FÉLIBRIGE (résumé & analyse)
Publié le 05/12/2018
Extrait du document
«
(«Almanach
provençal»), fera beaucoup pour l'unité
d'action des premiers temps, mais c'est surtout la per
sonnalité irradiante et lucide de Mistral qui donnera au
félibrige sa cohérence, son développement et son
audience internationale.
Pendant les soixante années qui séparent la création
�u félibrige de la mort du poète, il est partout présent.
Ecrivain, tout d'abord, il est le premier à utiliser pour
atteindre son but l'« influx de la divine poésie», mais
c'est lui aussi qui donnera à la lexicographie provençale
son premier monument (Lou Tresor d6u Felibrige,
1886), lui qui, au fil de ses discours (Discours e dicho),
de ses chroniques (Prose d'almanach, Nouvelle Prose
d'almanach, Dernière Prose d'almanach) et de ses let
tres (pour la plupart perdues ou égarées, mais évaluées
avec une quasi-certitude à plus de soixante mille), indi
quera Je chemin parcouru ou à parcourir par le félibrige.
Les préfaces (une cinquantaine de textes) qu'il écrivit
pour présenter les œuvres de ses confrères sont, à cet
égard, d'un intérêt tout particulier.
On y voit Mistral
« construire » une littérature en assignant à chacun sa
place dans le concert des lettres provençales, soucieux
d'y voir représenter tous les genres et toutes les
« régions » sinon tous les villages.
Si sa poésie manque de flamme, Roumanille, l'aîné,
sera Je premier parmi les conteurs; Aubanel sera le lyri
que amoureux et maudit.
Lorsqu'il manquera au félibrige
une voix féminine, Mistral trouvera l'aide de Louis Rou
mieux pour« créer » la poétesse Antoinette de Beaucaire
à partir des balbutiements littéraires de la jeune Antoi
nette Rivière.
Lorsqu'il s'agira de prouver que la langue
provençale peut même devenir le langage poétique d'un
étranger, il fera s'envoler dans le ciel avignonnais les
Papillons bleus du « félibre » irlandais William C.
Bona
parte-Wyse, en saisissant l'occasion pour évoquer
Richard Cœur de Lion, qui s'exprima en occitan médié
val, et sans manquer de fixer 1' intérêt « romantique » du
nouveau poète, qui s'étonne «de rencontrer en France
un idiome littéraire autre que celui de Paris, et d'avoir
découvert une littérature s'inspirant non des Grecs, ni
des Romains, ni des Français, ni des Anglais, ni des
Germains ...
mais naturellement et seulement du cru ...
»
(Mistral, préface de Li Parpaioun blu).
Dans la préface de la Farandoulo di Poutoun (1882),
recueil du félibre Anselme Mathieu -beaucoup aidé
par Mistral, lui aussi, semble-t-il -, le grand poète
s'adonne aux joies de la géographie poétique en faisant
apparaître, dans les limites du comtat Venaissin, une
extraordinaire densité littéraire.
Son but est clair : les
conquêtes de la renaissance félibréenne pourront aller
« des Alpes aux Pyrénées >>, mais Je modèle linguistique
se trouvera entre Rhône et Durance, là où les lettres sont
depuis toujours les plus vivantes.
N'est-ce pas l'œuvre
de Dante qui permit au toscan de devenir l'italien?
Développement et rayonnement du félibrige
Si le succès du félibrige -de Mistral et d'Aubanel
surtout -fut immense et ne tarda pas à franchir toutes
les frontières, il détermina aussi, dans presque tout le
domaine gallo-roman, des velléités plus ou moins heu
reuses de renaissance dialectale organisée.
Ainsi n'est-ce
pas par hasard que se fonde à Liège, en 1856, une Société
de littérature wallonne.
Mais c'est évidemment dans le domaine occitan que
l'influence se fait la plus forte.
Toute production litté
raire se réfère désormais au félibrige, même quand il
s'agit de s'y opposer pour des raisons politiques ou lin
guistiques (orthographiques surtout!).
