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DÉRACINÉS (les), de Maurice Barrés

Publié le 10/03/2019

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DÉRACINÉS (les), roman de Maurice Barrés (1897), premier volet du triptyque Roman de l'énergie nationale (dont les deux autres seront l'Appel au soldat en 1900 et Leurs figures en 1902). Le titre reprend et relance une idée venue de loin : dès la fin du xvme s., Louis Sébastien Mercier, dans son Tableau de Paris, attirait l'attention sur l'aspect négatif du mouvement qui conduisait vers « la Ville » les jeunes gens de province, et Balzac avait fortement repris le thème dans ses Illusions perdues : la montée vers Paris et la « civilisation » démoralisait, au lieu de promouvoir. C'était l'inversion du grand thème humaniste, par exemple, chez Rabelais, de l'envoi du Prince à éduquer au « pays de sapience ». La peinture réaliste de Paris et de la « civilisation » qu'il représente (pouvoir de l'argent, nouvelles réalités, dilemme de la dégradation de soi ou du refus de soi) se trouvait derrière cette prodigieuse mutation. Chez Balzac toutefois, il existait une légitimité au départ : la province était un heu de sommeil, de sous-vie, jamais une source d'authenticité. C'est ici que Barrés intervient : dans le mouvement province-Paris, il ne voit et ne veut plus voir que la manipulation et la perversion d'une « nature » par une démocratie dévoyée. Et l'agent premier de cette

 

manipulation, c'est l'école, et l'idéologie positiviste qu'elle répand. Le groupe de lycéens de Nancy, un moment fasciné par son professeur de philosophie, Paul Bouteiller, qui le fait passer des simples rudiments (le latin) aux « idées », est promis à la déchéance, à la destruction. Au départ, la République, Victor Hugo, tout le panthéon du progrès (et sans doute la protection de Gambetta), mais « l'Université est un puissant instrument d'État pour former des cerveaux... À toutes époques elle eut pour tâche de décorer l'ordre établi... On peut se croire, à dix-sept ans, révolté contre ses maîtres : on n'échappe pas à la vision qu'ils nous proposent des hommes et des circonstances ». Pour ce faire, il faut arracher aux jeunes gens leurs origines, leur nature ; il faut que ces Lorrains cessent de l'être, qu'ils deviennent des hommes abstraits. Sturel et ses camarades suivent follement à Paris leur maître Bouteiller, qui leur a enseigné le kantisme et l'ambition. Ils s'y détruiront, soit par l'intégration au système, soit par la catastrophe et l'erreur individuelle. C'est que, coupés de leur Lorraine, ils seront devenus des pions dans un système dont les règles véritables leur échappent. Mais là où Balzac maintenait la validité du désir, Barrés ne voit plus que sa mort. Deux réenracinements sont seuls désormais possibles : politique, avec le boulangisme et le nationalisme antirépublicain ; littéraire, avec le « culte du moi » que l'on cherchera, comme on peut, à raccorder à l'entreprise temporelle. Dans ce roman, la thématique réactionnaire met parfois Barrés tout près de Bourget (l'Étape). Mais l'exigence profonde, du moins la protestation contre le système d'inculcation, permet un redépart malgré tout poétique vers quelque chose où ne saurait se reconnaître l'Ordre.

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