IMMÉMORIAUX (Les) de Victor Segalen (résumé & analyse)

IMMÉMORIAUX (Les) de Victor Segalen. Récit, 1907.

 

Térii, prêtre polynésien traditionnel, dépositaire de l’ancienne sagesse des Maoris, retrouve, au retour d’un voyage initiatique, Tahiti évangélisée par des étrangers aux coutumes austères et incompréhensibles. À son «parler ancien» s’opposent les «hommes au nouveau parler»; ses compatriotes le traitent d’ignorant, discréditent les légendes, les maximes et les mythes du paganisme. Térii s’adonne alors à l’alcoolisme importé par les Blancs et, malgré les encouragements de Paofaï, son ancien maître, il ne trouve pas en lui la force de résister : cédant aux moqueries et aux critiques de ses anciens amis, il se laisse baptiser et devient même le prêtre de la nouvelle religion sous le nom de Iakoba. Renonçant aux fêtes éclatantes en l’honneur du dieu Oro, il invoquera désormais Iésu Karito et perdra, lui aussi, son âme et son identité.

 

♦ Résumer Les Immémoriaux par le roman exemplaire de la vie de Térii, c’est quelque peu en fausser le sens: ce long poème en prose, riche d’images surprenantes, n’utilise la narration que comme prétexte à l’évocation chatoyante de la civilisation ancienne de Tahiti, de ses beautés, de sa joie de vivre païenne dans le bonheur simple des sens.

 

♦ Segalen (1878-1919), médecin de la marine, avait présenté en 1902 sa thèse de doctorat, L’Observation médicale chez les écrivains naturalistes, qui sera publiée sous le titre Les Cliniciens ès lettres. C’est au cours d’une mission sanitaire en Polynésie qu’il observe et goûte, sans en refuser ce qui déjà l’altère ou la défigure, la vie des insulaires.

 

♦ Né de la rencontre, aux îles Marquises, avec l’œuvre de Gauguin qui vient de mourir (1903), et dont il recueille la collection de sculptures indigènes, mûri dans la méditation sur la mort des civilisations originelles en contact avec la culture européenne, ce premier récit de Segalen affirme déjà les caractéristiques de toute son œuvre ultérieure: choix d’un exotisme authentique ou qui est compréhension et pénétration de l’imaginaire d’autrui, sens du symbole, rupture avec les formes littéraires traditionnelles, union féconde des tours syntaxiques les plus simples de la langue française et des images éclatantes d’une poésie primitive et sacrée. Du Tahiti des Immémoriaux à la Chine de René Leys, de Stèles, la voie de Victor Segalen est unique et marque sa place originale dans la littérature française de la première moitié du siècle.