : « En vérité, le bonheur qui prend élan sur la misère, je n'en veux pas... Mon bonheur est d'augmenter celui des autres. J'ai besoin du bonheur de tous pour être heureux. » Invité officiel du gouvernement de Moscou, Gide fait, l'été 1936, un voyage triomphal en Russie soviétique. Mais il en rapporte une amère désillusion, et Retour de VU. R. S. S., suivi des Retouches à mon Retour de l'U. R. S. S., est une rupture avec le stalinisme, aussi retentissante que l'avait été sa « conversion ». Après avoir été attaqué et insulté à droite, il l'est à gauche ; pour beaucoup, cependant, sa générosité et son enthousiasme, puis sa lucidité et son courage restent exemplaires. Le dimanche de Pâques 1938, Madeleine meurt ( « La partie est perdue, que je ne pouvais gagner qu'avec elle... Qui se dirige vers l'inconnu doit consentir à s'aventurer seul. Créuse, Eurydice, Ariane, toujours une femme s'attarde, s'inquiète, craint de lâcher prise et de voir se rompre le fil qui la rattache à son passé. Elle tire en arrière Thésée, et fait se retourner Orphée. Elle a peur »). L'année suivante, Gide adopte légalement Catherine, l'enfant qu'il a eue, le 18 avril 1923, d'Élisabeth Van Rysselberghe, fille de ses vieux amis, le peintre Théo et Maria — la « Petite Dame » sera son témoin le plus fidèle et le plus lucide (avec Roger Martin du Gard) et laissera ces « Notes pour l'histoire authentique d'André Gide » (1918-1951) qu'on a publiées sous le titre des Cahiers de la Petite Dame (1973-1977).

 

En mai 1939, Gide est le premier écrivain vivant à entrer dans la « Bibliothèque de la Pléiade » (il a d'ailleurs favorisé la création de la collection, en 1932, par son ami Jacques Schiffrin, qui mit au point sa formule), avec les 1 300 pages de son Journal 1889-1939, monument qui (complété plus tard par deux volumes couvrant les années 1939-1942 et 1942-1949) demeure aujourd'hui pour beaucoup l'œuvre de Gide la plus singulière et la plus durable : quête indéfinie de soi, mais aussi témoignage grouillant de vie sur toute une époque, vue par un homme à l'inlassable curiosité pour ce qui l'entoure, fût-ce souvent à contre-courant.

 

Gide, au début de la guerre de 1914, avait été assez « cocardier » (son ardeur à voir préservées dans la tourmente les valeurs auxquelles il tenait l'avait même fait se rapprocher de l'Action française) ; en 1940, il donne d'abord raison au maréchal et à ceux qui voient dans la défaite la conséquence de la faiblesse morale du pays, mais bien vite l'esprit de résistance le reprend : il rompt avec la N. R. F., que Drieu La Rochelle engage dans la voie collaborationniste. En mai 1942, il quitte le midi de la France, où il séjournait depuis septembre 1939, pour l'Afrique du Nord — à Tunis d'abord, puis à Alger (où il déjeune avec de Gaulle) et au Maroc. Paris, où il rentre en mai 1945, en est alors à la mode de l'« existentialisme » et de la « littérature engagée » : il y reconnaît certes ses idées-forces, mais le temps de la vieillesse est arrivé, celui de faire ses comptes avant de « plier bagage ». D'Alger, il a rapporté son testament, Thésée, cette fable qu'il portait en lui depuis quelque quarante ans, dont le héros, comparant son destin à celui d'Œdipe (qui, lui, se fait gloire de ses yeux crevés, qui ne lui laissent plus voir

 

que la lumière surnaturelle, celle de Dieu), se dit content : il est resté enfant de cette terre, lucide et attentif aux hommes ; il a fait son œuvre.

 

Pour le vieil écrivain, pour l'immora-liste qui n'a cessé de lutter contre les idées reçues et l'ordre établi, et qui pour cela même a subi tant d'attaques, c'est maintenant la gloire officielle, voire l'embaumement : en 1947, après un doctorat honoris causa de l'université d'Oxford, il se voit décerner le prix Nobel de littérature; en décembre 1950, la générale des Caves du Vatican, à la Comédie-Française en présence du président de la République, évoque l'apothéose voltairienne d'Irène... Sa mort sereine, le 19 février 1951 dans le petit lit de fer de son appartement de la rue Vaneau (« Il faut lui savoir un gré infini d'avoir su mourir aussi bien », écrit alors Martin du Gard), est pourtant suivie d'une polémique autour de la dernière phrase qu'il ait prononcée : « C'est toujours la lutte entre le raisonnable et ce qui ne l'est pas. » Et, le 1er juin 1952, malgré une inhumation religieuse qui provoqua chez les uns et les autres la réprobation, l'Osservatore romano publie un décret du Saint-Office insérant Andreae Gide opéra omnia dans l'index librorum prohibitorum.

