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FICHE DE LECTURE : L'Émile de Rousseau

Publié le 25/06/2011

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Il les poursuit, sinon plus encore, du moins en les serrant et pressant de plus près, dans l'Emile. L'Émile est un roman d'éducation destiné à montrer et à prouver qu'il ne faut pas instruire ; et étant donné le système général de Rousseau, il n'y a rien de plus juste. — La société corrompt ; l'éducation doit dépraver; car l'éducation n'est pas autre chose que l'art de mettre l'enfant au niveau de la société où il naît et en commerce avec elle. C'est à ce niveau qu'il ne faut pas le faire descendre, et c'est ce commerce qu'il faut lui épargner jusqu'au moment, au moins, où il pourra le subir sans en être gâté. L'essentiel est donc d'isoler l'enfant, de le séparer de la société des hommes, de la société des enfants, et même de la famille. Les reproches ordinaires qu'on fait soit à Rabelais, soit à Montaigne, soit à Fénelon, ne sont plus de saison ici. On peut leur dire avec raison que l'éducation non publique, que l'éducation par le gouverneur, par Ponocrates ou par Mentor, est tellement exceptionnelle par sa nature même qu'elle ne peut servir ni de modèle, ni d'exemple, ni même d'indication utile ; qu'elle n'est qu'une éducation de gentilhomme ou de prince, et qu'ils ont, de la question, laissé de côté toute la question. 

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« d'indépendance et son horreur de toute direction.

Ni il ne compte que l'enfant, sur une grande et forte idée qu'on luiaura donnée, se gouvernera lui-même, ni il ne veut que le précepteur pèse directement et immédiatement surl'enfant.

Reste que le précepteur l'aide à être instruit par les choses.Ce système, qui est fort loin d'être méprisable, et nous reviendrons sur ce qu'il a d'infiniment judicieux, a desinconvénients qui sautent au regard.

D'abord, et il faut bien y insister, quoique l'objection d'une part soit banale, etd'autre part tende à montrer combien Rousseau est d'accord avec lui-même, d'abord tout plan d'éducation qui n'estpas un plan d'éducation publique n'est qu'un pur roman pédagogique.

Il ne va qu'à créer une âme d'exception dont ilsera intéressant de voir ce qu'elle deviendra, et ce qu'elle sera rencontrant Sophie ; mais il ne nous sert quasi àrien.

Si déjà une pédagogie toute familiale, supprimant l'école publique, et gardant l'enfant à la maison, est d'uneapplication extrêmement difficile, et, déjà, a un caractère exceptionnel ; que dire d'une pédagogie qui se défie de lafamille elle-même, l'écarte ou la neutralise, et exige pour chaque enfant, dans chaque famille, un gouverneurcélibataire qui lui consacre vingt-cinq ans de son existence ?Rousseau, qui a un mépris superbe de l'objection, nous répondrait : « C'est tout mon système.

Sûr que l'éducationpublique déprave , précisément parce qu'elle est l'image ou plutôt une forme de la société, je veux justement créerun être d'exception, au moins un, sauver un enfant, le dresser pour la vie naturelle, dont, au moins, plus tard, ildonnera l'exemple et le modèle.

»— Soit ; mais puisqu'il est certain qu'à peine un millier d'enfants dans une nation pourront être élevés ainsi, l'inutilitéde l'effort est égale à l'immensité du labeur.

— N'importe ; Rousseau tient à son système parce que c'est le seulvrai, à son avis, et peu l'inquiète qu'il soit presque impraticable ; et il y tient peut-être justement parce qu'il sentque Rousseau seul, ou à peu près, le peut appliquer.

C'est cela même, au fond, qui le séduit.

Comme Rousseau a, ceme semble, beaucoup d'esprit théologique dans l'intelligence, de même il a quelque chose du tempéramentsacerdotal.

Rousseau est un prêtre ; c'est un très mauvais prêtre, si l'on veut, mais c'est un prêtre.

Il en a l'orgueil,l'esprit de domination et la tendresse.

Vous pouvez songer à Joad.

Il veut l'enfant séparé du monde, des autresenfants et de la famille, et livré à l'influence enveloppante et continue d'un sage célibataire, chaste, pieux, instruit,méditatif surtout, moraliste plutôt qu'humaniste, et contempteur du monde et du siècle.

Emile reçoit l'éducation d'unjeune lévite.

Ce millier d'enfants, dans une nation, élevés par un millier de religieux, que je supposais tout à l'heure,je ne serais pas étonné que ce fût l'idée de derrière la tête de Rousseau, beaucoup plus aristocrate qu'on ne croit.— Remarquez que si Rousseau respecte fort le développement spontané de l'intelligence dans son disciple, iln'entend pas raillerie, ni tolérance, pour ce qui est de la volonté dans l'enfant.

