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MAUPASSANT (Guy de)

Publié le 26/01/2019

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MAUPASSANT (Guy de), écrivain français (château de Miromesnil 1850 - Paris 1893). Autour de lui ont fleuri les « images d'Épinal » : une facilité, une limpidité factices se sont attachées à son existence — on le confond aisément avec un heureux canotier de Renoir — et à son œuvre. Rien ne fut aisé pourtant et la transparence appartient peu à l'univers de Maupassant. Son père, hobereau galant, préfère la vie parisienne au paisible manoir normand et se sépare bientôt de sa femme qui a la garde de leurs deux fils. Laure est cultivée, fine, torturée. Guy de Maupassant joue avec les petits paysans : son premier contact avec la nature est heureux et il ne l'oubliera jamais. Celui avec la société l'est moins : la vie d'un collège religieux, le petit séminaire d'Yvetot, convient mal à un enfant et à un adolescent habitué à une certaine liberté de mouvement et de pensée ; il fugue, écrit des satires contre ses professeurs, se fait renvoyer. Il termine sa scolarité à Rouen, et Flaubert, un ami de sa famille, lui tient lieu de père spirituel affectionné. Alors qu'il songe à entreprendre des études de droit, le jeune homme est réquisitionné et doit faire la guerre, c'est-à-dire fuir avec l'armée devant les Prussiens ; il n'acceptera jamais les atrocités absurdes, les meurtres gratuits et impunis, l'occupation qui révèle la veulerie des uns, l'héroïsme des autres, éléments que l'on rencontre dans de nombreux contes où l'inhumanité est toujours soulignée (le Père Milon). Libéré, il obtient un emploi au ministère de la Marine et songe à écrire. Flaubert, qui est « une sorte de tutelle intellectuelle » pour son jeune élève (avant que celui-ci ne voie en lui, dans des études qu'il lui consacrera, le maître de « l'accouplement du style et de l'observation modernes »), rature ses essais, lui fait reprendre sans cesse son travail de correction et ne l'autorise pas encore à publier. Le dimanche, Maupassant oublie sa morne vie quotidienne et va canoter au bord de la Seine, moments joyeux dont l'œuvre porte trace (Mouche). Cette vie durera dix ans, marquée par l'ennui de la vie laborieuse, par les retrouvailles avec un paysage apaisant, par les indices précoces d'une maladie qui s'approfondira et surtout par l'amitié intransigeante du grand écrivain et par la formation qui en découle : un regard ne se posant que sur l'essentiel, un style sans redondance et qui élague. En 1880, Maupassant, faux novice donc, participe au recueil des Soirées de Médan et publie Boule de suif : c'est aussitôt le succès. Mais Des vers, un recueil poétique qui fait scandale, échoue : désormais Maupassant se consacre à la prose. Il accepte les propositions alléchantes des journaux (il collaborera essentiellement au Gaulois et au Gil Blas}, il abandonne le ministère, acquiert notoriété et richesse. Il brûle ses vaisseaux ; il n'a que dix ans pour voyager (surtout à bord de son yacht et en Afrique du Nord) et pour édifier une œuvre importante : trois cents contes qu'il réunit en une quinzaine de recueils comme la Maison Tellier (1881), les Contes de la bécasse et Miss Harriet (1884) ou la Petite Roque (1886) ; deux cents chroniques qui font de lui un des plus importants journalistes littéraires de son temps ; six romans dont Une vie (1883), Bel-Ami (1886), Mont-Oriol (1887) et Notre cœur (1890) ; des nouvelles, sans compter les journaux de voyage {Au soleil, 1884; Sur l'eau, 1888 ; la Vie errante, 1890) et quelques pièces de théâtre (Histoire du vieux temps, Musotte, la Paix du ménage). Il prend même le temps de remanier ses textes et de les polir. Pendant ce temps, la maladie s'installe, le talonne, déploie ses divers symptômes (névralgies, insomnies, hallucinations). Qu'est-elle au juste ? Un composé de syphilis héréditaire ou acquise ? Ou le développement d'une maladie mentale avec pour noyau

 

l'image d'une mère suicidaire (Hervé, le cadet, finira tôt dans la démence) ? La souffrance triomphe, interrompt l'activité littéraire : tentative de suicide, délires, internement dans la clinique du docteur Blanche. La folie et ses avatars foudroient Maupassant, semblant justifier ce propos qu'il aurait tenu à Here-dia : « Je suis entré dans la vie comme un météore et j'en sortirai par un coup de foudre. »

