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La Chute

Publié le 29/03/2013

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Toute l'oeuvre d'Albert Camus peut se comprendre suivant deux principes consécutifs: l' un, coïncidant avec la découverte de l'absurde, et l'autre, avec celle de la révolte. Ces deux étapes sont essentielles dans la pensée de l' auteur et font l' objet de nombreux ouvrages qu' ils soient théoriques, dramatiques ou romanesques. Un an après la parution de La Chute, qui constitue son dernier roman, Albert Camus sera récompensé par le prix Nobel de littérature (1957).

« «L 'univers se mit alors à rire autour de moi.

» EXTRAITS Avec lucidité, le narrateur trace ainsi son propre portrait La politesse me donnait en effet de grandes joies.

Si j'avais la chance, certains matins, de céder ma place, dans l'autobus ou le métro, à qui la méri­ tait visiblement, de ramasser quelque objet qu'une viei lle dame avait laissé tomber et de le lui rendre avec un sou­ rire que je connais­ sais bien, ou sim­ plement de céder mon taxi à une per­ sonne plus pressée que moi, ma journée en était éclairée.

Je me réjouissais même, il faut bien le dire, de ces jours ·où, les transport publics étant en grève, j'avais l'occasion d'embarquer dans ma voiture, aux points d'arrêts des autobus, quelques-uns de mes malheureux conci­ toyens, empêchés de rentrer chez eux.

L'homme relate ainsi l'épisode qui lui révéla sa véritable identité J'étais monté sur le pont des Arts, désert à cette heure, pour regarder le fleuve qu'on devinait à peine maintenant dans la nuit venue.

Face au Vert-Galant, je dominais l'île.

Je sentais monter en moi un vaste sentiment de puissance et, comment dirais­ je, d'achèvement, qui dilatait mon cœur.

Je me redressai et j'allais allumer une ci­ garette, la cigarette de la satisfaction, quand, au même moment, un rire éclata derrière moi.

Surpris, je fis une brusque volte-face : il n'y avait personne.J'allai jusqu 'au garde-fou : aucune péniche, aucune barque.

Je me retournai vers l'île et, de nouveau,}' entendis le rire dans mon dos, un peu plus lointain, comme s'il descendait le fleuve .

Le juge-pénitent tire les conclusions de sa vie passée Mais pour être heureux , il ne faut pas trop s 'occuper des autres.

Dès lors, les issues sont fermées.

Heureux et jugé, ou absous et misérable .

Quant à moi, l'injustice était plus grande : j'étais condamné pour des bonheurs anciens.

J'avais vécu longtemps dans l'illusion d'un accord général, alors que, de toutes parts, les jugements, les flèches et les railleries fondaient sur moi, distrait et souriant .

Du jour où je fus alerté, la lucidité me vint.

Je reçus toutes les blessures en même temps et je perdis mes forces d'un seul coup.

L'univers se mit alors à rire autour de moi.

Le narrateur jette ici un regard amer sur lui-même et sur son entourage Dans la solitude, la fatigue aidant, que voulez-vous, on se prend volontiers pour un prophète.

Après tout, c'est bien là ce que je suis, réfugié dans un désert de pierres, de brumes et d'eaux pour­ ries, prophète vide pour temps médiocres, Élie sans messie, bourré de fièvre et d'alcool, le dos co llé à cette porte moi­ sie, le doigt levé vers un ciel bas, couvrant d' im­ précations des hommes sans loi qui ne peuvent supporter aucun juge­ ment.

Car ils ne peu­ vent le supporter, très cher, et c'est toute la question .

Gallimard, 1956 « Je sentais monter en moi un vaste sentiment de puissance et, comment dirais-je, d'achèvement.» NOTES DE L'ÉDITEUR « Clamence [le narrateur de La Chute] est aussi le double accusateur des détracteurs de Camus, pharisiens moralistes de l'existentialisme qui, par peur de leur liberté, "inventent de terribles règles", et" courent construire des bûchers pour remplacer les églises " ; car " ils ne croient qu'au péché, pas à la grâce".» D.

Bergez, Dictionnaire des littératures de langue française, Bordas, 1987.

A linstar de tout intellectuel, Albert Camus manifesta beaucoup d'intérêt à l'égard de son époque.

« [Il] préfigure les déchirements de l'intellectuel d'aujourd'hui, pris entre l'individualisme et l' œuvre à édifier , le désir d 'ag ir pour changer le monde et l'ango isse de servir de caution aux idéologies totalitaires.

Tout son itinéraire est celui d'un homme de combat qui veut préserver son œuvre et sa liberté .» Jean-Marie Rouart, Le Figaro littéraire, 9 mars 1987.

Pierre Gascar a fort bien noté le ton paisible et désabusé de La Chute.

Il déchiffre « dans cet ouvrage douloureux, le désir du dernier mot, du trait qu'on trace au bas du bilan, le besoin de l'absolution implicite que nous vaut, au moins, le fait d'avoir tout dit».

Pierre Gascar ,« Le dernier visage de Camus » , dans Camus, collection Génies et réalités, Hachette, 1964.

1 D.R.

2, 3, 4 , 5 lithographi es de Jan sem, éd .

A ndr é Sau re t, 1978 CAMUS06. »

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