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Albert COHEN - Belle du seigneur - début

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

Descendu de cheval, il allait le long des noisetiers et des églantiers, suivi des deux chevaux que le valet d´écurie tenait par les rênes, allait dans les craquements du silence, torse nu sous le soleil de midi, allait et souriait, étrange et princier, sûr d´une victoire. A deux reprises, hier et avant-hier, il avait été lâche et il n´avait pas osé. Aujourd´hui, en ce premier jour de mai, il oserait et elle l´aimerait. Dans la forêt aux éclats dispersés de soleil, immobile forêt d´antique effroi, il allait le long des enchevêtrements, beau et non moins noble que son ancêtre Aaron, frère de Moïse, allait, soudain riant et le plus fou des fils de l´homme, riant d´insigne jeunesse et amour, soudain arrachant une fleur et la mordant, soudain dansant, haut seigneur aux longues bottes, dansant et riant au soleil aveuglant entre les branches, avec grâce dansant, suivi des deux raisonnables bêtes, d´amour et de victoire dansant tandis que ses sujets et créatures de la forêt s´affairaient irresponsablement, mignons lézards vivant leur vie sous les ombrelles feuilletées des grands champignons, mouches dorées traçant des figures géométriques, araignées surgies des touffes de bruyère rose et surveillant des charançons aux trompes préhistoriques, fourmis se tâtant réciproquement et échangeant des signes de passe puis retournant à leurs solitaires activités, pics ambulants auscultant, crapauds esseulés clamant leur nostalgie, timides grillons tintant, criantes chouettes étrangement réveillées.

« Son visage et ses actions rayonnent également de cette joie triomphante.

Il marche seul devant les chevaux etl'écuyer, en assumant avec autorité la fonction de guide.

Les deux paragraphes décrivent une marche continue,obstinée, heureuse, que rien ne semble devoir entraver.

Le verbe « il allait » scande le début des deux paragraphes(l.

1, 3, 4, 9, 10).

Les pas s'achèvent d'ailleurs en danse (« dansant », quatre fois, l.

13, 14, 15).

Enfin il sourit (l.4) puis rit (« riant », trois fois, l.

11 et 14). La structure des phrases contribue à exprimer cette allégresse, par une cascade de verbes à l'imparfait ou auparticipe présent, qui se répètent et s'entremêlent dans un rythme vif, accentué par l'absence fréquente du sujet.Ces verbes sont juxtaposés ou simplement coordonnés par « et », ce qui allège cette longue phrase, tandis que laplace changeante des verbes, tantôt précédés et tantôt suivis de compléments, introduit une variété qui atténuel'effet répétitif.

Une insistante assonance en [à], portée par les participes passés mais aussi par des noms communs(« enchevêtrements », 1.

9 ; « branches », 1.

14), reproduit le mouvement entêté de la danse.

Une allitération en[s] exprime la légèreté de ce mouvement continu : « avec grâce dansant » (l.

14). Le cadre s'harmonise parfaitement avec le personnage, qu'il s'agisse du moment, du paysage ou des êtres. La scène se déroule à un moment privilégié, à midi, au mois de mai, donc au moment le plus intense du printemps,saison du renouveau de la nature et du désir intense de vivre et d'aimer.

Le soleil, omniprésent, symbolise la victoireet la vie : « sous le soleil de midi » (l.

3-4), « dans la forêt aux éclats dispersés de soleil » (l.

8), « au soleilaveuglant entre les branches » (l.

14).

Dans la fin du texte, l'adjectif « dorées » (l.

18) et la présence d'animauxaimant la chaleur (les grillons et les lézards, 1.

24 et 17) rappellent également ce thème.

L'astre n'est cependantpas agressif malgré sa force, puisque la fraîcheur de la forêt atténue sa chaleur, tandis que les branches brisent sesrayons. L'espace décrit est aussi significatif.