 

Le réaliste. Si Maupassant énonça un dessein, ce fut celui de peindre ses contemporains. Il fréquenta Zola, et peut, bien qu'il se soit écarté assez vite des écoles, compter à juste titre parmi les écrivains naturalistes. Il fit même œuvre de théoricien dans son étude le Roman (souvent appelée inexactement, et il s'en plaignait, « Préface de Pierre et Jean ») où il définit son esthétique basée sur une observation minutieuse qui ne refuse cependant pas une interprétation personnelle l'essentiel consiste en effet dans le choix des détails signifiants, la mise en forme des éléments retenus, la composition enfin. L'écrivain est un regard scrutateur qui rend compte des sociétés qu'il connaît et qui met en évidence, mais sans insistance, les lois qui les gouvernent. Il sera ainsi un excellent peintre de la paysannerie normande dont il montre la malice et la dureté (la Bête à Mait'Bel-homme, Toine). La cupidité proverbiale du paysan cauchois prend corps et, malgré des conséquences souvent dramatiques, ne semble jamais caricaturée ; c'est que Maupassant se souvient de son enfance, truffe ses récits d'un savoureux patois toujours compréhensible et trouve souvent dans des faits divers l'anecdote qui sert d'armature à ses récits. Il ne s'écarte pas davantage d'une réalité familière ni ne tombe dans l'invraisemblance — autre exigence théorique — lorsqu'il évoque l'univers étriqué, bruissant d'illusions continuellement massacrées, des petits bourgeois (En famille) et de leurs jolies épouses qui cultivent un bovarysme sans espoir (la Parure). Petits aristocrates déchus, notables de province, rentiers, artisans, tous les niveaux sociaux sont explorés. Maupassant semble moins mettre l'accent cependant sur quelques univers privilégiés que sur un phénomène : la cruauté. Maints éléments de sadisme apparaissent dans ses contes dont les fins sombres, si nombreuses, ont contribué à lui donner la réputation d'un pessimiste. Le conte met en scène bourreaux et victimes sans s'adonner au pathétique : aucune lamentation donc, parfois uniquement un trait d'ironie amère comme échappé d'une plume retenue. L'élément moteur de la persécution s'avère souvent une combinaison d'avarice et de bêtise : nul doute que Maupassant n'ait médité les leçons du Flaubert de Bouvard et Pécuchet et du Dictionnaire des idées reçues ; il traque comme innocemment la stupidité, mais c'est pour en révéler le pouvoir dangereux. C'est ainsi qu'il fouille l'envers du conformisme à visage serein, qu'il montre combien la bonhomie anodine peut recéler de haine ou de mépris hargneux. Il insiste sur le fonctionnement de la mauvaise foi (Boule de suif) qui permet de torturer ingénument certaines minorités d'opprimés silencieux, parmi lesquels les infirmes (l'Aveugle), les vieillards (Une famille) ou les animaux improductifs (Pierrot, Coco). On trouve, en filigrane, la dénonciation des aspects pernicieux d'une société impitoyable qui martyrise et humilie en toute bonne conscience, une critique, par exemple, du mariage d'intérêt, et dans tous les milieux (les Sabots, Première Neige), ou d'une loi qui fait de l'épouse une semi-esclave (l'inutile Beauté). Ceci n'empêchant pas la mythologie traditionnelle de se déployer dans une œuvre qui présente la coquette (Pétition d'un viveur), la femme fatale (l'inconnue), la mégère (le Parapluie), la sensuelle indigène (Allouma) : mais, en général, il existe chez Maupassant une certaine « pitié pour les femmes » qui explique ses contes souriants sur l'adultère (Joseph), presque tendres sur l'amour impossible (la Rempailleuse) ou la prostitution Fifi) et compréhensifs sur l'infanticide (Rosalie Prudent). Car Maupassant ne craint pas de violer les tabous ; il évoque l'inceste (l'Ermite), le parricide (Un parricide), l'homo

