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La Comédie humaine : Fiche de lecture

Publié le 16/11/2018

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lecture

La Comédie humaine

 

Le projet

 

Dans le texte capital, écrit en 1842, à la demande pressante de son éditeur, l’« Avant-Propos » à la Comédie humaine, Balzac, reprenant les idées développées par Félix Davin dans son introduction aux Études de mœurs au XIXe siècle (1835), déclare que l’idée première lui est venue d’une « comparaison entre l’humanité et l’animalité », les « espèces sociales » devant correspondre aux « espèces zoologiques ». Si, dans le règne animal, il est permis d’opérer une classification à partir de l’expérience et de l’observation, dans la société la même entreprise est possible, à ceci près que l’homme offre un tableau de lui-même mouvant et ambigu, la nomenclature cédant le pas ici à l’affirmation d’une présence majeure, celle d’une vie insaisissable dans sa profusion même et toujours en projet. Relevant à la fois de l’analyse et du merveilleux, l’œuvre s’appuie sur le type, seule instance littéraire permettant de cerner les hommes au plus près sans les réduire à de trop faciles rubriques. En 1834, Balzac explique ainsi son projet à Mme Hanska : « Dans les Études de mœurs sont les « individualités typisées »; dans les Études philosophiques sont les « types individualisés ». Ainsi, partout, j’aurai donné la vie : au type, en l’individualisant; à l’individu, en le typisant. J’aurai donné de la pensée au fragment; j’aurai donné à la pensée la vie de l’individu ».

Dans cette œuvre immense, la plus ambitieuse qui ait été imaginée par un artiste — « Vous ne vous figurez ce que c’est que la Comédie humaine; c’est plus vaste, littérairement parlant, que la cathédrale de Bourges architecturalement » — (à Zulma Carraud, janvier 1845), Balzac, en voulant peindre « les deux ou trois mille figures saillantes d’une époque » (« Avant-Propos »), énonce un projet totalisant.

La structure

Dès 1834, Balzac conçoit l’ordre selon lequel la Comédie humaine doit se déployer. Les Études de mœurs, les Études philosophiques, les Études analytiques représentent trois étapes maîtresses, distinctes et précises. Mais la « cathédrale », telle que Balzac la laisse à sa mort, est disproportionnée : la première partie brasse une matière surabondante au regard de la deuxième, et celle-ci au regard de la troisième. Tout se tient, cependant, dans l’esprit de l’auteur, et le lecteur avance dans l’édifice, soigneusement guidé par le romancier. « Les Études de mœurs représentent les effets sociaux, base de l’édifice. La seconde assise est les Études philosophiques, car, après les effets viendront les causes (...). Puis, après les effets et les causes, doivent se rechercher les principes. Les mœurs sont le spectacle, les causes sont les coulisses et les machines. Les principes c’est l’auteur, mais, à mesure que l’œuvre gagne en spirales les hauteurs de la pensée, elle se mesure et se condense ».

Reste que ces différentes perspectives ne figurent pas tant le plan de l’ouvrage qu’elles ne structurent chaque roman balzacien. Effets, causes, principes restent étonnamment présents dans chaque roman considéré en lui-même. Dans le Lys dans la vallée, par exemple, l’histoire d’amour entre Henriette de Mortsauf et Félix de Vande-nesse se déroule au plan des « effets », l’analyse des « causes » de l’échec apparent de cet amour (psychologiques, sociales, métaphysiques) introduisant aux « principes » mêmes entrevus dans la peinture de l’enfance, comprise à la fois comme caractère et comme destin.

Les Études de mœurs, réparties en six livres (« Scènes de la vie privée », « Scènes de la vie de province », « Scènes de la vie parisienne », « Scènes de la vie politique », « Scènes de la vie militaire », « Scènes de la vie de campagne »), figurent l’« histoire générale de la société ».

Les « Scènes de la vie privée », comme la Grenadière, Béatrix ou les Amours forcées, le Père Goriot, peignent « l’enfance, l’adolescence et leurs fautes ».

