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GOLDMANN (Lucien)

Publié le 18/01/2019

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GOLDMANN (Lucien), philosophe et sociologue français (Bucarest 1913-Paris 1970). L'œuvre de Lucien Goldmann se place au croisement de la philosophie, de la sociologie et de la critique littéraire. Nourrie de Hegel, Marx, Freud et Heidegger, elle se présente comme une reprise libérale des thèses de Lukâcs. Elle s'est donné une méthode d'analyse et d'interprétation : le structuralisme génétique, dont la dénomination fait elle-même date. Elle s'inscrit dans les débats des années 1950-1960 sur l'histoire et sur le structuralisme (les points de vue diachronique et synchronique perçus comme inconciliables), et marque l'effort pour apparenter la description systématique d'un ensemble, qui a ses propres équilibres et ses propres lois, à un procès de transformation ou de transition, explicable à la fois par la référence à un mouvement de l'histoire et par les possibilités internes de changement que porte la structure. Cette visée méthodologique ne se sépare pas de quelques présupposés idéologiques. Y domine la notion de totalité, doublement interprétée : totalité de l'œuvre, totalité sociale ; l'une est lisible dans l'autre suivant des jeux de médiation qui caractérisent la création littéraire. Cette dénivellation et cette médiation renvoient à une expérience et à un constat : l'individu ne trouve plus de société qui lui soit adéquate ; sens de l'avenir et conscience possible définissent les conditions d'une réintégration.

 

L'œuvre dit plus ou moins explicitement cette attente, ou la récuse — ainsi de la littérature contemporaine et du nouveau roman. Goldmann passe d'une étude de Kant, placée sous le signe du tragique et inspirée des thèses initiales de Lukâcs [Introduction à la philosophie de Kant, 1952), à l'élucidation d'une création littéraire et d'un mouvement d'idées [le Dieu caché, 1956), où l'attention portée à l'œuvre de Racine et aux milieux jansénistes définit une sociologie de la littérature non pas externe, mais interne : le structuralisme génétique appelle une analyse et une interprétation immanente de l'œuvre ; il doit mettre en évidence le caractère unitaire du corpus, sa richesse, la qualité d'univers réel ou virtuel de l'ensemble des éléments qui le constituent et son caractère non-conceptuel. Structure significative et qualité d'univers virtuel ne peuvent être rapportées à l'œuvre singulière ou au créateur considéré isolément. La cohérence du texte littéraire témoigne d'une cohérence plus large, la « vision du monde » élaborée par un groupe social. Le rapport de l'œuvre au groupe, de l'écrivain au groupe ne doit être interprété ni en termes de cause ni en termes de reflet, mais de réalisation formelle et achevée, circonscrite et explicite, de ce que le groupe dit au moyen de l'idéologie. L'esthétique ne répète pas l'idéologie : elle la reprend pour la formaliser (la critiquer) sous le signe de la conscience possible, et jouer de l'universel et du particulier-concret. Pour une sociologie du roman (1964), Structures mentales et création culturelle (1970) constatent la moindre prégnance formelle de la création littéraire contemporaine et la rapportent à un processus croissant de réification qui, particulièrement dans le roman (avec Robbe-Grillet, par exemple), efface la référence à la conscience possible, la notation de l'individu et la suggestion du transindividuel. Aussi l'entreprise méthodologique de Goldmann s'apparente de plus en plus nettement au marxisme critique [Sciences humaines et Philosophie, 1952 ; Sciences humaines et Marxisme, 1970; la Création culturelle dans la société moderne, 1971) et s'attache à marquer les moyens de restaurer un langage significatif qui arrache l'œuvre au piège du formalisme, doublet de la réification. La lecture et la réception critique doivent alors être tenues pour les témoignages d'une option du lecteur en faveur de la vision du monde structurée dans l'œuvre : le lecteur avoue lui-même son exigence de cohérence, et toute critique devient moyen de dire la réorganisation d'une totalité perdue ou hors d'atteinte. La prise de conscience optimale du monde et de soi-même, qui n'est plus assurée par la littérature contemporaine, revient au public, apte à choisir dans l'ensemble de la littérature ce qui est le plus propre à satisfaire son exigence d'unité et de réconciliation.

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