 

sexualité (la Femme de Paul), la bâtardise aussi (l'Aveu), thème majeur comme celui de la paternité incertaine et de ses affres (M. Parent) ; bref, il met le doigt sur les plaies d'un monde cynique et certaines pages de Bel-Ami (sur le colonialisme, la spéculation ou le journalisme) peuvent atteindre la satire. Mais le problème du mal n'est pas seulement posé en termes sociaux. Ce qui brise une existence peut être un destin mauvais, un fatum à chape de plomb (Une vie) ; plus souvent encore, l'interrogation reste béante : comment expliquer, entre autres, la jouissance de détruire ? Maupassant s'est penché sur la perversion ou la perversité, comme bon nombre de naturalistes fascinés par les mécanismes pathologiques du psychisme ; il cherche la source du dérèglement qui conduit un esprit intelligent à se délecter de crimes sordides (Fou, Moiron) et, comme il s'interroge sur la frontière incertaine qui sépare la normalité de la folie, il aboutit, sur le plan esthétique, au fantastique.

 

Le fantastique. L'hypnose est alors à la mode ; les magnétiseurs ont du succès et Maupassant suit les cours de l'aliéniste Charcot à la Salpêtrière ; il étudie si bien les diverses aberrations de l'esprit qu'on a pu dire de ses contes qu'ils offraient un tableau complet de nosographie psychiatrique. Mais il s'agit moins pour lui de faire des monographies, de brosser quelques études de cas comme la neurasthénie (le Père Amable), l'obsession (Un vieux), la phobie ( Voyage de santé), la débilité (Ber-the), le fétichisme (la Chevelure) ou la nécrophilie (la Tombe), que de cerner la voie qui conduit à la folie, le basculement hors de la rationalité courante qui est d'ailleurs remise en cause. Comme bon nombre de ses contemporains, en effet, Maupassant ne veut plus croire aux vertus du positivisme ; il s'étonne des prétentions scientifiques de Zola, déplore que « la science », de jour en jour, recule les limites du merveilleux », médite sur l'éventuelle existence d'extraterrestres (l'Homme de Mars), songe à la médiocrité de nos sens et fait l'éloge de la folie (Mme Hermet) ou du mystère propice à l'imagination et à la poésie ; il va donc ouvrir en grand « ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent, selon Nerval, du monde invisible » et, comme lui, il finira par sombrer. C'est donc ici que se situe le fantastique, même si l'auteur utilise les procédés traditionnels d'un genre qui a déjà ses maîtres (Hoffmann, Gautier), comme l'utilisation d'un je de narration. Procédé vraiment ? Comment Maupassant n'aurait-il pas connu de l'intérieur cette horreur de se sentir mourir? Il transcrit donc les soubresauts d'une conscience qui se voile peu à peu, entraînée par un flot tout-puissant. Ses héros ont en partage le goût de la solitude et de la nuit pour laquelle il ressent un attrait irrésistible et ils apparaissent comme des sages désenchantés et sereins que l'angoisse va lentement ravager. Toujours un processus de dégradation irréversible est montré, comme une noyade, qui n'est pas sans terreur ni sans volupté. L'eau, du reste, est un élément souvent associé à la dissolution de l'individu et l'un des premiers contes de Maupassant (Sur l'eau) évoque l'envoûtement par une liquidité troublante. Ainsi la rivière, mais aussi bien les marais ou la mer, surfaces miroitantes, recèlent la mort. Derrière l'apparence limpide gît l'inconnu dangereux qui peut à tout moment vous engloutir. Le paradis cache un enfer glauque ; la Seine, la « seule passion » de Maupassant, son « absorbante passion pendant dix ans », suscite cette exclamation : « Ah ! la belle, calme, variée et puante rivière pleine de mirages et d'immondices » ; elle devient pour lui « symbole de l'éternelle illusion ». Nous retrouvons l'envers d'un décor, cette traversée des apparences que l'auteur avait désirée pour montrer, en témoin lucide, le vrai visage des hommes, mais dont il devient une victime impuissante ; il s'agit moins alors d'un dévoilement actif que d'un passage progressif et passif de l'autre côté d'un miroir au tain mortel. L'eau donc, la femme également (Maupassant indique le parallèle, il les voit toutes deux attirantes et perfides), les objets les plus insignifiants, peuvent ainsi posséder un pouvoir maléfique, et c'est le propre de

 

ce fantastique que de se déployer dans un univers familier, que d'apparaître, selon la formule de M. C. Bancquart, non pas « comme l'expression de minutes exceptionnelles, mais comme une émergence de la vie de tous les jours, un possible parfaitement plausible ». On voit alors l'individu se vider peu à peu de sa vie au profit d'un accroissement prodigieux de celle du monde inanimé ; les meubles (Qui sait ?) dansent devant un héros terrassé ; l'invisible prend vie et, comme le Horla, dévore lentement, en vampire, sa proie vivante. Destruction par une réalité extérieure menaçante, ou autodestruction par la dissociation d'un moi devenu trop fragile et friable ? La dissémination de l'identité, et en particulier le dédoublement de personnalité qui suscite des hallucinations et qui va l'engloutir, est aussi, paradoxalement, pour Maupassant, à la base de la création littéraire.