Avec les « Scènes de la vie de province », entre autres le Lys dans la vallée (rattaché plus tard aux « Scènes de la vie de campagne »), Eugénie Grandet, Illusions perdues, est montré « l'âge des passions, des calculs, des intérêts et de l’ambition ».

Les « Scènes de la vie parisienne », principalement l’Histoire des Treize et Splendeurs et misères des courtisanes, donnent le « tableau des goûts, des vices » qui galvanisent Paris, capitale moderne, excessive, extraordinaire.

Si les trois premiers livres décrivent la « vie sociale », les trois suivants sont consacrés aux « existences d’exception qui résument les intérêts de plusieurs ou de tous ».

Les « Scènes de la vie politique » offrent de « l’état le plus violent » de la société un tableau saisissant, à travers Une ténébreuse affaire ou Z. Marcas.

Avec les « Scènes de la vie militaire », essentiellement les Chouans, il s'agit de « peindre dans ses principaux traits la vie des masses en marche pour se combattre » (F. Davin).

Les « Scènes de la vie de campagne », notamment les Paysans, le Médecin de campagne, le Curé de village, au « soir de cette longue journée, s’il m’est permis de nommer ainsi le drame social », présentent « les plus purs caractères et l’application des grands principes, de politique, de moralité ».

Les Etudes philosophiques, qui comptent des romans et des contes auxquels Balzac accordait une importance capitale pour la compréhension de son œuvre, comme le Chef-d'œuvre inconnu, Balthazar Claës ou la Recherche de l'absolu, Louis Lambert et Séraphita, placent en premier la Peau de chagrin, véritable pierre angulaire de l’édifice puisque ce roman « relie en quelque sorte les Études de mœurs aux Études philosophiques par l’anneau d’une fantaisie presque orientale où la vie elle-même est peinte aux prises avec le Désir, principe de toute Passion ».

Les Études analytiques ne comptent que deux œuvres, mineures en fait : la Physiologie du mariage et les Petites Misères de la vie conjugale.

Le fantastique

Avant d’être une vision du monde, le fantastique s’impose à Balzac comme une mode. En 1828, année de publication des Mémoires de Vidocq, le nom d’Hoffmann est révélé au public dans la revue le Gymnase, éditée par Balzac lui-même. Dès lors commence la vogue parisienne du conteur allemand : Loëve-Veimars traduit, de 1830 à 1833, vingt volumes de Contes fantastiques.

 

Sans que le terme ait encore un sens précis, c’est lui que Jean-Jacques Ampère, journaliste au Globe, accole le premier aux contes d’Hoffmann. Balzac réagit vite à un engouement qui prive le fantastique de sa profondeur et de sa fraîcheur initiales. Dans un article de la Caricature (16 février 1832) consacré aux Contes bruns, il loue les auteurs du recueil « de n’avoir pas glissé dans quelque coin de leur titre le mot fantastique, programme malsain d’un genre (...) qu’on a déjà trop usé par l’abus du nom seulement ». En 1833, dans l'Illustre Gaudissart, il constate que « la librairie a tué le mot fantastique ».

Tout en reconnaissant sa dette vis-à-vis d’Hoffmann, « le poète de ce qui n’a pas l’air d’exister et qui néanmoins a vie » (Une fille d'Ève), Balzac invente un nouveau fantastique. Si, chez Hoffmann, le fantastique naît d’une perception faussée de la réalité et prend sa source dans le regard du personnage sur le monde, il vise, chez Balzac, à exprimer le mystère par excellence, enfoui au plus profond du réel quand celui-ci, de lui-même, se donne à voir. Balzac, le premier, a conçu le fantastique, non comme un genre littéraire, mais comme l’apparition même de la réalité. La Peau de chagrin, roman exemplaire, fait du talisman magique l’émanation de la société contemporaine. Le moment où Raphaël prend possession de la peau ne marque pas l’entrée du personnage dans un univers régi par des lois inconnues, mais bien sa retombée soudaine dans « le monde de la vie réelle », la société parisienne de 1830. Or, c’est justement dans le réel que le mystère et l’horreur triomphent. Le fantastique, échappant à la présence de l’objet magique, caractérise la seule réalité. Il se nourrit de réel et tient à la nature des situations, des lieux, des personnages décrits. Il ne résulte pas tant d’un vice du regard sur la réalité que du surgissement de celle-ci devant qui sait bien la voir. Balzac ne « transpose » pas la réalité qu’il a sous les yeux. La fusion du fantastique et du réel ne s’opère jamais par juxtaposition arbitraire. Le monde des joueurs évoqué au début de la Peau de chagrin s’impose de lui-même comme un univers de passion et de mort. Le rapport entre fantastique et réel est exactement celui qui, pour Balzac, relie l’effet à la cause, l’écriture permettant justement de saisir ce rapport.

