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névrose

Publié le 07/04/2015

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névrose n.f. (angl. Neurosis; allem. Neurose). Mode de défense contre la castration par fixation à un scénario oedipien.

MÉCANISMES ET CLASSIFICATION DES NÉVROSES SELON FREUD

Après avoir établi l'étiologie sexuelle des névroses, S. Freud a entrepris de les distinguer selon leurs aspects cliniques et leurs mécanismes. D'un côté, il situe la neurasthénie et la névrose d'an­goisse, dont les symptômes pro­viennent directement de l'excitation sexuelle sans intervention d'un méca­nisme psychique (la première étant liée à un mode de satisfaction sexuelle ina­déquat, la masturbation, et la seconde à l'absence de satisfaction) Qu'il est justifié de séparer de la neurasthénie un certain complexe symptomatique sous le nom de névrose d'angoisse«, 18951. Ces névroses, auxquelles il adjoindra ultérieurement l'hypocondrie, seront dites névroses actuelles.

D'un autre côté, il situe les névroses où intervient un mécanisme psychique de défense (le refoulement), qu'il nomme psychonévroses de défense. Le refoulement s'y exerce à l'égard de représentations d'ordre sexuel qui sont « inconciliables « avec le moi et déter­mine les symptômes névrotiques : dans l'hystérie, l'excitation, détachée de la représentation par le refoulement, est convertie dans le domaine corporel; dans les obsessions et la majorité des phobies, elle reste dans le domaine

psychique pour être déplacée sur d'autres représentations (les Psychoné­vroses de défense, 1894).

Freud observe ensuite qu'une repré­sentation sexuelle n'est refoulée que dans la mesure où elle a réveillé la trace mnésique d'une scène sexuelle infan­tile qui avait été traumatisante ; il pos­tule donc que cette scène agit après coup d'une manière inconsciente pour provoquer le refoulement (Nouvelles Remarques sur les psychonévroses de défense, 1896). La «disposition à la névrose« paraît alors dépendre d'évé­nements sexuels traumatisants réelle­ment survenus dans l'enfance (séduction en particulier). Freud reconnaîtra plus tard le caractère très inconstant de la séduction réelle mais maintiendra que la névrose prend son origine dans la première enfance. En effet, l'émergence des pulsions sexuelles constitue par elle-même un traumatisme, et le refoulement qui s'ensuit est à l'origine d'une névrose infantile. Celle-ci passe souvent ina­perçue, les symptômes, quand il y en a, s'atténuant à la période de latence mais resurgissant ultérieurement. La névrose de l'adulte ou de l'adolescent est donc une reviviscence de la névrose infantile.

La fixation (aux traumatismes, aux premières satisfactions sexuelles) apparaît ainsi comme un facteur important des névroses; toutefois, ce n'est pas un facteur suffisant car il est également retrouvé dans les perver­sions. Le facteur décisif est le conflit psychique : Freud a constamment rendu compte des névroses par l'exis­tence d'un conflit entre le moi et les Pulsions sexuelles. Conflit inévitable puisque les pulsions sexuelles sont réfractaires à toute éducation et ne visent qu'à obtenir le plaisir tandis que le moi, dominé par le souci de la sécurité, se trouve soumis aux nécessi­tés du monde réel ainsi qu'à la pression des parents et aux exigences de la civili‑

sation, qui lui imposent un idéal. Ce qui détermine la névrose est la «partia­lité du jeune moi en faveur du monde extérieur par rapport au monde inté­rieur«. Freud met ainsi en cause le caractère inachevé, « faible « du moi, qui le conduit à se détourner des pul­sions sexuelles et donc à les refouler au lieu de les contrôler.

En 1914, Freud divise les psycho­névroses en deux groupes, qu'il oppose : les névroses narcissiques (terme, tombé en désuétude, qui correspond aux psychoses) et les névroses de transfert (hystérie, névrose obsessionnelle et hystérie d'angoisse) [Pour introduire le narcissisme, 1914]. Dans les névroses narcissiques, la libido est investie sur le moi et n'est pas mobilisable par la cure analytique. Au contraire, dans les névroses de transfert, la libido, investie sur des objets fantasmatiques, est aisé­ment transférée sur le psychanalyste.

Quant aux névroses actuelles, elles s'opposent elles aussi aux névroses de transfert parce qu'elles n'ont pas leur origine dans un conflit infantile et n'ont pas de signification élucidable. Freud les tient pour «stériles« du point de vue analytique; mais il reconnaîtra cepen­dant que la cure peut exercer sur elles une action thérapeutique.