 

Écrire. Ce qui fait « la force et toute la misère » de l'écrivain, c'est qu'il est « acteur et spectateur de lui-même et des autres » ; il possède cette « seconde vue » qui fait de lui comme un extralucide ; or cette faculté qui a tant servi le naturaliste — celui qui sait voir — est source de tourments et débouche sur le désespoir. Impossibilité de l'unité d'abord pour celui qui n'est qu'un « reflet de lui-même et un reflet des autres », voué à « se regarder sentir, agir, aimer, penser, souffrir » — et l'on peut noter que Maupassant, comme pour assumer cette fragmentation, a parfois utilisé des pseudonymes, Maufrigneuse et Valmont en particulier — ; découverte du néant ensuite qui corrompt toute entreprise. La mort est souveraine dans cette œuvre où ne manquent pas les accents nihilistes (qu'on décèlera plutôt dans les romans à cause de leur ampleur, car ils sont, comme les chroniques, plus explicites). La tragédie sous ses diverses modalités — sociales, familiales, fatales — détruit toute créature dont la vie n'est plus qu'une sinistre et dérisoire comédie. Le temps, par exemple, est toujours conçu comme dissolvant : il n'y a jamais d'avenir chez Maupassant, seulement la certitude du corps qui se défait, la répétition et l'aggravation des mêmes maux. C'est que nous sommes tous des prisonniers « condamnés à traîner le boulet de notre rêve sans essor ». Derrière le sentiment de liberté se dissimule le piège, derrière l'amour l'instinct de reproduction (c'est la leçon désabusée de Schopenhauer, qui a beaucoup influencé le xixe s. finissant et que Maupassant avait lu). Par cette vision tragique, par un spleen profond aussi, par sa tentative d'échapper à l'ennui ou à la maladie grâce à la morphine ou à l'éther (dont il fait l'apologie dans Rêves), par son goût parfois du raffinement sophistiqué (les orchidées d'Un cas de divorce) ou la revendication du droit au suicide comme forme de dandysme ou de philosophie (l'Endormeuse), Maupassant peut se situer dans le courant de la Décadence. Il s'en écarte pourtant par tout ce qui témoigne de l'influence de Flaubert : sa langue concise, sa syntaxe claire, son lexique épuré (il a critiqué le « vocabulaire bizarre, compliqué, nombreux et chinois » des Goncourt), dans lesquels on a même pu voir des indices de classicisme. Il s'en éloigne également par son absence de complaisance ; il feint de ne rien prendre au sérieux et, sur le monde plein de violence qu'il fait naître, se profile son imperceptible sourire. Mais la discrétion du narrateur n'atteint jamais le degré zéro de l'impassibilité ; si Maupassant a vanté l'imper-sonnalité de Flaubert, s'il y tend lui-même, dans les contes, cependant, les marques de la narration restent visibles, soit par la présence avouée d'un narrateur, soit par de fréquentes notations d'humour. Maupassant est souvent un écrivain narquois qui sait jouer du point de vue ou de son ambiguïté (avec le recours, par exemple, au style indirect libre, autre héritage de Flaubert) ; il excelle à la moquerie subtile et utilise toutes les ressources de la gamme comique, de la farce triviale au léger persiflage en passant par l'ironie glacée. Il n'empêche que chez lui le grotesque s'allie parfaitement au tragique ; la distance que prend l'auteur accentue même la cruauté du conte qui fonctionne comme une machine infernale. Maupas

 

sant, c'est peut-être avant tout cette violence froide, qui ne répudie cependant pas les touches de poésie (dans la description des paysages normands), ou de mystère, les notations pittoresques ou malicieuses, et tourne résolument le dos au lyrisme. Cet art du drame concis, sans fioritures ni effets faciles, qui débouche sur la mort... ou le rire. Mais le rire chez Maupassant a souvent quelque chose d'inquiétant.

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