Dans Massimila Doni, Balzac évoque « un de ces personnages à qui personne ne veut croire dès qu’on les fait passer de l’état réel où nous les admirons à l’état fantastique d'une description plus ou moins littéraire ». La littérature permet d’opérer le partage entre réel et imaginaire, chacun prenant sens et existence dans l’opposition qui le rive à son vis-à-vis incontournable. Par le moyen privilégié de l’écriture, Balzac dessille les yeux du lecteur et l’invite à mieux regarder ce qui est : « Dès que l’homme veut pénétrer dans les secrets de la nature, où rien n’est secret, où il s’agit seulement de voir, il s’aperçoit que le simple y produit le merveilleux » (Séraphita). L’acuité du regard balzacien fait de l’œuvre une mine fabuleuse de descriptions vraies, un pur modèle de poésie didactique. Engels disait qu’il avait plus appris sur la société du xixe siècle dans Balzac que dans « tous les livres des historiens, économistes et statisticiens professionnels réunis ». Le réel, transmué en littérature, soulevé par un souffle épique jusqu’à une sorte d’incandescence, livre sa vérité cachée, sa part fantastique.

Paris

La capitale, qui, dans la première moitié du siècle, connaît un essor gigantesque, est le laboratoire rêvé du fantastique. La longue introduction de la Fille aux yeux d'or donne au monde parisien une dimension dantesque en le présentant sous cinq « physionomies », qui sont autant de sphères parcourues par le « mouvement ascensionnel de l’argent », cinq cercles de l'Enfer. Le « paysage parisien » décrit dans Splendeurs et misères des courtisanes appartient à un quartier bien réel et facilement identifiable. Il demeure cependant inconnu de la plupart des Parisiens, qui ignorent combien une grande ville est envoûtante. Balzac, lui, découvre avec émerveillement que « le monde fantastique d’Hoffmann le Berlinois est là ». Contrairement au « caissier le plus mathématique » qui, parcourant ces ruelles, « n’y trouve rien de réel », Balzac, envisageant « en face » ce spectacle insolite, y voit la réalité elle-même, mesure les inépuisables richesses poétiques du Paris contemporain et éprouve par ailleurs la « nécessité de symboliser au cœur de Paris l’alliance intime de la misère et de la grandeur qui caractérise la reine des capitales » (la Cousine Bette).

Loin d'être un trait romantique du génie de Balzac et de s’opposer à la vérité de son univers, sa faculté de sentir la vie profonde des choses, d’éprouver le quotidien dans ses plus intimes palpitations, alimente le « réalisme » de ses descriptions. Le sens du fantastique de la société est une constante de l’œuvre de Balzac. Dans Sarrasine, par exemple, le mystère, dont il faut chercher la source dans la famille des Conty, laquelle a « tout l’attrait d’un roman de lord Byron », est proprement social. Tout autant présent dans un « conte fantastique » comme le Chef-d'œuvre inconnu, dans une « Scène de la

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« perdues, est montré « l'âge des passions, des calculs, des intérêts et de l'ambition >>.

Les « Scènes de la vie parisienne », principalement l'Histoire des Treize et Splendeurs et misères des courti­ sanes, donnent le .