Une végétation luxuriante entoure le héros, avec une « immobile forêt d'antiqueeffroi » qui rappelle les bois magiques et peuplés de dragons des légendes, comme la forêt de Brocéliande (on noteral'allitération en [f] et l'assonance en [i]).

Mais les « noisetiers et les églantiers » (l.

1-2), la « fleur » (l.

12), « lesombrelles feuilletées des grands champignons » (l.

17-18), « des touffes de bruyère rose » (l.

19-20) remplacent lasolennité de la vaste forêt immobile par une série de gros plans sur une flore épanouie et riante, regorgeant denourriture (les noisettes, les champignons) et protectrice (le chapeau des grands champignons abrite les lézards). A cette richesse de la flore s'ajoute le foisonnement d'une faune champêtre et rassurante.

Après le terme génériquede « créatures » (l.

16) apparaissent en une longue énumération, chacun avec ses attributs distinctifs, de petitsanimaux très mobiles : lézards, araignées, charançons, fourmis, pics, crapauds, grillons, chouettes.

De nombreuxverbes d'action, au participe présent, évoquent une activité intense et ininterrompue qui prolonge celle du héros : «vivant », « traçant », « surveillant », « se tâtant », « échangeant », « retournant », « auscultant », « clamant », «tintant », « criantes ».

On retrouve ici l'assonance en [a] du début de cette longue et unique phrase du secondparagraphe, et tous les thèmes qui concernaient l'allégresse de Solal.

Le mouvement déborde des participesprésents pour envahir d'autres mots (« s'affairaient », « surgies », « activités », « réveillées »).

La danse du jeunehomme, déjà reprise dans les enchevêtrements de branches qui font bouger les taches de soleil, saisit les mouchesdorées « traçant des figures géométriques » (l.

18-19).

Le rire de Solal trouve un écho dans « les craquements dusilence » de la nature (l.

3) : le bruit de bec des piverts sur les troncs, les coassements des crapauds, lestintements des grillons et les cris des chouettes forment un orchestre symphonique enfiévré.

L'assonance en [à] quifait l'unité du passage est relayée par une allitération en [t] : « timides grillons tintant, criantes chouettesétrangement réveillée% ». L'amour n'est d'ailleurs pas ignoré de ces menues créatures : les fourmis échangent des « signes de passe » et desattouchements complices (l.

21-22) ; « les crapauds esseulés » clament leur « nostalgie » d'une amante perdue ounon encore trouvée (l.

23) ; les grillons sont « timides » comme l'était hier et avant-hier le héros.

La beauté de Solalressurgit également dans l'aspect des « mignons » lézards (l.

17). La généreuse nature printanière épouse donc les pensées et les mouvements allègres de l'amoureux, qui est sonsouverain, comme le suggère le lien de prince à sujets évoqué au centre de la phrase. Cette harmonie est accentuée mais aussi curieusement tournée en dérision par un mélange des genres et des tonsqui fait la plus grande originalité de ce texte, à la fois épopée biblique, roman de chevalerie, conte de fées etpeinture amusée de l'exaltation amoureuse. Les échos de la Bible et du roman courtois médiéval se mêlent dans ce texte, unissant ainsi deux sources majeuresde l'inspiration occidentale.

Pour qui a lu le Cantique des Cantiques, long poème d'amour où l'homme et la femme s'interpellent au milieu de la nature en exprimant leur tendresse et leur admiration réciproques par des métaphoresempruntées à la faune et la flore de Palestine, les réminiscences sont ici nombreuses et claires.

La jeune fille célèbrela légèreté du garçon qui court vers elle, comme Solal marchant et dansant à la pensée de sa bien-aimée : « Sautant par-dessus les monts, bondissant par-dessus les collines, mon amoureux est comparable à une gazelle.

» En outre, le rythme du verset biblique, fait de longues phrases composées d'éléments courts et volontiers répétitifs,n'est pas sans avoir inspiré l'auteur dans cette page de poésie en prose.

Et l'allusion à Moïse et Aaron, ancêtres de. »

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