À diverses reprises, Freud s'est efforcé de préciser les mécanismes en jeu dans les névroses de transfert (le Refoulement, 1915; Introduction à la psy­chanalyse, 1916; Inhibition, symptôme, angoisse, 1926).11 travaille les questions suivantes: y a-t-il des modalités dif­férentes du refoulement dans les diverses névroses de transfert ? Sur quelles tendances libidinales porte - t-il? De quelle manière échoue-t-il, autrement dit: comment se forment les symptômes? Y a-t-il d'autres méca­nismes de défense en jeu? Quelle place tient la régression? Sans qu'il soit pos­sible de résumer le cheminement de sa pensée, on peut dire simplement qu'il établit que, dans l'hystérie, le refoule­

ment joue le rôle principal tandis que, dans la névrose obsessionnelle, inter­viennent d'autres mécanismes de défense qui sont l'annulation rétroac­tive et l'isolation.

L'OEDIPE, COMPLEXE NUCLÉAIRE DES NÉVROSES

Freud a situé l'oedipe comme le noyau de toute névrose de transfert: «La tâche du fils consiste à détacher de sa mère ses désirs libidinaux pour les reporter sur un objet réel étranger, à se réconci­lier avec le père s'il lui a gardé une certaine hostilité ou à s'émanciper de sa tyrannie lorsque, par réaction contre sa révolte enfantine, il est devenu son esclave soumis. Ces tâches s'imposent à tous et à chacun et il est à remarquer que leur accomplissement réussit rare­ment d'une façon idéale [...] Les névro­sés échouent totalement dans ces tâches, le fils restant toute sa vie courbé sous l'autorité du père et incapable de reporter sa libido sur un objet sexuel étranger. Tel peut être également, mutatis mutandis, le sort de la fille. C'est en ce sens que le complexe d'CEdipe peut être considéré comme le noyau des névroses« (Introduction à la psychanalyse).

Pourquoi cet attachement aux parents, en bonne partie inconscient, persiste-t-il ? Pourquoi l'cedipe n'est-il pas dépassé, surmonté? Parce que les revendications libidinales oedipiennes sont refoulées et se trouvent de ce fait pérennisées. Quant au mobile du refoulement, Freud va préciser qu'il s'agit de l'angoisse de castration, la question restant pour lui ouverte de ce qui perpétue cette angoisse (Inhibition, symptôme, angoisse).

Pour Lacan, l'angoisse de castration vient signaler que l'opération norma­tive qu'est la symbolisation de la cas­tration n'a pas été totalement réalisée. Elle se réalise par la voie de l'oedipe. La castration, c'est-à-dire la perte de l'ob­jet parfaitement satisfaisant et adapté,

est simplement déterminée par le lan­gage, et l'oedipe permet de la symboli­ser en l'attribuant à une exigence qu'aurait le Père (la fonction paternelle symbolique telle que nous l'imagi­nons) à l'égard de tous. La castration étant symbolisée, il persiste habituelle­ment une fixation au Père, laquelle est notre mode ordinaire de normalité (que désigne le terme de symptôme dans son acception lacanienne).

Mais, le symptôme n'étant pas la névrose, quels sont donc les facteurs qui rendent ]'oedipe névrotisant? On ne peut manquer d'évoquer l'influence des parents réels, mais avec quel critère l'évaluer? Lacan avance que, ce qui est pathogène, c'est la discordance entre ce que le sujet perçoit du père réel et la fonction paternelle symbolique (le Mythe individuel du névrosé, 1953). Le problème est qu'une telle discordance est inévitable et il est donc périlleux d'attribuer la névrose à ce que les parents ont fait ou n'ont pas fait subir à l'enfant. On retrouve là la question qui s'était posée à Freud dès ses débuts et à propos de laquelle il avait fini par conclure que, dans la névrose, c'est la «réalité psychique« qui importe.

En reprenant le terme de mythe indivi­duel, Ch. Melman insiste sur l'impor­tance de l'historisation dans la constitution de la névrose. Il fait valoir qu'il y a un refus de la situation commune : refus d'accepter la perte de l'objet, qui, dès lors, se trouve attribuée non pas à une exigence du père mais à une histoire estimée originale et exclu­sive (et qui, forcément, ne l'est pas: insuffisance de l'amour maternel, impuissance du père réel, trauma sexuel, naissance d'un frère ou d'une soeur, etc.). Là où le mythe oedipien, mythe collectif, ouvre une promesse, le mythe individuel du névrosé pérennise un dommage. Et, s'il y a bien là aussi fixation au père, c'est par la plainte, qui lui est adressée, de réparer ce dom­mage.