Les Etudes philosophiques, qui comptent des romans et des contes auxquels Balzac accordait une importance capitale pour la compréhension de son œuvre, comme le Chef-d'œuvre .inconnu, Balthazar Claës ou la Recherche de l'absolu, Louis Lambert et Séraphita, placent en pre­ mier la Peau de chagrin, véritable pierre angulaire de l'édifice puisque ce r9man «relie en quelque sorte les Études de mœt�rs aux Etudes philosophiques par l'anneau d'une fantaisie presque orientale où la vie elle-même est peinte aux prises avec le Désir, principe de toute Passion ».

Les Études analytiques ne comptent que deux œuvres, mineures en fait : la Physiologie du mariage [voir PHY­ SIOLOGIES] et les Petites Misères de la vie conjugale.

Le fantastique Avant d'être une vision du monde.

le fantastique s'im­ pose à Balzac comme une mode.

En 1 828, année de publication des Mémoires de Vidocq, le nom d'Hoff­ mann est révélé au public dans la revue le Gymnase, éditée par Balzac lui-même.

Dès lors commence la vogue parisienne du .;onteur allemand : Loëve- Veimars traduit, de 1830 à 183 3, vingt volumes de Contes fantastiques.

Sans que le terme ait encore un sens précis, c'est lui que Jean-Jacques Ampère, journaliste au Globe, accole le premier aux contes d'Hoffmann.

Balzac réagit vite à un engouement qui prive le fantastique de sa profondeur et de sa fraîcheur initiales.

Dans un article de la Carica­ ture (16 février 1832) consacré aux Contes bruns, il loue les auteurs du recueil «de n'avoir pas glissé dans quel­ que coin de leur titre le mot fantastique, programme malsain d'un genre ( ...

) qu'on a déjà trop usé par l'abus du nom seulement ».

En 1833, dans l'Illustre Gaudissart, il constate que « la librairie a tué le mot fantasti que>>.

Tout en reconnaissant sa dette vis-à-vis d'Hoffmann, >, la société parisienne de 1830.

Or, c'est justement dans le réel que le mystère et l'horreur triomphent.

Le fantastique, échap­ pant à la présence de l'objet magique, caractérise la seule réalité.

U se nourrit de réel et tient à la nature des situa­ tions, des lieux, des personnages décrits.

Il ne résulte pas tant d'un vice du regard sur la réalité que du surgisse­ ment de celle-ci devant qui sait bien la voir.

Balzac ne «transpose» pas la réalité qu'il a sous les yeux.

La fusion du fantastique et du réel ne s'opère jamais par juxtaposition arbitraire.

Le monde des joueurs évoqué au début de la Peau de chagrin s'impose de lui-même comme un univers de passion et de mort.

Le rapport entre fantastique et réel est exactement celui qui, pour Balzac, relie l'effet à la cause, l'écriture permettant jus­ tement de saisir ce rapport.

Dans Massimila Doni, Balzac évoque « un de ces per­ sonnages à qui personne ne veut croire dès qu'on les fait passer de l'état réel où nous les admirons à l'état fantastique d'une description plus ou moins littéraire>>.

La littérature permet d'opérer le partage entre réel et imaginaire, chacun prenant sens et existence dans l'op­ position qui le rive à son vis-à-vis incontournable.

Par le moyen privilégié de l'écriture, Balzac dessille les yeux du lecteur et l'invite à mieux regarder ce qui est : « Dès que J'homme veut pénétrer dans les secrets de la nature, où rien n'est secret, où il s'agit seulement de voir, il s'aperçoit que le simple y produit le merveilleux >> (Séra­ phita).

L'acuité du regard balzacien fait de l'œuvre une mine fabuleuse de descriptions vraies, un pur modèle de poésie didactique.

Engels disait qu'il avait plus appris sur la société du x1x• siècle dans Balzac que dans > .

Contrairement au «caissier le plus mathé­ matique » qui, parcourant ces ruelles, « n'y trouve rien de réel », Balzac, envisageant > de ses descriptions.

Le sens du fantastique de la société est une constante de l'œuvre de Balzac.

Dans Sarrasine, par exemple, le mystère, dont il faut chercher la source dans la famille des Conty, laquelle a « tout l'attrait d'un roman de lord Byron», est proprement social.

Tout autant présent dans un « conte fantastique » comme le Chef-d'œuvre inconnu, dans une. »

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