 

Dans l'année qui suivit sa mort, deux inédits de Gide furent publiés : Et nunc manet in Te, souvenirs et réflexions sur l'histoire de sa vie conjugale (avec les passages, relatifs à Madeleine et notamment au drame des lettres brûlées en 1918, qu'il avait cru devoir supprimer dans l'édition de son Journal), et Ainsi soit-il ou Les jeux sont faits, sorte de libre appendice au Journal qu'il avait cessé de tenir en juin 1949, pour laisser courir sa plume dans un ultime cahier sans dates ni ordre préconçu. Hormis quelques rares - ébauches, nul autre inédit n'est à attendre. Seul se révèle, au fil des années, l'immense domaine de la Correspondance, dont Gide n'avait lui-même laissé paraître, de son vivant, que les lettres échangées par lui avec Jammes (1948), Claudel (1949) et Du Bos (1950). En attendant une édition de la Correspondance générale, qui sera à coup sûr, par son étendue et sa diversité un monument de ce siècle, d'importants ensembles bilatéraux ont déjà été publiés : les correspondances avec Rilke (1952), Valéry (1955), Jouhandeau (1958), Péguy (1958), Edmund Gosse (1959), Suarès (1963), Arnold Bennett (1964), André Rouveyre (1967), R. Martin du Gard (1968), Cocteau (1970), Mauriac (1971), Albert Mockel (1975), Henri Ghéon (1976), Jules Romains (1976-1979), Jacques-Émile Blanche (1979), Justin O'Brien (1979), E. R. Cur-tius (1980), Dorothy Bussy (1979-1982), François-Paul Alibert (1982).

 

Autant que Proust, et plus que Claudel ou Valéry, les autres « grands » de sa génération, André Gide reste présent. Il constitue pourtant un cas exceptionnel dans l'histoire littéraire française, et trois raisons font que cette œuvre, d'une langue limpide, légère et classique, peut être aujourd'hui d'accès « difficile » : la première tient à ce que Gide n'est pas seulement l'auteur de nombreux livres, mais qu'il est d'abord une figure, un ensemble vivant et indissociable en qui la création littéraire se juxtapose à tous les actes de sa vie : voyages, amitiés, combats, engagements. Gide, ce fut un itinéraire, un devenir à la fois sinueux et complexe (« Gide est un exemple irremplaçable, a écrit Sartre, parce qu'il a choisi de devenir sa vérité ») : ses contemporains, pour qui il n'a cessé d'être une « référence », prenaient naturellement tout en compte chez lui, œuvres, actes et affirmations — à chaque instant il était pour eux la totalité de ce qu'il avait écrit, fait et été. Gide mort, on ne peut plus l'appréhender ainsi ; ses nouveaux lecteurs ne l'abordent que fragmentairement —, et quelle image, certes partiellement vraie mais combien complètement fausse, se fait de Gide celui qui n'a lu que la Porte étroite ou l'immoraliste, Paludes ou la Symphonie pastorale, Numquid et tu ? ou Corydon, les Nourritures ou Retour de l'U. R. S. S. ? Nul mieux que Gide n'illustre le mot de Malraux, selon qui l'écrivain n'écrit plus que ses œuvres complètes ; et la tâche du lecteur est difficile, s'agissant d'une œuvre éclatée

 

en plus de trente livres contradictoires. Dernière difficulté : Gide a été un écrivain essentiellement critique, un écrivain de combat ; et toutes les batailles qu'il a menées sont aujourd'hui reprises à leur compte par nos contemporains, leurs idéaux sont désormais du domaine commun : qu'il s'agisse de dénoncer une religion faite de puritanisme et de moralisme, le conformisme hypocrite de la société bourgeoise, le traditionalisme esthétique, les tabous sexuels, l'injustice coloniale, le stalinisme et les totalitarismes de tout bord, Gide se trouve dépassé par ses victoires mêmes. Il semble qu'on n'ait plus précisément besoin de lui. Alors que c'est en deçà des situations auxquelles il s'est trouvé historiquement confronté et dans la dynamique originelle de ce « maître à contester » qu'il faut ressaisir l'écrivain toujours actuel, la figure dont l'œuvre est le signe toujours admirable.

gide

« par Pierre Herbart. »

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