Des noyaux de vie
littéraire se développent non seulement à Marseille (Auguste
Marin, Valère Bernard) et à Avignon (Marius
André, Joseph d' Arbaud), mais aussi autour de Montpel
lier (Auguste Fourès), en Auvergne (Arsène Verme
nouze), en Limousin (Joseph Roux), en Gascogne
(Michel Camélat) et en Béarn (Philadelphe de Gerde).
L'évolution interne du félibrige rnistralien reste assez
mal connue.
Son histoire est faite de succès et de décep
tions, d'ententes et de conflits; on le sait, mais on conti
nue à ignorer le fond des choses, dans la mesure où
de très importantes correspondances (celles de Mistral,
d'Aubanel...) restent occultées pour des raisons très
diverses.
Si nous laissons pour ce qu'il est le problème stérili
sant du choix entre la graphie mistralienne, compromis
entre un système phonétique et un calque du système
français, et la graphie étymologique occitane codifiée
plus tard par Louis Alibert et souvent utilisée aujour
d'hui, le problème fondamental réside, dès Je départ,
dans la manière dont le félibrige conçoit sa relation avec
la France du Nord.
Certains écrits sont clairs : meurtris
par le souvenir toujours vivant du massacre des Albi
geois, les écrivains (Mistral, Félix Gras, Auguste Fou
rès ...
) regrettent le temps de l'unité occitane, et il faut
extrapoler la littérature et l'histoire si l'on veut nier
Maurras, par exemple, n'a pas hésité à le faire -le
caractère fédéraliste et pan-occitaniste de la pensée
mistralienne au moins jusqu'en 1870.
Deux ans plus tôt, au moment même où des relations
privilégiées viennent de se nouer entre les félibres et les
poètes catalans, un ancien ami de Mistral, Eugène Garein
- qui se trouvait sans doute à Font-Ségugne le 21 mai
1854, quoi qu'en disent les Mémoires e.t récits -, l'ac
cuse même de séparatisme.
Sans doute y avait-il là une
exagération certaine, mais la fin du siècle allait bien
montrer que l'on n'écrit pas impunémernt, que les textes
engagent ceux qui leur ont donné le jour.
Mistral fut l'un
des premiers à le comprendre, mais ce fut pour opérer
un sensible retrait, nourri sans doute par le conflit
franco-prussien de 1870.
La suite est tributaire de ce premier débat : générale
ment désengagés sur le plan politique -au moins dans
leur action littéraire -, les félibres admettent que les
idiomes dans lesquels ils s'expriment sont des dialectes,
appartenant sans doute à une même famille, mais assez
différents les uns des autres pour que 1' on ne puisse
pas les réduire à une langue commune.
S'ils défendent
cependant la vie du dialecte (production littéraire, ensei
gnement : «le provençal à l'école» ...
), c'est dans le
dessein de sauver la culture régionale dans la diversité
de ses manifestations, pour la superposer à la culture
française mais sans vouloir se substituer à elle.
Dans le camp opposé, nous trouvons aujourd'hui le
mouvement occitan (on peut le faire remonter à l'ex
trême fin du XIX e siècle avec les œuvres de Prosper Estieu
et d'Antonin Perbosc), qui affirme l'unité occitane sur la
base d'une langue unifiée commune dont il réclame la
reconnaissance officielle.
La production littéraire de ce
mouvement ne s'accompagne que rarement d'une traduc
tion française.
L'intégrer à ce chapitre ou à ce diction
naire serait lui faire affront.
Signalons cependant l'exis
tence de quelques ouvrages d'une qualité remarquable.
Signalons aussi parce que, écrite en français, elle illustre
le mieux les oppositions félibrige/mouvement occitan et
Occitanie/France, l'œuvre d'essayiste de Robert Lafont,
lequel s'étonnera sans doute de se trouver ici en pareille
compagnie.
C'est pourtant bien par référence au félibrige
qu'il écrit, en 1954, son essai intitulé Mistral ou l' Illu
sion.
Là, avec une lucidité et une intelligence reconnues
par chacun, il dissèque sans concession les paradoxes de
la renaissance félibréenne et voue aux oubliettes une
critique littéraire qui, appliquée à Mistral, avait jusque-là.
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