Ainsi, ce n'est pas seulement au père et à la mère que le névrosé reste atta­ché; c'est, plus largement, à une situa­tion originelle que son mythe individuel organise. C. Melman remarque que cette situation est struc­turée comme un scénario et que ce scénario va se répéter tout au long de la vie en imposant ses stéréotypies et son échec aux diverses circonstances qui se présenteront.

Cette prise dans un scénario est propre à la névrose. Dans la psychose, il n'y a pas de drame oedipien qui puisse être rejoué. Dans la phobie, qui est d'un temps antérieur à la névrose, il y a bien répétition d'un identique qui est l'élément phobogène, mais il ne s'inscrit pas dans un scénario. Quant à la perversion, elle est caractérisée par un montage immuable qui a pour but de donner accès à l'objet et qui n'ac­corde de place ni à une histoire ni à des personnages spécifiés.

Ainsi, «le réel mis en place dans l'en­fance va servir de modèle pour toutes les situations à venir, la vie se présente comme un rêve soumis à la loi du coeur et au mépris de la réalité forcément diverse, le conflit reste toujours celui d'autrefois« (Ch. Melman, Séminaire 1986-87, inédit). Le point fondamental, en raison de ses conséquences cli­niques, est que le scénario aboutisse à l'échec : «La manière dont le névrosé aborde le réel montre qu'il reproduit, inchangée, la situation de l'échec origi­naire.« Quelle signification donner à cette répétition de l'échec ? S'agit-il d'obtenir enfin une saisie parfaite de l'objet ou, au contraire, d'aboutir à ce que sa perte soit vraiment définitive ? On va voir que la position névrotique oscille entre ces deux visées opposées.

LE RAPPORT DU NÉVROSÉ À VAUTRE

Pour le névrosé, comme pour tout par-lêtre, le rapport fondamental se fait avec l'Autre. Le rapport narcissique est d'une grande prégnance dans la

névrose (et de ce fait les réactions para­noïaques n'y sont pas exceptionnelles) mais c'est du rapport à l'Autre que celle-ci prend sa structure.

Pour reprendre, avec d'autres termes, ce qui a été dit plus haut: l'cedipe, par le nom-du-père qu'il promeut, propose un pacte symbolique. Moyennant le renoncement à une certaine jouissance (celle de l'objet a), le sujet peut avoir un accès licite à la jouissance phallique. Les conditions du pacte sont bien éta­blies pour le futur névrosé (ce qui n'est pas le cas du psychotique), mais il ne va pas renoncer complètement à la jouis­sance de l'objet a (comme on le voit fort bien dans la névrose obsessionnelle, et aussi souvent dans l'hystérie); il ne va pas renoncer non plus à se prétendre non castré.

Comment se défend-il ? En imagina-risant le Nom-du-Père qui est un signi­fiant et en en faisant le Père idéal, celui qui, comme le dit Lacan, «fermerait les yeux sur les désirs «, n'exigerait pas la stricte application du pacte symbo­lique. Ainsi le névrosé donne existence à l'Autre qui, par définition, n'est qu'un lieu. Cette existence de l'Autre, le dis­positif de la cure, avec la position allon­gée et l'invisibilité du psychanalyste, la rend plus sensible : c'est à l'Autre, et non à la personne du psychanalyste, que s'adressent les appels et les inter­rogations de l'analysant.

Le transfert névrotique est cette croyance, très souvent inconsciente, dans la Père idéal qui est supposé accueillir la plainte, s'en émouvoir, y apporter remède, et qui est «supposé savoir« dans quelle voie le sujet devrait engager son désir. Le transfert est le moteur de la cure puisque l'interroga­tion du «sujet supposé savoir« permet à l'analysant d'acquérir des éléments de ce savoir, mais il est également l'obs­tacle à sa fin puisque celle-ci implique la destitution de ce Père idéal.

Le névrosé se voudrait à l'image de ce Père : sans manque, non castré; c'est

pourquoi Lacan dit qu'il a un moi «fort, un moi qui, de toute sa force, nie la castration qu'il a subie. Il sou­ligne ainsi que toute tentative pour ren­forcer le moi aggrave ses défenses et va dans le sens de la névrose. Malgré la contradiction avec le terme de moi « faible « employé par Freud, Lacan est en accord avec ce que Freud, à la fin de son oeuvre, formule sur le «roc de la castration« qui n'est rien d'autre que le refus d'admettre la castration (l'Analyse sans fin et l'analyse avec fin, 1937).

