La Panne

« «Le café avait été servi, fumant dans les petites tasses où tintaient les cuillers d'argent.

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» EXTRAITS -------~ Conseils de l'avocat à l'accusé : ne pas plaider l'innocence «Il n'y a pas d'innocence qui tienne, mon jeune ami ! Et dites-vous bien : ce qui importe, ce qui décide de tout , c'est la tactique ! Ce n'est plus de l'imprudence croyez-moi, c'est de l' impudence que de prétendre à l'innocence devant notre tribunal, si vous voulez bien me permettre d'exprimer la chose en termes mesurés .

Il serait beaucoup plus adroit, tout au contraire, des' avouer coupable et de choisir soi-même le chef d' accusa­ tion ...

Sans doute le chemin qui conduit de la culpabilité à l' inno­ cence reconnue est-il un chemin ardu, mais aucunement impraticable ; vouloir conserver une inno­ cence intacte, en re­ vanche, est vraiment sans espoir et ne peut guère entraîner que des conséquences catas­ trophiques.

Vous ne ris­ quez plus que de perdre , là où vous aviez des chances de l'emporter ; sans compter qu'en négligeant de choisir vous-même votre culpabilité, vous serez contraint de porter celle qu'on vous imposera ! » Au café, le réquisitoire Le café avait été servi, fumant dans les petites tasses où tintaient les cuillers d'argent, et les dîneurs dégustaient en même temps, dans de grosses tulipes ventrues qu'ils échauffaient dans leurs paumes, un cognac de 1893, un Rojjïgnac .

- Je formulerai donc là-dessus mon réquisitoire et j'en aurai fini, prononça le procureur enfoncé de guingois dans un énorme fauteuil Voltaire.

les jambes passées par-dessus l'accoudoir, avec son pantalon relevé qui laissait apercevoir les chaussettes dissemblables, une verte, et!' autre à petits carreaux noirs et gris.

Notre ami Alfredo n'a pas agi dolo indirecto et il ne s'agit pas ici d'une mort occasionnelle, survenue de façon imprévue.

Il est coupable dolo malo, et la préméditation , déjà nettement établie par les faits, ressortira plus particulière­ ment et démonstrativement.

L'accusé est d'accord avec le procureur, mais en désaccord avec son propre avocat Debout, son assiette avec un nouveau morceau de gâteau dans la main droite, son verre de Roffignac dans la gauche, il déclara avec impatience qu'il tenait à réaffirmer, avant la sentence(« et cela avec la dernière insistance ! » précisa-t-il les larmes aux yeux) combien il se trouvait d'accord avec ce qu'avait dit le procureur .

Oui, il était un meurtrier, un authentique assassin et c'était d'un meurtre qualifié qu'il s'agissait, la chose lui était devenue claire à présent.

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.) Car ce que venait de dire son défenseur l'avait laissé tout pantois, terriblement déçu, oui, et par celui justement de qui il était le plus en droit d'attendre intelligence et compréhension ! Et s'il demandait maintenant au tribunal d'être condamné, comme tel, il n'y avait là nulle bassesse de sa part, mais un haut enthousiasme, au contraire.

Traduit par Armel Guerne, Albin Michel, 1980 « ...

et les dîneurs dégustaient en même temps ( ...

) un cognac de 1893, un Roffignac.

» NOTES DE L'ÉDITEUR Fils de pasteur, Friedrich Dürrenmatt a fait des études de philosophie et de théologie et s'est toujours intéressé aux questions éthiques.

Mais au lieu de les traiter avec pédantisme ou emphase, il traite ces thèmes avec beaucoup de brio et de drôlerie à travers de simples faits divers .

D 'abord connu pour ses pièces de théâtre, en particulier La Visite de la vieille dame, jouée sur les scènes du monde entier, il publie La Panne en 1956, en donnant toute la mesure de son talent de romancier.

Ce roman a inspiré le cinéaste italien Ettore Scola pour un long-métrage intitulé La plus belle soirée de ma vie et réalisé en 1972 avec toute une série d'excellents comédiens : Charles Vanel, Pierre Brasseur , Claude Dauphin et surtout, dans le rôle de l'accusé, Alberto Sordi, le grand acteur comique italien qui fait dans ce film un époustouflant personnage de minable.

1 D.R .

2, 3, 4, 5 illuslrations de Rolf Lehm ann.

Arche Verlag.

Z urich.

1961 / Biblioth èque nati ona le s u isse DÜRRENMATT 03. »