Il la brise ; il n'admet pas qu'elle sedéclare ; il ne veut pas qu'on raisonne avec elle, qu'on essaye de la persuader ; il veut qu'elle rencontre, non pasmême une défense, ce qui ressemble encore à une discussion, mais un non pur et simple et invincible, une contre-volonté massive, muette et inébranlable comme un obstacle matériel.

« Ce dont il doit s'abstenir ne le lui défendezpas ; empêchez-le de le faire, sans explication, sans raisonnement....

Que le non une fois prononcé soit un murd'airain.

»Je suis donc porté à croire que le reproche qui consiste à dire que l'éducation de l'Emile est une éducation ultra-aristocratique toucherait peu Rousseau, et que c'est à celle-là même qu'il a songé.

Seulement j'aurais voulu qu'ilindiquât par quoi, au moins, il eût admis qu'elle fût complétée.

Au-dessous de la classe élevée à la Rousseau, quedevrait-on faire pour la foule qui ne peut pas avoir de gouverneur, et qui, bon gré mal gré, sera toujours instruite ensociété? Je n'admets guère un prétendu traité d'éducation où une question pareille n'est pas même soulevée.Pour en revenir au jeune Emile lui-même, on remarque encore, d'abord, qu'il n'apprend rien du tout, ensuite quecette éducation naturelle de l'homme naturel destiné à rester l'homme de la nature est aussi artificielle que possible.La première de ces deux objections est faible ; elle ferait plaisir à Rousseau, et elle ne m'émeut guère.

Il est trèsvrai, quand on fait un petit tableau synoptique des « matières vues » par Emile, pour parler pédagogiquement, quecela se réduit à très peu de chose.

Emile n'a pas été « surmené ».

Un peu d'histoire, un peu de géographie, un peud'astronomie, un peu de botanique, un métier manuel (excellent, surtout pour Sophie), beaucoup de morale, lareligion naturelle en dernier lieu (ce qui n'a rien que de très juste dans une éducation privée et solitaire), voilà tout,ou à bien peu près, ce qu'Emile a appris.Il n'y a pas lieu de s'emporter contre Rousseau sur ce point.

D'abord on ne peut lui reprocher d'avoir à peu prèsexclu les arts et les lettres, puisqu'il les considère comme des agents de corruption ; mais, même en sortant de sonsystème, et en raisonnant dans le sens commun, on doit convenir qu'il n'a pas si grand tort.

Quand l'éducation estl'acquisition hâtive et impatiente d'un gagne-pain, ce qu'elle est forcément et fatalement pour l'immense majoritéd'entre nous, il est vrai qu'elle doit être plus pratique, et plus matérielle pour ainsi dire; mais cela ne signifie pointque celle-ci soit la vraie, ni qu'elle soit bonne.

Elle est même très mauvaise.

Elle n'est pas une éducation ; elle estun apprentissage.

Elle fait un bon ouvrier, non pas un homme.

Dans les conditions particulières, exceptionnelles, etfavorables, où Rousseau s'est placé, quand on a affaire à un enfant qui n aura pas besoin de gagner sa vie, uneprécaution seulement, le métier manuel, pour qu'il la puisse gagner si sa destinée change, et, sauf cela, uneéducation générale toute de culture.

de l'esprit, d'exercice du raisonnement, de développement du bon sens etd'élévation du cœur, une longue causerie grave et judicieuse, pendant vingt ans, avec un sage, aidé de quelquesbons livres en très petit nombre : c'est l'éducation véritable.

Ne croyez pas que Mme de Maintenon en ait rêvé uneautre.

— Il ne s'agit pas de savoir ; il s'agit d'être intelligent.

Le savoir dont on aura besoin, ou envie, on l'acquerraplus tard, avec une intelligence ainsi dressée, bien aisément, et bien vite.

Il est vrai que ce n'est pas au combatpour le pain qu'une telle éducation prépare ; mais ce n'est pas à ceux qui auront à le livrer, je le dis une fois de plus,que songe Rousseau.L'autre critique porte sur ce qu'il y a d'artificiel dans les procédés de Rousseau.

Celle-ci est juste.

L'éducation parles choses et par ce qu'elles éveillent dans une intelligence juste, un peu aidée, rien n'est meilleur ; mais les leçonsde choses concertées et machinées manquent absolument leur but, parce qu'elles ne sont que de l'enseignementdirect déguisé, de l'enseignement.

direct avec une hypocrisie en plus.

Enseigner une vertu par un événement qui enmontre la nécessité ou l'utilité, d'accord ; mais inventer et susciter cet événement, ce n'est qu'enseigner cettevertu en affectant de ne pas l'enseigner , et il y a là une supercherie dont l'enfant, moins raisonnable que nous,. »

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