À se défendre de la castration, le névrosé continue à la redouter en tant que menace imaginaire, et, ne sachant jamais très bien à quoi il peut s'autori­ser — qu'il s'agisse de sa parole ou de sa jouissance —, il entretient ses limita­tions. Quand celles-ci sont trop intolé­rables, l'appel à l'indulgence de l'Autre peut, momentanément, se muer en un appel à parfaire sa castration, mais cela ne constitue nullement un progrès puisque aussitôt il s'imagine que c'est l'Autre qui demande sa castration, ce que, dès lors, il refuse. « Ce que le névrosé ne veut pas, et qu'il refuse avec acharnement jusqu'à la fin de l'analyse, c'est de sacrifier sa castration à la jouis­sance de l'Autre, en l'y laissant servir («Subversion du sujet et dialectique du désir dans l'inconscient freudien«, 1960; Écrits, 1966).

La psychanalyse, qui n'est pas au service de la morale ordinaire (d'inspi­ration oedipienne et prônant la loi paternelle), doit permettre au sujet de s'interroger aussi bien sur le choix de jouissance qu'il a fait que sur l'exis­tence de l'Autre.

HYSTÉRIE ET NÉVROSE OBSESSIONNELLE

Les deux principales névroses de trans­fert sont l'hystérie et la névrose obses­sionnelle. Freud a inclus parmi les névroses de transfert certaines phobies sous la dénomination d'hystérie d'an­goisse, les rapprochant donc de l'hysté­rie. Lacan, à la fin de son enseignement,

a donné à la phobie une autre place en la qualifiant de «plaque tournante« vers d'autres structures, névrotique ou perverse. Ch. Melman, on l'a vu, sépare radicalement la structure pho­bique de la névrose.

L'hystérie et la névrose obsession­nelle peuvent être schématiquement opposées sur un certain nombre de points:

  Le sexe: prédominance féminine dans l'hystérie et prédominance mas­culine encore plus marquée dans la névrose obsessionnelle. Si l'on situe la névrose, non par rapport au sexe anato­mique, mais par rapport à la position sexuée (« sexuation «), l'opposition devient encore plus nette : l'hystérie est propre à la position féminine et la névrose obsessionnelle à la position masculine. Dans le premier cas, la question du sexe est centrale (question inconsciente que Lacan formule : «suis-je homme ou femme?« ou encore : «qu'est-ce qu'une femme ?); dans le second, c'est celle de la dette symbolique impayée qui se formule dans les thèmes de l'existence et de la mort;

  la symptomatologie: volontiers somatique dans l'hystérie, purement mentale dans la névrose obsession­nelle;

  le mécanisme psychique en cause : refoulement dans l'hystérie, iso­lation et annulation rétroactive dans la névrose obsessionnelle;

  l'objet prééminent et la dialec­tique mise en oeuvre à l'égard de l'Autre: dans l'hystérie le sein qui sym­bolise la demande faite à l'Autre, dans la névrose obsessionnelle les fèces qui symbolisent la demande faite par l'Autre ;

  la condition déterminant l'angoisse : perte d'amour dans l'hysté­rie, angoisse devant le surmoi dans la névrose obsessionnelle;

  la subjectivité : l'hystérie est la manifestation de la subjectivité, la

névrose obsessionnelle la tentative de l'abolir. On conçoit que la symptoma­tologie puisse, dans le premier cas, être bruyante voire « théâtrale « et qu'elle soit longtemps dissimulée dans le second;

— le type d'obstacle mis à la réalisa­tion du désir: Lacan souligne le carac­tère « insatisfait « du désir de l'hystérique (« le désir ne s'y maintient que de l'insatisfaction qu'on y apporte en se dérobant comme objet«) et le caractère « impossible « que revêt le désir chez l'obsessionnel.

 

Cette série d'oppositions souligne l'« antipathie profonde« (Melman) entre les deux névroses. Toutefois, il faut préciser qu'hystérie et névrose obsessionnelle ne se situent pas sur le même plan, dans la mesure où le terme d'hystérie ne connote pas seulement une névrose, mais beaucoup plus large­ment un discours (—> discours), celui où la subjectivité vient en position maî­tresse et qui peut être emprunté par quiconque. Ceci rend compte, autre­ment que par des arguments géné­tiques, de la possibilité de traits hystériques dans une névrose obses­sionnelle.

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