Carlo Goldoni: Locandiera
Publié le 09/04/2013
Extrait du document
Né à Venise en 1707 et mort à Paris en 1793, Carlo Goldoni fut un rénovateur du Théâtre-Italien, désireux de rompre avec la tradition de la commedia dell'arte et de privilégier un jeu plus naturel, fondé sur l'observation directe. Accusé de trahison par Gozzi, il réussit cependant à faire monter seize de ses pièces au cours de la seule saison 1749-1750, mais, lassé des attaques dont il était la cible, il s'installa à Paris.
«
La pièce fut donnée pour la première fois le
26 décembre 1752
avec,
dan s le rôle
principal , Coraline, une
soubrette que Goldoni
choisit à la place de Madame Medebac, la
f emrne du directeur du
théâtre, habituée à être
la vedette.
« Le changement qui s'est opéré en moi' n'a rien à voir avec la lune ! C'est un prodige qui est
dû à votre seule beauté,
à votre seule grâce !
»
EXTRAITS --------
Mirandoline, irritée du mépris
que le chevalier de Ripafratta a
pour
les femmes, décide de le conquérir
MIRANDOLINE, seule.
- Avec toutes ses
richesses, avec tous ses cadeaux, il n 'arri
vera jamais
à me rendre amoureuse de lui ;
et le marquis, avec sa ridicule protection, y
arrivera
beaucoup moins encore.
Certes,
si
je devais m'attacher à l'un des deux, ce
serait
à celui qui dépense le plus.
Mais je ne
me soucie ni de l'un ni de l'autre.
Je me suis
mis en tête de rendre le chevalier de
Ripafratta amoureux de moi, et
je ne renon
cerais
pas à ce plaisir pour un bijou deux
fois plus grand que celui-ci.
Je vais
m'y em
ployer de toutes mes forces ;
je ne sais pas si je jouerai
mon rôle aussi adroitement
que ces deux comédiennes,
mais je vais faire de mon
mieux! Pendant que le comte
et le marquis
s'occupent de
leurs deux nobles dames,
je
vais avoir la paix et pouvoir
tout à mon aise m'occuper
du chevalier.
Est-il possible
qu'il ne cède pas ? Quel est
l'homme capable de résister
à une
femme s'il laisse à
celle-ci le temps
d'user de
tout
son art ? Qui prend la
fuite n'a pas à craindre
d'être vaincu, mais qui s 'ar
rête
pour écouter et se com
plaît à écouter ne peut, quoi
qu'il en ait, que succomber
tôt ou tard.
(Elle sort.)
Le chevalier est amoureux.
Reste
à le lui faire avouer
MIRANDOLINE.
- Monsieur le Chevalier
amoureux de moi ? Il le nie, et en le niant
devant moi, il m'humilie
et me fait connaître sa
fermeté et ma faiblesse.
Oui, la vérité
m'oblige à dire que j'ai tenté de
rendre
Monsieur le Chevalier amoureux de moi ,
mais
je ne suis arrivée à rien.
N'est-ce pas,
Monsieur
le Chevalier ?
LE CHEVALIER.
- Tout cela est
ridicule, et ...
LE COMTE.
-Voyez-le, Miran
doline !
(Il se trouble.)
LE MARQUIS.
- Il n'a pas le
courage de nier.
LE CHEVALIER, furieux.
-Vous, Marquis, taisez
vous ! Vous ne savez pas ce
que vous dites !
LE MARQUIS, peiné.
- Che
valier! C'est toujours à moi
que vous
vous en prenez !
(.
..
)
MIRANDOLINE, avec autorité.
-Messieurs, le signe d'amour
le plus certain,
c'est la jalou
sie,
et il est bien évident que
quelqu'un qui n'éprouve
pas
de jalousie est quelqu'un qui
n'aime pas.
Si Monsieur le
Chevalier m'aimait, il ne pour
rait souffrir que
je fusse à un autre, mais il
va
le souffrir et vous verrez ...
LE CHEVALIER.
-A qui voule z-vous être ?
MIRANDOLINE.
- A celui qui a toujours
occupé mon cœur !
LE MARQUIS.
- C'est moi !
MIRANDOLINE.
- Non, Monsieur le Marquis.
LE COMTE.
- C'est moi, n'est-ce pas,
Mirandoline
?
MIRANDOLINE.
- Non, Monsieur le Comte ;
ce
n'est pas vous non plus.
FABRICE.
- C'est sans doute de moi que vous
voule z parler, Madame
?
MIRANDOLINE.
- Oui, cher Fabrice, et c'est
à toi qu'en présence de ces gentilshommes,
je veux accorder ma main.
« MIRANDOLINE.
- Du reste, si j'avais épousé
tous ceux qui me l'ont demandé, j'aurais plus
de maris que le Grand Turc n'a de femmes!»
NOTES DE L'ÉDITEUR
Goldoni a ôté les masques de la commedia
dell'arte pour donner toute la cohérence et
le naturel humains
à ses personnages.
De
même, il les situe toujours dans un décor
quotidien.
Aussi est-il aux frontières de la
commedia dell'arte et de la comédie
bourgeoise de caractère.
C'est à la seconde
qu'il s'adonne dans
La Locandiera,
cherchant une réhabilitation du théâtre par
le vrai.
Il n'y sacrifie pas pour autant le
rythme, l'entrain, la gaieté, la joie de vivre
de ses premières comédies.
Il faudra attendre
le
x1xe siècle pour que la pièce
obtienne le succès qu'elle mérite.
« Contrairement à Plaute et à Molière,
Goldoni ne part pas de la vie pour arriver
au
théâtre : il suit le chemin inverse.
»
1 co ll.
Yiollet 2, 3, 4 grav ures de P .
A.
Nove lli, V enise , 1761-1764 / B.N .
« Goldoni évite le rire grossier et redonne
de la dignité
au comique, néglige les cas
exceptionnels et représente le quotidien.
(
...
) Il fait tout cela avec un art souple, dans
le cadre d'une tradition théâtrale dont il est
maître et qu'il utilise avec une extrême
liberté, se créant un langage qui n'est
ni
littéraire ni parlé, qui a le rythme théâtral de
la commedia dell'arte, mais se plie
à toutes
les nuances de la psychologie.
»
Sandra d' Arnica.
Sandra
d' Arnica.
Mirandoline est le personnage le plus
féminin de Goldoni.
Douée de bon sens,
irrespectueuse malgré tout, elle représente
l'éternelle victoire de la femme subtile sur
le monde masculin.
En elle revivent
l' Angélique du Roland furieux de l' Arioste
et la Célimène du
Misanthrope de Molière .
GOLDO 103.
»
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