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Album de vers anciens de Paul Valéry

Publié le 06/04/2011

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  L'Album de vers anciens fut publié en 1920, mais les œuvres qui le composent sont fort antérieures : elles ont été écrites de 1890 à 1892, à Montpellier et publiées dans diverses revues, dont La Conque de Pierre Louys. Ces 20 poèmes font revivre Valéry jeune homme dans toute sa ferveur mallarméenne, aux côtés j de ses deux amis, Pierre Louys et André Gide. Comme dans toute œuvre de début, j les influences extérieures sont prépondérantes; toutefois, sous la mode passagère et l'habit d'emprunt, apparaissent des caractères originaux et permanents.  Quels sont les courants poétiques vers 1890? Les grands poètes romantiques sont morts depuis longtemps. Victor Hugo, sans doute, a survécu à sa génération jusqu'en 1885, manifestant jusqu'à la fin une étonnante puissance de renouvellement, mais ses dernières œuvres, comme L'Ane, Dieu, La Fin de Satan, restent inconnues du public, et, naturellement, les jeunes poètes, tout en l'admirant, cherchent ailleurs leurs modèles.

« Anne, dans lequel Paul Valéry évoque une dormeuse nue, nonchalante et superbe : Enfin désemparée et libre d'être fraîche,La dormeuse déserte aux touffes de couleurFlotte sur son lit blême, et d'une lèvre sèche,Tette dans la ténèbre un souffle amer de fleur Tous les procédés chers à Baudelaire sont utilisés dans cette pièce : une sensualité ardente et hardie est suggéréepar des effets de contraste et des comparaisons inattendues entre la dormeuse et une île flottante parée non parune végétation exotique, mais par ses touffes de couleur, tous les sens collaborent à l'effet poétique et transposentleurs épithètes habituelles, les mots sont à la fois précis et insolites, le concret- s'associant de façon inattendue àl'abstrait, comme ce verbe téter rapproché du singulier inusité la ténèbre et de la personnification précieuse : lesouffle amer de fleur. Mallarmé : Parmi les vivants, l'homme le plus vénéré et le poète le plus écouté par Valéry de 1890 à 1892 estmanifestement Mallarmé.

Un sonnet de l'Album de vers anciens est consacré à Valvins, retraite élue par Mallarmé.Dans un style et avec une syntaxe si exactement imités qu'ils semblent un pastiche et presque une parodie, Valéryévoque son Maître rêvant Dans la fluide yole à jamais littéraire, livré comme une proie fragile... Aux cris multipliés de tout le brut azur, mais sauvé par L'ombre de quelque page éparse d'aucun livre... Ce sonnet est loin d'être une exception, ou l'expression d'une admiration transitoire : après avoir rompu avec lapoésie et renoncé à l'idéal visé par Mallarmé, Valéry ne cesse pas de fréquenter les « mardis- » de l'écrivain, et lanouvelle de sa mort subite est pour lui une catastrophe : Ce me fut un de ces coups de foudre qui frappent d'abordau plus profond et qui abolissent la force même de se parler (Variété II), et plus loin : Mallarmé figurait dans monsystème intime le personnage de l'art savant et le suprême état de l'ambition littéraire la plus relevée.

Je m'étais faitde son esprit une profonde compagnie...

(ibid.

p.

203).

Valéry eut l'insigne honneur d'entendre l'un des premiersMallarmé lui lire son œuvre la plus hermétique, Jamais un coup de dés n'abolit le hasard, et le bonheur de lefréquenter régulièrement à Valvins. Mais le culte du poète avait commencé bien avant la connaissance de l'homme et l'influence subie se niani-festaitdans l'attitude devant la vie, dans la doctrine littéraire et dans les effets d'art.

Le professeur Mondor cite dans saVie de Mallarmé (tome II, p.

607) une lettre du 18 avril 1891, toute débordante d'enthousiasme lucide, dans laquellele jeune poète expose ce qu'il attend de son Maître et comment il conçoit la poésie.

Aucune page n'éclaire pluslumineusement l'Album que cette lettre juvénile : Cher Maître, pour une seconde fois, je viens solliciter de vous un conseil et connaître si quelques rêveriesesthétiques accumulées cet hiver en province lointaine n'étaient aventureuses et illusoires.

Un poème publié dans LaConque sous le titre Narcisse parle les a quelque peu indiquées, mais l'expérience comme souvent s'est jouée de lathéorie, et me laisse immobile et perplexe. La poésie m'apparaît comme une explication du Monde, délicate et belle, contenue dans une musique singulière etcontinuelle... Considéré en sa splendeur nue et magique, le mot s'élève à la puissance élémentale d'une note, d'une couleur, d'unclaveau de voûte. Le vers se manifeste comme un accord permettant l'introduction des deux modes, où l'épithète mystérieuse etsacrée, miroir des souterraines suggestions, est comme un accompagnement prononcé en sourdine... Une dévotion toute particulière à Edgar Poe me conduit alors à donner pour royaume au poète l'analogie.

Il précisel'écho mystérieux des choses et leur secrète harmonie, aussi réelle, aussi certaine qu'un rapport mathématique àtous esprits artistes, c'est-à-dire, et comme il sied, idéalistes violents...

Alors s'impose la conception suprême d'unehaute symphonie unissant le monde qui nous entoure, au monde qui nous hante, construite selon une rigoureusearchitectonique, arrêtant des types simplifiés sur fond d'or et d'azur, et libérant le poète du pesant secours desbanales philosophies et des fausses tendresses et des descriptions inanimées... Mallarmé dut être touché par ce résumé si complet et si perspicace de sa propre doctrine : la poésie conçue commeun mode de connaissance du monde, le mot rapproché de la note, le vers assimilé à un accord musical, l'analogieservant de passage entre le monde intérieur du poète et le monde extérieur, le poème composé savamment, selonses lois propres et pour ses seules fins, comme une symphonie, n'était-ce pas l'ambition de Mallarmé ? NARCISSE PARLE.. »

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