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signifiant

Publié le 07/04/2015

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signifiant n.m. (angl. Signifier; allem. [der] Signifikant). Élément du discours, repérable au niveau conscient et inconscient, qui repré­sente le sujet et le détermine.

Depuis S. Freud, il est visible que la psychanalyse est une expérience de

parole, commandant un réexamen du champ du langage et de ses éléments constitutifs, les signifiants.

La cure des premières hystériques, conduite par J. Breuer ou S. Freud, fait déjà ressortir ce trait sans doute plus important même que la «prise de conscience «: la verbalisation. C'est de pouvoir dire ce qu'elle n'a jamais pu énoncer que l'hystérique guérit. C'est l'une d'entre elles, Anna O, qui a nommé le traitement « Talking Cure«, cure par la parole.. Cela est d'ailleurs éclairant pour l'étiologie de la névrose elle-même: ce qui est pathogène, dans l'hystérie, ce n'est pas le traumatisme (avoir vu, par exemple, un chien boire dans un verre, ce qui aurait suscité un dégoût intense), c'est de ne pas avoir pu verbaliser ce dégoût. Le symptôme vient à la place de cette verbalisation et disparaît lorsque le sujet a pu dire ce qui l'affectait.

L'évolution ultérieure de la psycha­nalyse accentue encore ce rôle de la parole et nécessite une attention plus précise au langage.

Dès lors que la méthode psychana­lytique, en effet, prend en compte l'ac­tualisation des conflits latents, plus encore que la remémoration directe de souvenirs pathogènes, elle conduit à s'intéresser particulièrement aux for­mations de l'inconscient*, où ces conflits se trouvent représentés. Or, ceux-ci sont réglés par des enchaîne­ments langagiers rigoureux. C'est le cas du lapsus, de l'oubli et, en général, de l'acte manqué, qui peut dire un désir de façon allusive, métaphorique ou méto­nymique. C'est le cas, bien plus encore, du mot d'esprit, qui arrive à faire entendre ce qui est prohibé en déjouant la censure. C'est enfin le cas du rêve, dont le récit se lit comme un texte complexe, sollicitant une attention très précise aux termes mêmes dont il se compose.

Il devait revenir à Lacan de systéma­tiser toute cette problématique en la recentrant sur le concept de signifiant.

Le terme de signifiant est emprunté à la linguistique. Chez Saussure, le signe linguistique est une entité psychique à deux faces : le signifié, ou concept, par exemple pour le mot arbre, l'idée d'arbre, et non le référent, l'arbre réel; et le signifiant, réalité psychique égale­ment puisqu'il s'agit non du son maté­riel que l'on produit en prononçant le mot arbre, mais de l'image acoustique de ce son, que l'on peut avoir dans la tête par exemple lorsqu'on se récite une poésie sans la dire à voix haute.

L'AUTONOMIE DU SIGNIFIANT

Lacan reprend, en le transformant, le concept saussurien du signifiant.

Ce que la psychanalyse accentue, d'abord, c'est l'autonomie du signi­fiant. Comme dans la linguistique, le signifiant, au sens psychanalytique, est détaché du référent mais également définissable hors de toute articulation, au moins dans un premier temps, au signifié. Le jeu sur les phonèmes, qui a une valeur tout à fait essentielle chez les enfants, montre l'importance qu'a le langage pour l'être humain, en deçà de toute intention de signifier. La psy­chose, de son côté, donne une autre occasion de saisir d'une façon directe ce qu'il peut en être d'un signifiant sans signification, d'un signifiant aséman­tique. La phrase que le psychotique entend, dans son hallucination, le vise, le concerne, s'impose à lui. Mais, faute de pouvoir être reliée à une autre, elle n'a pas, en fait, de véritable significa­tion.

Cependant, au-delà de ces réfé­rences particulières à l'enfance ou à la psychose, c'est pour tout sujet que la distinction entre signifiant et signifié doit être accentuée.

Ce que l'algorithme lacanien

S / Signifiant

s l signifié

permet d'écrire, c'est l'existence d'une barre frappant le sujet humain du fait de l'existence du langage et qui fait que, parlant, il ne sait pas ce qu'il dit.

Ainsi l'Homme aux rats, chez Freud, est-il brusquement pris de l'impulsion de maigrir. Mais cette impulsion reste incompréhensible tant que n'a pas été relevé que gros, dans la langue qu'il parle alors, l'allemand, se dit « dick «, et que Dick est aussi le nom d'un rival dont il voudrait se défaire. Maigrir, c'est tuer Dick, le rival. On voit la por­tée de ce type de remarque. À la limite, la possibilité même de l'inconscient est conditionnée par le fait qu'un signifiant peut insister dans le discours d'un sujet, sans pour autant être associé à la signification qui pourrait importer pour lui. «Le langage est la condition de l'inconscient. «

Le symptôme, de même, qui dit quelque chose d'une manière indi­recte, inaudible, peut être considéré comme le signifiant d'un signifié inac­cessible pour le sujet.

LA CHAÎNE SIGNIFIANTE

Si le signifiant est conçu comme auto­nome par rapport à la signification, il peut prendre dès lors une tout autre fonction que celle de signifier: celle de représenter le sujet et aussi de le déter­miner.

