El Criticon
Publié le 12/04/2013
Extrait du document
La puissante forme narrative du Criticon inspira notamment : La Rochefoucauld, Schopenhauer, Nietzsche, dans le prologue de Zarathoustra, Voltaire (Candide), Daniel Defoe (Robinson Crusoé), La Bruyère (Les Caractères) et Swift (Les Voyages de Gulliver). Gracian, né en 1601 et qui était entré dans la Compagnie de Jésus en 1619, publiait sous un faux prénom mais ne trompait personne. Désapprouvé par ses supérieurs pour la publication d'El Criticon, il dut, en 1658, s'exiler dans un monastère. Il ne survécut pas à cette privation de liberté.
«
Au début de la deuxième partie
du voyage, les compagnons s'adonnent
à un éloge des livres
Les livres sont les bijoux précieux de tout
homme cultivé.
Une bibliothèque choisie,
c'est comme un jardin en avril, un Aranjuez
en
mai ! Quel festin plus délicieux pour
un homme de goût ! Là l'intelligence se
récrée, la mémoire
s'enrichit, la volonté
se fortifie, le cœur se dilate, et l'âme entière
est satisfaite.
Pour flatter ou séduire un
homme
d'esprit , il n'est rien de tel qu'un
livre nouveau chaque jour.
Les pyramides
d'Égypte, les tours de Babylone,
le Colisée
de
Rome , les palais dorés de Néron sont
tombés, ou en ruines ; toutes les merveilles
du monde ont disparu .
Seuls subsistent les
immortels écrits des sages qui florissaient
alors ,
et les hommes illustres qu'ils ont
célébrés.
Ô le grand plaisir que la lecture!
Elle
fait l'occ upation de tous les gens de
mérite, et, s'ils ne sont pas encore tels, ils
le deviennent
par elle.
La richesse vaut
peu sans le savoir ; et, d'ordinaire, il y a
discorde entre elle et lui ; ceux qui savent le
plus sont ceux qui possèdent le moins .
Dans la troisième partie du voyage,
les deux hommes rencontrent
un danseur de corde
Nos deux pèlerins (.
..
) virent apparaître,
dansant et sautant sur une corde raide, un
être singulier qui ressemblait à un oiseau
pour la légèreté et à un fou pour la témé
rité.(.
..
)
- Quelle folle témérité ! s'écria Andrenio ;
sans doute, ces gens-là
commencent par
perdre la raison pour perdre ensuite la
crainte ?
- Ce danseur t'épouvante ? lui dit
le cour
tisan.
- Mais qui pourrait m'épouvanter davan
tage?
-Toi-même .
-Moi, et pourquoi?
-Parce que ceci n'est qu'un enfantillage
auprès des dangers que tu cours.
Sais-tu où
tu mets les pieds ? Sais-tu où tu marches ?
- Ce que
je sais bien, répliqua Andrenio,
c'est que, pour rien au monde, je ne
voudrais marcher
sur cette corde, tandis
que cet individu, pour un misérable profit,
s'expose à un si grand risque.
- Vraiment !
fit le courtisan.
Mais si tu
voyais quelqu'un marcher, non plus sur une
corde, mais d'une
façon plus périlleuse
encore, qu'éprouverais-tu, et que dirais-tu?
-Moi, et pourquoi?
-Dis-moi, ne marches-tu pas à chaque
heure, à chaque instant, sur
le fil de la vie,
beaucoup moins gros et moins
ferme que
cette corde, mais aussi ténu, sinon plus, que
celui d'une araignée? Mieux encore, tu vas
sautant et dansant
sur ce fil.
Sur lui tu
manges, tu dors, tu
te reposes, sans souci ni
frayeur.
Éditions Rencontre, Lausanne, 1962
Dédicace au roi dans la
même édition du Criticon
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NOTES DE L'ÉDITEUR
« Finalement Gracian arrive à nous décrire
la construction de
l'un de ces hommes :
" Les hommes de maintenant ont le cœur en
liège, les entrailles de pierre , la cervelle en
coton ; leur sang est de l'eau, leur poitrine
de la cire, leurs nerfs de l'étoupe, leurs
pieds de plomb ou de plume, leurs mains
sont de la poix, leur langue de la bourre,
leurs yeux du papier.
" On le voit, notre
ancien fabricant de Héros
n'est plus que constructeur
de marionnettes, de
mannequins de carnaval pour un
jeu de
massacre ou un embrasement final.
»
B.
Pellegrin, Éthique et Esthétique du
baroque, Actes Sud, 1985.
de
son renversement.
Son style est
à la hauteur de sa morale subtile :
"Démystificateur impitoyable d'une société
d'illusions, Gracian dresse son œuvre
comme un gigantesque retable baroque
chargé de signes, d'emblèmes et
1 Ed imédia 2, 3 B.N.
« Effectivement la différence est grande
entre le
Critic6n et les œuvres précédentes.
C 'est que la vie, elle-même, de Gracian est
faite de rebondissements contradictoires.
En
s'avançant
dans" l'univers démasqué de la
circonstance
", il suggère aussi la possibilité de
symboles ( ...
)".Le Critic6n est un
"labyrinthe~ où l'homme doit, par sa seule
intelligence, décoder le dédale qui mène au
tabernacle de la personne
".
» Charles
Marcilly,
Encyclopœdia Universalis, 1989.
GRACIAN02.
»
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