Prenons un exemple simple. Un homosexuel confesse volontiers son goût pour les jeunes hommes d'un cer­tain style, d'un certain âge, ceux que désigne au mieux pour lui l'expression «les p'tits soldats «. Or, l'analyse ramè­nera un souvenir d'entente très grande avec sa mère, souvenir cristallisé au­tour du rappel de ces après-midi d'été, où, à la suite de longues promenades, elle l'emmenait au café et comman­dait: «ah, pour lui, un p'tit soda «. Un tel souvenir n'implique pas, évidem­ment, que, selon la psychanalyse, tout s'éclaire, dans une vie, par le rappel de quelques mots entendus dans l'en­fance. Mais il contribue à caractériser la fonction du signifiant pour le sujet humain. La façon dont cet homme nomme l'objet de son désir, et donc en détermine les traits, ne fait que le ren‑

voyer à un signifiant entendu dans l'en­fance et qui insiste d'autant plus qu'il n'a pas été reconnu comme tel. Selon la formule de Lacan, «un signifiant, c'est ce qui représente le sujet pour un autre signifiant«. Il faut noter également ici que ce qui compte dans «soldat«, ce n'est pas sa signification, en rapport par exemple avec la vie militaire, mais sa signifiance, c'est-à-dire ce qui est direc­tement produit par l'image acoustique du mot lui-même.

On aura, par ailleurs, déjà relevé, à travers l'exemple relatif à Dick, la place du jeu de mot dans la fonction du signi­fiant. Cette place est permise par le fait que ce qui représente, c'est non le mot, mais précisément le signifiant, c'est-à-dire une séquence acoustique qui peut prendre des sens différents. L'oeuvre de Freud fournit, à profusion, les exem­ples les plus divers. Ainsi en est-il de cette hystérique, traitée dans les pre­miers temps de la psychanalyse, et qui souffrait d'une douleur en vrille au front, douleur qui disparut le jour où elle put rappeler le souvenir de sa grand-mère, fort méfiante, qui la regar­dait d'un regard « perçant «. Ici, les choses resteraient incompréhensibles hors de la référence au double sens du mot « perçant «, sens « littéral « et sens « figuré «.

Il est facile, par ailleurs, de concevoir que ces signifiants, qui s'associent et se répètent hors de tout contrôle du moi, qui s'ordonnent selon des chaînes rigoureusement déterminées, comme la grammaire détermine d'ordre de la phrase, se révèlent, en même temps, tout à fait contraignants pour le sujet humain. Ici, la question du signifiant renvoie à celle de la répétition: retour réglé d'expressions, de séquences pho­nétiques, de simples lettres qui scan­dent la vie du sujet, quitte à changer de sens à chacune de leurs occurrences, qui insistent donc en dehors de toute signification définie.

Un des exemples les plus connus reste encore, sur ce point, celui de

l'Homme aux loups. Freud, puis nom­bre d'analystes, qui reprirent le récit de sa cure, ont souligné l'insistance d'un même symbole, représentant une lettre (V majuscule) ou un chiffre (cinq romain). Sous cette dernière forme, il renvoie à des accès de dépression ou de fièvre qu'il avait dans son enfance à la cinquième heure de l'après-midi, mais aussi à l'heure d'une scène primitive (il aurait vu ses parents faire l'amour à un moment où l'aiguille de l'horloge aurait indiqué le V). Sous forme de lettre (V ou W), il revient régulièrement dans l'initiale de noms propres de per­sonnages divers avec lesquels il fut régulièrement en conflit; ou, encore, il symbolise la castration, dans un rêve où on arrache ses ailes à une guêpe (Wespe, mais il dit-« espe «, ou encore S.P., ses initiales). Sous forme gra­phique, enfin, le V figure, renversé, les oreilles dressées des loups qui désignent pour toujours, à la postérité, ce célèbre patient de Freud.

PORTÉE ET umrrEs DES RÉFÉRENCES À LA LINGUISTIQUE

Le terme de signifiant se trouve donc essentiel à l'élaboration psychanaly­tique. On peut, dès lors, se demander quels traits il y conserve de son origine linguistique.

Les références, explicites ou impli­cites, restent nombreuses chez Lacan. Elles concernent surtout la dimension structurale de langage, introduite par Saussure; mais elles vont sans doute bien au-delà: il convient en particulier de noter, à l'époque où la linguistique pragmatique a pris une place non négli­geable dans les sciences humaines, que la conception lacanienne du signifiant prend en compte, dès le départ, la dimension d'acte qu'il y a dans le lan­gage. Le signifiant n'a pas seulement un effet de sens. Il commande ou il pacifie, il endort ou il réveille.

Le plus important reste peut-être, plus que la référence à la linguistique,

celle que nous pouvons faire à la poé­tique. Comme le poète, l'analyste est attentif aux connotations multiples du signifiant, qui ouvrent la possibilité même de l'interprétation*.

 

D'ailleurs, au bout du compte, le signifiant est-il encore assimilable à l'image acoustique ? Ce n'est pas en tout cas chez Lacan sa définition. Certes, en tant qu'on l'oppose à la signification, le signifiant est le plus souvent identifié à une séquence pho­nématique. Mais il peut aussi, parfois, en être tout autrement. Ainsi Lacan fait-il apparaître comme signifiant, dans la première scène d'Athalie, «la crainte de Dieu «. Cette expression n'est pas à prendre au niveau de la signification, au moins apparente, puisque «ce qui s'appelle la crainte de Dieu [...] est le contraire d'une crainte «. Mais si elle est désignée comme signi­fiant, c'est avant tout parce que, plus que d'autres termes, elle a un effet sur la signification et sur un des personnages de la pièce, Abner, qu'elle commande et entraîne. Ce dernier exemple mar­que bien comment c'est à partir de leur effet de sens, et surtout du rôle qu'ils jouent dans une économie subjective, que des éléments du discours peuvent avoir valeur de signifiants.

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